LA PROMESSE
Marie-Gwen
Note de l’auteur :
Cette fic a été longue a écrire puisqu’elle m’a pris 4 ans ! Elle n’est
que le premier volet d’une future trilogie. En cela, La Promesse est, vous le
verrez, une histoire très classique dans l’univers Highlander puisque, pour
poser les bases de l’histoire, elle colle délibérément aux standarts
« romantiques » de la série. J’espère cependant qu’elle vous plaira
puisque la suite devrait être moins consensuelle. En tous cas, que vous aimiez
ou non, faites-moi part de vos impressions à marie.gwenAfree.fr
NB : Cette histoire
prend place dans un Univers alternatif qui ne prend pas en compte le dernier
épisode de la saison 5 ni la saison 6 …
Merci à Hélène, beta
lectrice de la première heure, ainsi que Isa et Matthieu.
Chapitre
1
Il faisait nuit noire, mais la lumière
des lampadaires était réfléchie à l'infini par les milliers de gouttelettes qui
recouvraient les rues. La pluie avait commencé quelques heures auparavant, à la
tombée du jour, et déjà les caniveaux charriaient une grande quantité d'eau
noire, salie. C'était une pluie glacée, pénétrante, et il semblait à Lee-Ann
que chaque goutte la transperçait de part en part. Elle marchait maintenant
depuis près d'une heure, ses jambes engourdies ne faisant plus que répondre
mécaniquement, un pied après l'autre, un pas à la fois. L'eau collait ses
cheveux à son visage puis ruisselait sur son cou jusque sous son pull
complètement détrempé.
"Encore un effort, pensa-t-elle, il ne
doit plus être très loin ce maudit dojo".
Mais comment trouver la bonne rue et
reconnaître cette façade qu'elle n'avait vue qu'en photo, à cette heure et avec
cette pluie qui n'en finissait pas, l'aveuglant et la frigorifiant à la fois ?
Son bras gauche replié contre elle-même, elle se rendit soudain compte que le
froid avait au moins eu pour effet d'atténuer les élancements de sa blessure.
Elle aurait pu essayer de voir un médecin à son arrivée à l'aéroport mais cela
l'aurait retardée, et elle devait absolument le trouver avant qu'on ne la
rattrape. Il faudrait donc bien que le bandage rudimentaire qu'elle s'était
fait l'autre nuit tienne jusqu'à son arrivée. Depuis ce terrible instant où la
folie de ce monstre l’avait à nouveau rattrapée, et depuis qu’elle avait pris
la décision de venir à Seacouver préparer sa "mission", Lee-Ann était
dans une sorte d’état second, agissant comme un robot. Avec un seul objectif en
tête et cette douleur sourde mêlée de haine au creux du ventre.
Elle
tourna à droite au coin de la rue. Il lui semblait qu'elle ne trouverait jamais
l’endroit qu’elle cherchait. Au moins était-elle sûre d'avoir atteint le bon
quartier. Malheureusement, elle ne pouvait pas non plus se permettre de
demander son chemin : personne ne devait savoir où elle était, il ne fallait
pas qu'il la retrouve avant qu'elle soit prête à l'affronter. De toute façon,
les rues étaient désertes à l'exception d'un ou deux passants pressés se hâtant
sous leur parapluie.
"Pourvu
qu'il accepte de m'aider, pensa-t-elle. "Oh, Sam, j'espère que tu ne
t'étais pas trompé sur lui !".
Une immense vague de chagrin la submergea
alors que le visage de celui qu'elle avait tant aimé s'imposa dans son esprit.
Mais elle se força à transformer sa douleur en haine qu'elle utiliserait pour
sa vengeance. Pour l'heure, il lui fallait continuer à avancer, encore et
encore, malgré la pluie...
* * *
MacLeod appuya sur "play"
et s'assit bien confortablement dans son fauteuil préféré, un verre de whisky à
la main, un bon livre dans l'autre.
"Avec cette pluie dehors, se dit-il, rien
de tel qu'une bonne veillée au coin du feu".
On était juste à la sortie de l'hiver, et
le soleil ne semblait pas pressé de faire fondre les dernières neiges sur les
sommets ni de faire fuir les nuages lourds de pluie qui assombrissaient encore
souvent la ville, comme c'était le cas ce soir. Alors que les premières notes
de musique s'échappaient du CD, MacLeod songea une fois encore combien il était
dommage que Joe ne fasse pas enregistrer les merveilleux morceaux qu'il
composait et jouait avec le groupe.
"Il
faudra bien que ce vieil entêté se laisse convaincre un jour ou l'autre",
se dit-il.
Sirotant son whisky, MacLeod se plongea
dans la lecture du roman historique qu'il tenait : il adorait voir comment les
mortels imaginaient le passé et ce qu'ils croyaient en savoir. Même s’il devait
admettre que, bien souvent, l'Histoire dans l'histoire était retransmise très
fidèlement : lui-même avait plusieurs fois été surpris de voir que certains
événements auxquels il avait assisté avaient été relatés aussi précisément que
s'il l'avait fait personnellement.
Il en était là de ses réflexions
lorsqu'un bruit sourd lui parvint. Cela semblait venir d'en bas. On aurait dit
que quelqu'un avait donné un coup violent à la porte du dojo. Le bruit ne se
répéta pas mais MacLeod décida tout de même de descendre jeter un coup d'œil.
Il ne prit pas la peine d'emporter son katana avec lui puisqu'il n'avait
ressenti la présence d'aucun Immortel : il ne devait s'agir que du vent qui avait
précipité quelque chose contre la porte. Mieux valait aller voir tout de suite
si un quelconque dégât devait être réparé.
Il comprit en sortant de l'ascenseur :
une bourrasque avait tout simplement ouvert la porte violemment, et la pluie
entrait maintenant abondamment par rafales dans le hall d'entrée. Il devrait
peut-être songer à verrouiller cette porte la nuit, mais il ne jugeait pas cela
nécessaire en règle générale. Un rôdeur ne trouverait rien d'intéressant ici à
moins de monter à l'étage où Mac se ferait un plaisir de l'accueillir. Quant
aux Immortels, il leur était bien difficile de dissimuler leur approche, même
en plein sommeil. Et si un ou deux vagabonds se glissaient parfois à
l'intérieur en hiver pour passer la nuit, MacLeod n'y voyait aucun inconvénient
majeur.
Il crut d'ailleurs que c'était
précisément le cas en apercevant la forme couchée dans l'entrée. Fermant
rapidement la porte et la bloquant avec le verrou, il s'agenouilla ensuite près
du corps recroquevillé et trempé. Le retournant, il constata qu'il avait
affaire à une jeune femme, mais ses vêtements, même mouillés, ne semblaient pas
ceux d'une sans-abri. C'est alors qu'il remarqua la tache plus sombre sur le
flanc et la manche gauche de l'inconnue. Il souleva le pull ruisselant mais ne
trouva aucune trace sur son torse. Il dénuda alors son bras et découvrit juste
au-dessus du coude un bandage imbibé de sang qui révéla une blessure sans doute
infligée par une balle quelque temps auparavant. Le projectile ne l’avait
apparemment que frôlée, laissant cependant une entaille assez profonde. La
cicatrisation semblait avoir commencé mais un choc ou un effort avait rouvert
la plaie qui saignait maintenant abondamment. Il n'en fallait pas plus à
MacLeod pour se sentir impliqué et, prenant la jeune femme dans ses bras, il
remonta au loft pour la soigner.
"Voici
qui fera ricaner Methos une fois de plus", songea-t-il en l'étendant sur
le divan.
* * *
Lee-Ann sentait les mains de Sam
posées sur elle, elle entendait sa voix chaude lui parler doucement, lui dire
combien il l'aimait, elle l'entendait rire et goûtait ses baisers. Ils venaient
de fêter l'anniversaire de Sam dans ce petit chalet isolé au creux des
montagnes irlandaises qu'ils habitaient depuis quelques mois. Mais ce refuge
n'avait pu leur servir de cachette bien longtemps. Comment avaient-ils pu se
croire à l'abri ? Jamais Karl n'abandonnerait, elle le savait maintenant.
Soudain un coup de feu éclata et le cauchemar recommença : la fuite, le sang,
la mort... Oh, Sam !
S'éveillant brusquement de cette
semi-inconscience, Lee-Ann s'efforça de chasser de son esprit les souvenirs qui
la tourmentaient et jeta un coup d'œil autour d'elle. Elle était étendue sur un
divan, sous une couverture chaude et sèche, dans ce qui semblait être une usine
ou un entrepôt transformé en loft. L'appartement était meublé très simplement,
mais avec goût.
"Restez
allongée" lui dit une voix comme elle essayait de se lever.
Tournant
son regard vers la droite, elle aperçut alors celui qu'elle était venue
trouver, debout dans la cuisine, en train de verser le contenu d'une casserole
fumante dans une tasse qu'il lui apporta ensuite.
"Duncan
MacLeod du clan MacLeod" dit-elle, plantant son regard dans le sien, et
MacLeod ne sut vraiment s'il s'agissait d'une question ou d'une simple
constatation.
"Je
suppose donc que ce n'est pas un hasard si je vous ai trouvée à ma porte"
répliqua-t-il sur le même ton.
Baissant les yeux sur sa tasse, Lee-Ann
ne répondit pas, se contentant de boire lentement la soupe brûlante qu'elle
contenait. Le breuvage semblait réchauffer son corps entier, se diffusant dans
chacun de ses membres jusqu'à la pointe de ses orteils. Elle se rendit compte
alors que ses vêtements mouillés avaient disparu et qu'elle ne portait qu'un
long sweat-shirt sous la couverture posée sur elle.
"Vous
étiez trempée, lui dit MacLeod en guise d'explication, et il fallait bien que
je soigne votre bras".
Lee-Ann réalisa en effet que le bandage
semblait refait à neuf et fit mine de lever le bras : une vague de douleur l'irradia,
remontant jusqu'à l'épaule.
"Ne
le bougez pas, reprit MacLeod, attendez que les anti-inflammatoires fassent
effet. Puis-je vous demander maintenant ce qui vous amène chez moi ? Et tout
d'abord, vous semblez me connaître tandis que je ne sais même pas qui vous
êtes. Vous devez bien avoir un nom ?"
Lee-Ann se demanda brusquement ce
qu'il avait fait de son passeport qui contenait le peu d'argent qui lui restait
et la photo de Sam. Etait-il resté dans la poche arrière de son jean, MacLeod
ne l'ayant pas remarqué, ou bien l'avait-il rangé ailleurs ? Et dans ce cas,
n'avait-il réellement pas pensé à y jeter un coup d'œil pour savoir à qui il
avait à faire. D'après ce qu'elle savait de lui, peut-être ne s'était-il tout
simplement pas autorisé à le faire. Quoi qu'il en soit, Lee-Ann n'avait pas
l'intention de lui cacher son identité. Civile du moins.
"Je
m'appelle Lee-Ann O'Donnell, répondit-elle, et je suis venue pour apprendre à
me battre".
MacLeod dévisagea avec surprise cette
femme d'une trentaine d'années : ses yeux verts le fixaient fièrement, comme
pour le défier. Mais il sentit quelque chose derrière cet air déterminé qui
n'était, à n'en pas douter, qu'une façade. Ses cheveux légèrement bouclés et
coupés juste au-dessus des épaules étaient presque secs et Duncan remarqua pour
la première fois qu'ils n'étaient pas châtains mais tiraient plutôt vers le
roux.
"O'Donnell,
se dit-il, elle doit avoir des origines irlandaises."
Il n'avait en effet remarqué aucun accent
typique, même si son intonation ne lui semblait pas américaine non plus...
Peut-être aurait-il dû examiner le passeport qu'il avait trouvé dans le
pantalon de l'inconnue, mais il avait préféré s'occuper d'elle en premier lieu.
De plus, il n'était pas dans ses habitudes de violer l'intimité d'autrui, même
dans de telles circonstances.
Malgré ses yeux cernés, son visage grave
aux pommettes hautes et à la bouche pleine était d'une beauté certaine et lui
rappela, de par ses traits fins, presque aristocratiques, celui des françaises
sous la révolution. Elle n'était pas de ces beautés froides qui le laissaient
indifférent. Le regard de défi qu'elle lui lançait renforça son impression de
feu intérieur que son charme laissait poindre. Il avait pu également remarquer,
puisqu'il l'avait déshabillée puis revêtue de son sweat-shirt, les longues
jambes et le ventre plat.
Etant donné qu'elle connaissait son nom,
son origine et qu'elle désirait apprendre à se battre, MacLeod se douta qu'elle
savait également qui il était réellement. Il décida donc de jouer franc jeu
avec elle : ce n'était sûrement pas pour prendre quelques cours de self-défense
qu'elle avait choisi son dojo.
"Et
pourquoi désirez vous vous battre ?" répondit-il, prenant place dans son
fauteuil face au divan.
"Cela
ne vous regarde pas," répliqua-t-elle sèchement. Puis elle ajouta,
radoucie, "Je suis désolée, je... je ne peux pas vous le dire... Pas pour
l'instant".
Baissant les yeux de nouveau, elle
termina la soupe tiède et posa la tasse sur la petite table devant elle,
prenant garde à ne pas trop solliciter son bras blessé.
"Je
suppose également que ce n'est pas la peine de vous demander qui vous a tiré
dessus", reprit MacLeod, un brin ironique.
"Ecoutez...
,"commença Lee-Ann.
"Non,
vous, écoutez-moi : il est tard, vous êtes fatiguée, Dieu sait combien de temps
vous avez marché pour trouver cet endroit ; vu votre état, je pense que vous
n'avez pas pris de taxi... Alors nous en resterons là pour ce soir. J'ai une
chambre prête à côté : vous allez dormir ici et nous verrons tout cela demain.
Je suppose que de toute façon vous n'avez pas où dormir non plus".
Lee-Ann ne répondit pas.
"Tu
avais raison Sam, un vrai chevalier servant," pensa-t-elle alors que la
mélancolie semblait vouloir l'envahir de nouveau. "Mais je crois qu'il va
accepter. Oui, je crois qu'avec son aide, je pourrai te venger Sam. Et je le
tuerai."
* * *
Lee-Ann s’éveilla en sursaut,
tremblante et trempée de sueur. Depuis cette terrible nuit, le même cauchemar
ne cessait de la hanter. Elle revoyait Sam, revivait leur fuite éperdue, les
coups de feu, son sang... Le soleil était déjà haut dans le ciel : elle
avait dû dormir longtemps. Elle se força à reprendre ses esprits et à chasser
les mauvais rêves.
Son passeport était posé sur la table de
chevet, quelque peu déformé par la pluie de la veille mais, en dehors de cela,
apparemment intact. MacLeod ne semblait pas l'avoir ouvert puisque les pages
étaient encore collées entre elles, l'encre ayant à certains endroits déteint.
Les quelques dollars pliés étaient également là où elle les avait laissés,
ainsi que la photo de Sam, mais Lee-Ann ne la regarda pas. Pas encore. Il était
trop tôt.
Cette
simple pensée rappela à elle la douleur et le chagrin. Une fois de plus, elle
s'efforça de transformer sa souffrance en la froide haine qui lui donnerait la
force nécessaire pour ce qui allait devenir son combat. Et cette haine
grandissait de jour en jour semblait-il.
Elle se leva et trouva MacLeod dans
le séjour-cuisine, préparant du café.
"Vous
trouverez des vêtements dans la salle de bains, lança-t-il par-dessus son
épaule. Je crois qu'ils vous iront".
L'eau aussi chaude qu'elle pouvait
le supporter, et prenant garde à ne pas mouiller son bras blessé, Lee-Ann resta
un long moment sous la douche, évacuant ainsi les restes de sa fatigue de la
veille et des rêves de la nuit. Puis, s'enroulant dans une serviette posée à
côté, elle jeta un oeil aux vêtements qu'il avait sorti : un jean bleu et une
tunique à manches longues, blanche, et très douce. Ils étaient en effet à sa
taille. Elle réalisa alors que ces habits avaient peut-être appartenu à Tessa :
elle se souvint de la tristesse dans le regard de Sam lorsqu'il lui avait
raconté la mort quelques années auparavant de celle qui avait été la compagne
de MacLeod pendant 12 ans, et de la compassion qu'ils avaient tous deux
ressenti pour cet Immortel condamné à voir tous ceux qu'il aimait mourir avant
lui. Les larmes lui vinrent aux yeux en songeant qu'elle-même était bien
mortelle et avait cependant assisté à la mort de celui qu'elle aimait plus que
tout. Chassant cette pensée de son esprit, elle retourna dans le séjour où
MacLeod buvait son café, assis dans le fauteuil qu'il occupait la veille. Une
autre tasse bien chaude attendait Lee-Ann sur le plan de travail à côté de
l'évier.
Elle la prit et vint s'asseoir dans
le canapé, face à MacLeod. Elle avait décidé de ne pas lui dévoiler qui elle
était réellement, de ne lui parler ni de Sam ni de Karl. Il ne semblait pas
pour l'instant avoir remarqué la cicatrice à l'intérieur de son poignet droit.
Il lui faudrait tout de même réussir à le convaincre de devenir son maître
d'armes. En piquant sa curiosité peut-être.
Avant même qu'elle n'ouvre la bouche, il
se leva et, s'approchant d'elle, lui fit signe de retirer sa tunique. Une bande
propre, des compresses et un antiseptique étaient posés sur la table basse, et
Lee-Ann comprit qu'il voulait renouveler son pansement. Sans mot dire, elle
passa précautionneusement le vêtement au-dessus de sa tête et étudia MacLeod
tandis qu'il défaisait le bandage de son bras. Elle l'avait bien sûr déjà vu au
cours d'une mission avec Joe, mais elle ne l'avait jamais approché de si près.
Il y avait effectivement cette grande douceur dans son regard dont Sam lui
avait parlé, cet air calme, de force tranquille, mais également de volcan
endormi, prêt à se réveiller. Il y avait aussi quelque chose d'animal en lui,
une certaine grâce féline dans ses gestes et sa façon de se mouvoir.
Lui-même l'observa en coin. Elle ne
bougeait pas, immobile, presque tendue alors qu'il imbibait une compresse de
désinfectant et l'appliquait doucement sur la plaie. Elle ne broncha pas au
contact de la solution malgré la brûlure infligée par l'alcool, mais MacLeod
senti son bras se raidir et sa mâchoire se serrer.
"Elle
cherche à m'impressionner, se dit-il, ainsi qu'à m'intriguer. Sans doute pour
que j'accepte de l'aider sans qu'elle ait besoin de me fournir d'explications.
Peu importe, je finirai bien par gagner sa confiance".
De toute façon, MacLeod avait décidé
d'aller jusqu'au bout de cette affaire dans laquelle il était impliqué,
semblait-il, avant même qu'il ne la rencontre.
"Que
me caches-tu Lee-Ann O'Donnell ?", questionna-t-il mentalement, "Et
en quoi suis-je lié à tout cela".
Le saignement de la veille avait été
stoppée par le nouveau pansement et la cicatrisation allait pouvoir se
poursuivre. MacLeod saisit la bande propre et l'enroula avec un savoir-faire de
secouriste autour du bras de Lee-Ann. Comme elle enfilait à nouveau le pull, il
remarqua pour la première fois son poignet droit et la cicatrice presque
circulaire juste sous la paume. Suivant son regard, Lee-Ann s'empressa de la
recouvrir avec la manche de la tunique.
MacLeod se rassit ensuite dans son
fauteuil pour terminer son café. Il étudiait silencieusement Lee-Ann, attendant
qu'elle veuille bien lui en dire un peu plus.
"Etes-vous
prêt à m'aider ?", lui demanda-t-elle tout de go.
"Vous
me demandez si j'accepte de vous apprendre à vous battre ?" répondit
MacLeod. "Très bien, mais, quelle technique de combat suis-je sensé vous
enseigner ?", ajouta-t-il après un moment, curieux.
Lee-Ann se leva et s'approcha de la
cheminée à droite du divan. Elle saisit à deux mains, malgré son bras blessé,
le katana de MacLeod posé sur le manteau, se retourna lentement vers lui et, plantant
à nouveau son regard dans le sien, répondit :
"Je
veux apprendre à me servir de ça".
"Nous
y voilà !", songea MacLeod.
Il ne faisait maintenant aucun doute dans
son esprit que Lee-Ann en avait après un Immortel. Mais pour quelle raison ? Et
pourquoi était-elle venue demander à MacLeod de l'initier ? Elle le fixait avec
la même expression de défi de la veille, et il décida de lui poser la question.
"Parce
que vous êtes le meilleur", répondit-elle sans sourciller.
Un léger sourire se dessina sur les
lèvres de MacLeod.
"Parce
que je suis le meilleur ?", répéta-t-il, s'approchant d'elle. Il retira
délicatement le sabre des mains de Lee-Ann et le replaça là où elle l'avait
trouvé sur la cheminée.
"Et
qu'est-ce qui peut bien vous faire croire que je suis le meilleur ?",
reprit-il, amusé.
"Oh,
mais votre réputation n’est plus à faire, et vous le savez, Duncan MacLeod du
Clan MacLeod", lui rétorqua Lee-Ann.
Comme MacLeod ouvrait la bouche pour
répliquer, elle ajouta rapidement, le fixant une fois de plus de son regard
déterminé :
"…Ecoutez
MacLeod, je sais pertinemment que rien, absolument rien ne justifie que vous
acceptiez. Il n'est pas dans mes habitudes de tendre la main, mais vous êtes à
l'heure actuelle le seul vers lequel je puisse me tourner. J'ai réellement
besoin de votre aide MacLeod, même si pour l'instant je ne peux vous expliquer
pourquoi. Pas encore..."
Elle s'interrompit, attendant la réaction
de MacLeod, mais son visage ne reflétait rien de ce qu'il pouvait penser à cet
instant. Se pouvait-il qu'il refuse ? Mais après tout, pourquoi
accepterait-il... Il la dévisagea ainsi sans mot dire pendant de longues
secondes, puis ses traits se détendirent, ses lèvres s'étirèrent en un demi
sourire, et, se dirigeant vers le porte-manteaux pour enfiler son pardessus, il
répondit :
"Bien.
Je dois sortir, j'en ai pour une heure ou deux. Reposez-vous pendant ce
temps-là. Nous reparlerons de tout ça à mon retour."
Refermant la porte du monte-charge, il
appuya sur le bouton et fit un signe de la main tandis que l'élévateur
s'ébranlait vers le rez-de-chaussée, laissant Lee-Ann debout dans le séjour, un
air de grande perplexité sur le visage.
* * *
MacLeod avait bien l'intention de tirer
cette histoire au clair.
Tout d'abord, il décida d'aller glaner
quelques informations auprès de Joe. Le secret de Lee-Ann était en rapport avec
les Immortels, cela ne faisait plus aucun doute maintenant. Et puis, il y avait
ces noms, Sam, et Karl, que Lee-Ann avait prononcé cette nuit. Des rêves
avaient dû venir la hanter car il l'avait entendue à plusieurs reprises parler
ou même pleurer pendant son sommeil, et appeler ces deux noms tour à tour. Il
n'avait osé la réveiller, mais il sentait que Lee-Ann était en proie à des
sentiments intenses et contradictoires. MacLeod ne connaissait aucun Sam ou
Karl, du moins aucun qui puisse être lié d'une façon ou d'une autre à cette
jeune irlandaise qui avait fait irruption chez lui la veille pour chercher du
secours, mais peut-être que Joe pourrait le renseigner.
Il arriva au pub et poussa la porte,
enlevant ses lunettes de soleil pour permettre à ses yeux de s'habituer à la
semi-pénombre qui régnait toujours dans les lieux. Joe n'était pas au bar mais
il y trouva Mike qui s'occupait généralement du pub en son absence.
"Salut
MacLeod !", lança-t-il à l'adresse du Highlander.
"Salut
Mike ! Joe est là?"
"Je
suis désolé Mac", répondit Mike tandis qu'il rangeait les verres derrière
le comptoir, "mais Joe est parti en Europe il y a trois jours pour une
mission spéciale. Je n'ai aucune idée de la date de son retour..."
"Une
mission spéciale ? Mais je croyais que Joe était MON guetteur, Mike !",
répondit MacLeod avec un large sourire, "il me fait donc des infidélités
?".
"Ah,
désolé Mac, mais je ne peux rien te dire ! De toute façon, je ne sais pas
moi-même de quoi il retourne. Joe m'a appelé mercredi en me demandant de bien
vouloir m'occuper du bar car il partait en Europe quelque temps, mais je n'en
sais pas beaucoup plus. Je lui demande de t'appeler dès son retour si tu veux."
"D'accord
Mike, on fait comme ça", répondit MacLeod en reprenant le chemin de la
porte. Il était à l'évidence inutile d'insister, Mike ne lui dirait rien de
plus. "A bientôt !" ajouta-t-il avec un geste de la main en sortant.
Tout en remettant ses lunettes sur son
nez, MacLeod réfléchit à ce que Mike lui avait dit. Joe parti en mission
spéciale en Europe, une mission apparemment quelque peu confidentielle qui plus
est, tout cela l'étonnait un peu de la part de son vieil ami. Il n'était pas
dans ses habitudes de cacher des choses à MacLeod, même en ce qui concernait
les guetteurs... "Bah, après tout, se dit-il, cela n'a peut-être aucun
rapport avec moi, alors pourquoi Joe viendrait-il me parler d'une chose qui ne
me regarde pas ?"
Remontant dans sa voiture, il décida de
passer voir Methos. Peut-être pourrait-il l'aider à trouver des réponses à
propos de Lee-Ann. Malheureusement, le plus vieil Immortel non plus ne semblait
pas être chez lui.
"Eh
bien tant pis, se résigna MacLeod, je me passerai d'eux pour l'instant."
Il ne manquerait cependant pas de leur en
toucher un mot dès que l'un ou l'autre serait de retour à Seacouver.
En attendant, il lui fallait s'occuper de
Lee-Ann. Puisqu'elle voulait apprendre à se battre, il lui enseignerait le
maniement de l'épée. Mais il comptait également essayer de gagner la confiance
de la jeune femme pour l'amener à
s'ouvrir à lui et livrer le secret qui la hantait.
* * *
Restée seule, Lee-Ann s'assit sur le
canapé, se demandant quelle pourrait bien être la décision de MacLeod. Sa
réaction était surprenante, et elle ne savait qu'en penser. Se pourrait-il
qu'il refuse ? Elle ne le croyait pas vraiment, mais sa conduite la
laissait perplexe et quelque peu désemparée. Peut-être aurait-elle dû se
tourner plutôt vers Joe... Non, il lui fallait couper tout lien avec les
guetteurs pour l'instant. Mieux valait qu'ils la croient morte. Si personne ne
savait où elle était, alors personne ne serait en mesure de le révéler, de gré
ou de force. Et puis, elle avait promis à Sam d'aller trouver MacLeod. Il
connaissait suffisamment le Highlander pour prévoir sa réaction et savoir qu'il
accepterait d'aider Lee-Ann, quelle qu'en soit la raison. Ses derniers mots
avaient été pour que Lee-Ann lui fasse le serment de demander la protection de
Duncan, et elle avait tenu parole. Mais Lee-Ann s'était également fait une
promesse à elle-même : elle vengerait Sam, coûte que coûte. Même si elle devait
y laisser la vie, elle n'aurait de répit avant d'avoir eu la tête de Karl.
MacLeod deviendrait non seulement son protecteur comme l'avait souhaité Sam,
mais également son maître d'armes.
Ses réflexions avaient une fois de
plus ramené à elle le souvenir de Sam, et elle se leva pour chasser ses pensées
et ne pas céder place au chagrin. Elle savait que le temps finirait par panser
ses plaies et que la douleur s'estomperait finalement, mais pour l'instant la
souffrance qui l'étreignait depuis cinq jours était si forte qu'elle en avait
du mal respirer.
Lee-Ann décida donc de s'occuper, et
elle entreprit en premier lieu de faire le tour du propriétaire. Après un
rapide coup d'œil à l'étage, elle descendit au dojo. Là, elle ne trouva que
quelques tatamis, de grands bâtons de bois utilisés pour l'entraînement au
kendo et un vieux sac de punching-ball. Des espaliers contre le mur du fond, et
le bureau vide de MacLeod à droite. Saisissant un des bô, elle s'employa à le
manier de son bras valide, mais manquait de dextérité. Elle-même était
entraînée à quelques techniques de combat, notamment grâce à l'enseignement de Sam
qui excellait dans presque toutes les sortes de boxe. Lee-Ann avait une
préférence pour la boxe française, la savate, que son père pratiquait
également.
Elle tenta de se concentrer sur le bâton,
le faisant tournoyer autour d'elle d'un rapide mouvement du poignet, mais son
geste manquait de fluidité. Elle faisait dos à la porte et ne vit donc pas
MacLeod entrer sans bruit dans le dojo. Il s'arrêta sur le seuil et l'observa
quelques instants avant de lui lancer :
"Eh
bien, je vois que vous ne perdez pas de temps ! !"
Surprise, Lee-Ann se retourna
brusquement, en position de défense, brandissant le boken devant elle comme
pour parer une éventuelle attaque. Reconnaissant MacLeod, elle abaissa le sabre
et répondit, furieuse et gênée de s'être ainsi laissée surprendre :
"Comme
vous voyez..."
Elle se retourna vers le mur pour
remettre l'arme à sa place et vint rejoindre MacLeod dans le monte-charge pour
regagner l'étage. Ce dernier l'observa en coin : elle était légèrement
essoufflée par l'effort, et sa poitrine se soulevait à un rythme rapide.
Quelques gouttes de sueur perlaient sur son cou et son front que Lee-Ann essuya
d'un revers de la main, écartant les mèches rebelles qui retombaient devant ses
yeux. MacLeod prit soudain conscience de la certaine attirance qu'il éprouvait
pour la jeune femme, et détourna son regard d'elle, gêné.
Arrivés au premier, elle releva elle-même
la barrière de bois et alla prendre place dans le canapé sans mot dire. MacLeod
sortit de l'ascenseur, et Lee-Ann remarqua seulement alors les paquets qu'il
tenait à la main. Il alla en poser un sur le plan de travail de la cuisine et,
gardant les deux plus gros, il rejoint Lee-Ann et les lui tendit avec un
sourire :
"C'est
pour vous. Il me semble avoir pris les bonnes tailles, j'espère que cela vous
conviendra."
Lee-Ann ouvrit le sac et en sortit,
médusée, un jean, un pantalon de toile noire, un jogging, plusieurs tee-shirts
de forme et de couleurs différentes, un sweat-shirt, un plus petit sac
contenant des sous-vêtements et, pour finir, une brassière et un short d'une
grande marque sportive. Le second paquet contenait une paire de baskets
blanches et une paire de chaussures de marche.
"Nous
verrons plus tard pour le reste, mais c'est tout ce dont vous aurez besoin pour
l'instant."
Lee-Ann le dévisageait sans mot dire.
Cela ne pouvait signifier qu'une chose : MacLeod acceptait de l'aider. MacLeod
lui rendit son regard et lui sourit une fois de plus. D'un geste, il balaya les
mots que Lee-Ann cherchait et, se dirigeant vers la cuisine, ajouta d'un ton
léger :
"Nous
partons cet après-midi pour commencer votre entraînement, mais en attendant,
j'ai une faim de loup, pas vous ?"
* * *
Chapitre
2
MacLeod engagea le 4x4 dans le petit
chemin qui disparaissait presque entièrement sous les broussailles et manœuvra
le plus délicatement possible pour éviter branches et nids-de-poule. Lee-Ann
était endormie depuis presque une demi-heure. Son sommeil semblait paisible, et
sachant quelle nuit agitée elle avait passé, il préférait ne la réveiller qu'au
dernier moment
Ils arrivèrent enfin au chalet et MacLeod
gara la voiture à l'arrière de la petite maison, là où elle serait le moins
visible. Il serra le frein à main, éteignit les phares puis se tourna vers
Lee-Ann. Sa tête reposait sur son épaule contre la ceinture de sécurité et ses
cheveux détachés recouvraient son visage. MacLeod tendit la main pour écarter
les mèches tombant sur son front mais Lee-Ann s'éveilla à ce moment-là, alertée
par la soudaine absence de mouvement du véhicule. MacLeod retira sa main
vivement, gêné sans savoir pourquoi de son geste avorté.
"Nous
sommes arrivés?" demanda-t-elle d'une voix légèrement ensommeillée.
"Exact
!" répondit MacLeod, ouvrant la porte du 4x4 pour sortir. "Vous allez
voir, un véritable petit coin de Paradis blotti dans les bois. Confort,
tranquillité, et...entraînement !", ajouta-t-il avec un sourire
comme il lui ouvrait la portière côté passager et lui tendait la main pour
l'aider à descendre.
Au lieu de cela elle sauta
prestement du marchepied et fit quelques pas, jetant un coup d'œil autour
d'elle. Le soleil était en train de se coucher mais les dernières lueurs du
jour étaient suffisantes pour embrasser du regard le paysage alentour. Le
chalet était aux trois quarts bordé par la forêt de pins et autres conifères
dont la sève répandait un parfum suave. Lee-Ann inspira profondément : l'odeur
était très différente de celle de la nature européenne qu'elle connaissait bien
et affectionnait tant. Quelques grillons hardis entonnaient déjà leur chant
nocturne, tandis que les oiseaux lançaient leurs derniers trilles comme pour se
souhaiter bonne nuit.
La face avant de la maison, tournée
vers l'ouest, donnait sur un plateau formant un promontoire sous lequel
s'étendait un lac, encaissé dans une petite vallée. Les derniers rayons du
soleil disparaissant derrière la montagne se reflétaient dans les eaux calmes
du lac, offrant à Lee-Ann un magnifique spectacle pour son arrivée. MacLeod la
rejoignit sur le promontoire. Il ne se lassait jamais d'admirer le soleil
s'évanouissant ainsi derrière la crête de la colline pour aller répandre sa
chaleur et sa lumière vers d'autres contrées.
Une légère brise se leva à l'instant
précis où le dernier rayon se fondait dans les eaux obscures, laissant
finalement place aux ténèbres pour quelques heures, et Lee-Ann frissonna sous
le gros pull emprunté à MacLeod. Celui-ci esquissa une fois encore un geste
vers elle, comme l'entourer de son bras, mais Lee-Ann fit demi-tour et retourna
vers la voiture avant même qu'il n'ait terminé son mouvement.
Elle prit ses quelques affaires dans
le coffre, suivie de MacLeod qui se dirigea ensuite vers la porte du chalet.
C'était une construction en bois simple, de plain-pied, entourée de trois
quarts par une terrasse de planches brutes que les éléments avaient, au fil des
années et malgré l'avancée du toit, fini par détériorer. Duncan déverrouilla la
porte et la précéda à l'intérieur, allumant la lumière. Lee-Ann entra alors
dans un petit vestibule qui devait également servir de remise car deux immenses
étagères remplies de bocaux et vivres diverses tapissaient le mur. Elle imagina
soudain MacLeod préparant conserves et confitures l'été venu, un tablier blanc
tâché de jus de mûres autour de la taille, et ne put réfréner un sourire.
Une porte se présentait à sa gauche, que
le Highlander ouvrit sur une petite cuisine. Tout comme le reste de la maison,
celle-ci était en bois et très simplement aménagée : à sa gauche, sous la
fenêtre, un évier, une vieille gazinière et un réfrigérateur. À sa droite, une
simple table, deux chaises et un petit buffet. La cloison qui lui faisait face
présentait une large ouverture sur toute la partie supérieure, ne séparant
ainsi qu'à moitié la cuisine du séjour. Elle suivit MacLeod dans la pièce
principale qui formait un L puis dans un petit couloir sur la droite.
"Salle
de bain", annonça-t-il laconiquement en désignant la première porte à
gauche. Il en ouvrit une deuxième quelques pas plus loin, alluma la lumière, et
invita Lee-Ann à entrer.
"Et
votre chambre", ajouta-t-il. La pièce ne comprenait qu'un large lit sur
lequel Lee-Ann déposa son sac, une table de chevet et une imposante armoire
rustique.
"Ce
n'est pas le grand luxe mais..."
"C'est
parfait MacLeod", l'interrompit Lee-Ann, se tournant vers lui. "Vraiment
parfait", ajouta-t-elle avec un sourire.
"Bien
!", lui répondit-il en souriant à son tour, "Je vais chercher le
reste des affaires. Faites comme chez vous."
Il fit demi-tour et Lee-Ann se dirigea
vers la porte-fenêtre à droite. Elle ouvrit les battants, poussa les épais
volets dont le bois gémit plaintivement et sortit sur la terrasse. Les planches
craquaient sous ses pieds. Le promontoire sur lequel ils avaient admiré les
derniers rayons du soleil était à quelques pas, et elle pouvait deviner les
eaux noires du lac en contrebas. Il faisait nuit maintenant, et le ciel sans
nuage au-dessus des montagnes était constellé d'étoiles. Accoudée à la
rambarde, elle dirigea son regard vers le firmament, et il lui sembla un
instant apercevoir parmi les astres le visage de Sam lui souriant. Fermant les
yeux, elle inspira profondément et chassa la vision de son esprit. Un
grincement derrière elle la fit sursauter et, se retournant, elle vit sur sa
droite MacLeod ouvrant les volets de sa chambre.
"Profitez-en
pendant qu'il est temps", lui dit-il, la rejoignant sur la terrasse.
"Les nuits sont encore fraîches, mais d'ici quelques jours les moustiques
nous rendrons la vie impossible, vous verrez !"
Elle sourit une fois de plus, de ce
sourire empreint de la tristesse que MacLeod espérait déjà voir disparaître.
"Vous
voulez manger quelque chose?", demanda-t-il. "Il y a de..."
"Non,
ça ira, je vous remercie. Je crois que je vais aller me coucher, si vous n'y
voyez pas d'inconvénient..."
"Non,
vous avez bien raison, dormez, car demain commence ce pour quoi vous êtes venue
me trouver, et je peux vous dire que vous allez être servie !",
répondit-il avec un air malicieux. "Bonne nuit.", ajouta-t-il avant
de se diriger vers sa fenêtre.
"MacLeod
!"
"Oui ? "dit-il
en se retournant vers elle.
Elle le fixa un instant sans mot dire,
ses yeux verts plongeant dans ceux du Highlander de cet air à la fois déterminé
et fragile qu'il ne tarderait pas à connaître.
"Merci,
MacLeod", reprit-elle finalement d'une voix douce.
Il ne répondit pas, se contentant de
hocher la tête avant de regagner sa chambre.
Lee-Ann rentra dans la sienne. Elle ne
referma pas les volets, et entrebâilla la porte-fenêtre de façon à laisser
passer un mince filet d'air. Elle n'aurait sûrement pas froid sous l'épaisse
couverture de Patchwork recouvrant le lit. Sans prendre la peine de défaire son
sac, elle enfila l'un des tee-shirts achetés par MacLeod et se glissa entre les
draps avant d'éteindre la lumière. Elle espérait que sa fatigue lui permettrait
de plonger rapidement dans un sommeil sans cauchemar. Mais le même rêve revint
à nouveau la hanter.
* * *
"Lee-Ann?
Lee-Ann, tu es là?"
"Par
ici Sam!" l'entendit-il répondre joyeusement.
Sam contourna la maison et aperçut
Lee-Ann à l'orée de la forêt, sur le petit sentier menant à la rivière.
L'apercevant à son tour, elle lui sourit,
levant la main pour lui faire signe. Spike gambadait autour d'elle, sa queue
fouettant l'air avec enthousiasme, et il se mit à japper en apercevant son
maître qui se dirigeait vers eux sur le chemin les ramenant à la maison.
"Où
étais-tu?", demanda Sam, inquiet, "je t'ai cherchée partout!"
"Je
suis seulement partie faire une promenade, Sam. Nous sommes descendus à la
rivière. Allons, ne t'inquiète pas, Spike était là tu sais, en bon chien de
garde!" Elle se baissa pour passer ses bras autour du cou du berger
allemand et le gratter énergiquement entre les oreilles.
"Et
puis regarde, elles sont jolies, non?", ajouta-t-elle avec son plus beau
sourire, brandissant un bouquet de fleurs sauvages multicolores.
"Lee-Ann...",
répondit Sam en la prenant dans ses bras. "Lee-Ann, tu sais bien que Spike
n'est qu'un chien. Il ne pourra rien si..."
"Je
sais!", l'interrompit-elle, se dégageant brusquement de son étreinte,
"mais rien ni personne ne pourra rien s'il nous retrouve Sam, tu le sais.
Nous fuyons déjà, allons-nous devoir également nous terrer dans un blockhaus
pour le reste de nos jours?", ajouta-t-elle, les yeux remplis de larmes de
rage et d'impuissance. Elle jeta violemment les fleurs au loin, se détournant
de lui.
Sam
l'enlaça à nouveau, malgré sa résistance, la serrant fort tout contre lui, et
lui murmura à l'oreille :
"Je
sais Lee-Ann, pardonne-moi, je suis désolé, j'ai eu peur...Chut, tout va bien,
tu as raison, personne ne nous trouvera ici...Chut...", Il la berça
tendrement jusqu'à ce qu'elle s'apaise, et ils retournèrent ainsi l'un contre
l'autre vers la petite maison.
Huit heures plus tard, Sam mourait dans
ses bras.
* * *
Une délicieuse odeur de café frais et de bacon
grillé tira Lee-Ann du sommeil dans lequel elle avait fini par sombrer au lever
du jour.
Elle était restée éveillée une partie de
la nuit après le cauchemar, craignant une fois encore de se rendormir pour le
revivre à nouveau. Elle n'avait aucune idée de l'heure qu'il était, mais une
lumière éclatante baignait la chambre, signe que le soleil brillait déjà depuis
quelque temps.
Elle enfila une vieille robe de chambre
trouvée dans l'armoire aux côtés d'une paire de draps et de linge de toilette
et sortit pour rejoindre MacLeod dans la cuisine.
"Bonjour
!" lui lança-t-il. "Bien dormi ?"
"Comme
un bébé" répondit Lee-Ann sans croiser son regard.
Il savait qu'il n'en était rien car
il l'avait à nouveau entendue gémir et parler pendant son sommeil, mais il
préférait ne pas lui en faire part. L'inconscient devait parfois traiter seul
de problèmes que la raison préférait ignorer, ou oublier.
Il avait sorti la table et les chaises
sur la terrasse de façon à pouvoir profiter du soleil matinal pour le petit-déjeuner
et y disposa deux assiettes garnies d'œufs brouillés au bacon. Tandis que
Lee-Ann prenait place, il alla chercher deux tasses de café et deux verres de
jus de fruit.
"Rien
de tel qu'un petit-déjeuner consistant pour démarrer une journée d'entraînement!"
déclara-t-il en s'asseyant à son tour.
La tête rejetée en arrière, les yeux
fermés, Lee-Ann laissait les rayons caresser son visage.
"Quel
est le programme ?", demanda-t-elle, se tournant vers le Highlander.
"En
premier lieu, un peu d'endurance, que je vois ce dont vous êtes
capable...", répondit-il avec un air mystérieux. "De plus, il faut
laisser du temps à votre bras. Tenue recommandée : shorts et chaussures de
marche !"
Lee-Ann termina son café mais se
contenta de quelques bouchées d'œufs brouillés. Elle retourna ensuite à
l'intérieur pour se doucher et se préparer. Lorsqu'elle se fut habillée, son
bras bandé de neuf, elle retrouva MacLeod sur la terrasse. Les cheveux du
Highlander étaient, comme à l'accoutumée, ramenés en arrière en une simple
queue-de-cheval. " Un catogan " corrigea-t-elle
mentalement.
Lee-Ann quant à elle avait opté pour de
courtes nattes, afin de dégager sa nuque pour ne pas souffrir de la chaleur. On
était au premier jour du printemps, la journée s'annonçait belle, et elle ne
doutait pas que la balade proposée par MacLeod lui ferait bientôt apprécier
avec gratitude la fraîcheur des sous-bois.
Rien ne lui permettant de camoufler la
cicatrice de son poignet, elle avait décidé de ne plus s’en soucier. Il ne
faisait de toute façon aucun doute que MacLeod l’avait à présent remarquée, et
continuer à la dissimuler ne pourrait que faire naître des soupçons. Elle
aviserait en temps et en heure s’il décidait de la questionner à ce sujet, ce
dont elle doutait fort cependant.
"Prête?",
lui demanda-t-il en lui tendant un sac à dos léger contenant de l'eau et des
provisions pour la journée.
"Allons-y!"
Elle emboîta le pas de MacLeod qui se
dirigea vers l'est, à l'opposé du promontoire dominant le lac, empruntant un
petit sentier qui s'enfonçait dans la forêt.
La légère brise faisait bruisser les
jeunes feuilles des arbres et berçait les cimes des pins. Le chemin commença à
monter au bout de quelques centaines de mètres, et MacLeod continua à le
suivre. La terre était humide, meuble, tapissée d'aiguilles de conifères,
offrant ainsi une résistance élastique idéale sous leurs semelles. La côte se
révéla bientôt de plus en plus raide, et le sentier ne devint plus qu'une trace
qui s'effaça peu à peu parmi les rochers. L'ascension se fit plus lente et plus
difficile, mais Lee-Ann continuait de suivre de près MacLeod qui progressait
avec aisance, prenant appui ici ou là pour escalader un talus ou enjamber une
dépression.
Ils marchèrent ainsi toute la matinée
sans échanger un seul mot. MacLeod s'arrêtait parfois pour tendre la main vers
une branche ou le sol, doigt tendu, et Lee-Ann découvrait alors un écureuil, un
pic-vert, ou l'empreinte d'un orignal dissimulée sous le feuillage.
Seul le pépiement des oiseaux les
accompagna jusqu'à la mi-journée, où, arrivés sur un haut plateau, ils
s'assirent enfin pour déjeuner. La vue était encore plus magnifique que celle
dont avait profité Lee-Ann la veille, offrant un panorama de vallées aux lacs
encaissés et de montagnes à la végétation dense et verdoyante sous les premiers
rayons de soleil du printemps.
MacLeod l'observa en coin, tandis qu'elle
mouillait un pan de son tee-shirt avec un peu d'eau de sa gourde pour se
rafraîchir le visage. Elle ne s'était laissée distancer à aucune reprise, le
suivant pas à pas malgré le rythme soutenu et la progression difficile. Elle
devait bien savoir que c'était un test, et elle comptait apparemment le passer
avec succès, tout comme elle avait cherché à impressionner MacLeod auparavant.
Et il devait bien admettre qu'elle s'en tirait haut la main. À part la blessure
de son bras, elle était en effet en excellente condition physique et ferait une
remarquable élève. Elle se révélait donc un véritable challenge à tous points
de vue pour MacLeod, et il lui tardait de commencer pour de bon l'entraînement
afin d'évaluer son potentiel réel.
Il ne s'était pas rendu compte qu'il
avait gardé les yeux rivés sur elle le temps de sa réflexion, et elle le
dévisageait maintenant perplexe, scrutant son visage pour tenter d'y lire le
reflet de ses pensées, tandis que la légère brise qui se levait faisait
voltiger sur son front les quelques mèches échappées de ses tresses.
MacLeod retourna à son sandwich et
Lee-Ann dirigea à nouveau son regard vers l'horizon. Le ciel était d'un bleu
lumineux, parsemé çà et là de petits nuages blancs semblables à quelques
moutons égarés. Le silence de MacLeod faisait partie de l'entraînement,
devina-t-elle, mais elle n'était pas fâchée de cette tranquillité muette - et
complice.
Ils reprirent la route au bout d'une
heure, passant rapidement sur l'autre versant de la montagne pour amorcer une
descente non moins fatigante que l'escalade du matin car plus périlleuse.
MacLeod progressait avec prudence, effectuant chaque pas avec soin, et Lee-Ann,
attentive, posait ses pieds à l'endroit même où le Highlander laissait une
empreinte invisible. Au bout de deux heures de marche, le clapotis de l'eau se
fit entendre faiblement, et ils atteignirent bientôt un ru étroit serpentant
entre les arbres et les rochers pour dévaler la montagne. MacLeod le suivit sur
environ un kilomètre avant de faire signe à Lee-Ann de s'arrêter. Il mit un
doigt sur ses lèvres avec un sourire pour lui intimer la plus grande
précaution, et, la prenant par son bras valide, la mena sans bruit à quelques
pas. Ils s'accroupirent et MacLeod tendit la main vers le bas. Le visage de
Lee-Ann s'éclaira à son tour.
Le petit ruisseau s'élargissait
rapidement devant eux jusqu'à former une vaste étendue d'eau. Un barrage de
branchages retenait la progression du courant sur le bas de la pente, tandis
qu'en contrebas une série de petits bassins se succédaient les uns aux autres
avant que le cours d'eau ne reprenne sa route le long des flancs boueux du
versant. Quatre petits lacs se succédaient ainsi en paliers réguliers de taille
décroissante, séparés les uns des autres par la même construction de bois mort
empêchant l'eau de poursuivre sa course trop rapidement vers le bas du coteau.
Lee-Ann réalisa alors que la plupart des arbres alentour avaient été abattus,
formant une clairière hérissée de souches et de branches taillées par le petit
rongeur aux dents longues qui avait décidé de s'installer ici.
Le castor avait bâti sa hutte au milieu
du premier bassin.
Lee-Ann et MacLeod demeurèrent immobiles
et silencieux un long moment, les yeux rivés sur le minuscule ouvrage. Lee-Ann
n'aurait su dire combien de temps ils restèrent ainsi accroupis sans bouger,
mais un léger frémissement fini par agiter les eaux calmes, non loin de demeure
du castor. Une onde concentrique se propagea lentement, tandis qu'au centre
apparaissait un petit museau curieux, bientôt rejoint par les yeux et les
oreilles qui formèrent ainsi la tête du petit animal qu'ils guettaient depuis
leur arrivée. Nageant silencieusement, le castor contourna l'îlot de sa tanière
et s'y hissa. Prenant appui sur ses pattes arrière et sa queue musclée, il se
redressa, museau tendu, pour humer l'air. Malgré la distance, Lee-Ann et
MacLeod pouvaient distinctement voir frémir ses moustaches tandis qu'il
tournait la tête de droite à gauche, attentif. Il se figea soudain, tous ses
sens en alerte. En un mouvement vif, il leur fit face, et Lee-Ann aurait pu
jurer qu'en cet instant ses petits yeux bruns rencontrèrent directement les
siens. Il conserva la pose quelques instants, juché sur son arrière-train, puis
plongea brusquement pour disparaître sans bruit dans les eaux paisibles.
Sans un mot, MacLeod lui effleura le
bras, donnant ainsi le signal du départ. Ils reprirent leur chemin, silencieux.
Ce ne fut que lorsqu'ils atteignirent une clairière plus dégagée que Lee-Ann
réalisa que le soleil amorçait déjà sa descente vers les collines. La lumière
commença à diminuer alors qu'ils arrivaient au pied de la montagne, et
lorsqu'ils atteignirent enfin le chalet, ce fut pour voir disparaître les
derniers rayons à l'horizon. Lee-Ann s'approcha du promontoire pour observer à
nouveau les ultimes instants du coucher de soleil. MacLeod l'y rejoignit.
Lee-Ann conserva le silence,
attendant que le Highlander prenne la parole. Au bout de quelques minutes, il
finit enfin par parler :
"Je
m'occupe du dîner, si vous voulez aller prendre une douche ou vous
reposer..."
"Merci",
répondit-elle. "Je crois en effet qu'une bonne douche fraîche me fera le
plus grand bien", ajouta-t-elle en souriant, se dirigeant vers l'entrée de
la maison.
Lorsqu'elle revint dans le séjour, vêtue
du jean délavé et d'un tee-shirt blanc, pieds nus, ses cheveux encore mouillés
libres sur ses épaules, MacLeod finissait de dresser la table.
Une flambée était allumée dans la
cheminée, et Lee-Ann réalisa que si la journée avait été belle et chaude, cette
première soirée de printemps était encore assez fraîche pour justifier
agréablement un bon feu. Une appétissante odeur provenant de la cuisine où
mijotait une marmite rappela soudain à Lee-Ann qu'elle était affamée.
Tandis que MacLeod prenait son tour dans
la salle de bain, elle s'assit dans l'un des confortables fauteuils face à
l’âtre et repensa à l'agréable balade qu’avait été cette première journée
d’entraînement. L’effort et le grand air avaient eu comme effet d’éloigner pour
quelques heures les souvenirs qui la taraudaient. Lee-Ann espérait avoir été à
la hauteur des espérances du Highlander, et se demandait bien ce que MacLeod
lui réservait pour le lendemain. Lorsqu’elle lui posa la question alors qu’ils
passaient à table, il sourit.
"Eh
bien, étant donné que vous semblez posséder toutes les qualités requises -
endurance, équilibre, souplesse - pour maîtriser la discipline que vous désirez
apprendre, nous pourrons dès demain passer à l’étape suivante pour voir ce que
vous savez faire en la matière. D’après le peu que j’ai vu hier, vous semblez
déjà connaître quelques techniques de combat, non ?"
"Oui,
je pratique un peu, la savate surtout. C’est mon père qui me l’a apprise".
"La
boxe française ? C’est un art martial très intéressant et très complet.
C'est aussi un de mes préférés. Votre père était français ?"
"Non,
irlandais, mais j'ai vécu en France pendant un certain temps..."
Elle se tut, baissant les yeux comme
pour signifier qu’elle n’en dirait pas plus sur ce sujet - pour ce soir du
moins. MacLeod se demanda soudain si son père était l’un des deux hommes
qu’elle avait appelés à plusieurs reprises dans son sommeil. Sam peut-être,
Karl n’étant pas un prénom aux consonances irlandaises. Encore une bribe
d’indice dans cet enchevêtrement incompréhensible de renseignements qu’il
commençait à glaner à propos de la jeune femme.
"Vous
parlez donc français, je suppose ?" lui demanda-t-il dans la langue
de Molière.
"Bien
sûr, c'est une langue que j'adore !" répondit-elle dans un français
impeccable, sans même une pointe d'accent.
Ils bavardèrent ainsi en français
pendant le reste du repas, tout en prenant garde l’un comme l’autre à ne pas
aborder de sujets trop personnels. Lee-Ann lui parla cependant de son
entraînement au combat, sans mentionner que c’était Sam qui avait parfait sa
technique à la mort de son père.
Elle devait admettre que MacLeod se
révélait un excellent cuisinier : le dîner était délicieux. Lee-Ann
insista ensuite pour faire la vaisselle, et, tandis que le Highlander restait
lire au coin du feu, elle préféra aller se coucher.
Cette nuit-là, elle dormit d’un
sommeil sans rêves.
* * *
Elle s’éveilla aux prémices de l'aube le
lendemain et s’habilla rapidement. Elle s’arrêta dans la cuisine pour une tasse
de café, mais y renonça finalement, se sentant légèrement nauséeuse rien qu’à
l’odeur de l’arabica se répandant dans la pièce. Elle se dit que cela devait
être lié aux antibiotiques pour son bras, et, empruntant la veste de
survêtement de MacLeod accrochée dans l’entrée, sortit dans l’air humide du
matin. Le soleil ne se lèverait pas avant de longues minutes, mais déjà la
luminosité ambiante était suffisante pour y voir clair.
Elle ne savait pas à quelle heure MacLeod
avait fini par se coucher, et elle avait décidé de commencer l'échauffement
sans lui. Ayant repéré le sentier qui descendait au lac, elle le suivit au pas
de course. L’herbe encore humide de rosée imprégnait ses chaussures. Elle atteignit
le bord du talus et descendit au ralenti la pente sablonneuse. Elle faillit
tomber lorsque son pied glissa sur une motte d’herbe détrempée, mais, balançant
ses bras à l'horizontale tel un funambule, elle rétablit son équilibre de
justesse.
Arrivée aux abords du lac, elle reprit sa
course le long de la petite plage de sable et de boue mélangés. Elle put
parcourir environ deux cents mètres avant que la forêt, formant un écran plus
dense, ne lui barre le passage au nord. La piste suivant le contour du lac
devait bien totaliser cinq à six kilomètres, alternant rives boisées et
étendues similaires à celle sur laquelle Lee-Ann se trouvait. Elle préféra ne
pas continuer plus loin, et, revenant sur ses pas à petites foulées,
s’immobilisa et tourna le dos au promontoire pour effectuer quelques
assouplissements. La brise matinale créait à la surface de l'eau de minuscules
vagues venant doucement mourir aux pieds de Lee-Ann. Elle détendit d'abord ses
chevilles par de petits mouvements de rotation, puis les genoux et les cuisses,
avant de passer aux bras (en douceur pour le gauche) et aux poignets. La nuque
pour finir.
Enfin, fermant les yeux, elle inspira
profondément, leva les bras au ciel, et demeura ainsi un long moment, étirant
tous les muscles de son corps au maximum. Le soleil fit doucement son
apparition derrière elle, tandis que MacLeod l'observait en silence depuis le
promontoire.
Lorsqu'elle remonta environ une
demi-heure plus tard, elle trouva le Highlander attablé à l'extérieur comme la
veille. Du café l'attendait au chaud, et elle s'en servit une tasse, heureuse
que le malaise dû aux médicaments se soit dissipé.
"Puisque
vous êtes déjà échauffée, commençons tout de suite", lui lança joyeusement
MacLeod.
Il se dirigea vers le 4x4 et sortit deux
bô du coffre. Il invita Lee-Ann à le suivre sur le plateau rocheux et, se
postant à sa droite, tous deux face au vide, lui tendit un des bâtons. Jetant
un coup d'œil de côté, MacLeod constata avec satisfaction que la jeune femme
avait automatiquement adopté la position de base de la plupart des techniques
de combat - jambes fléchies, espacées de la largeur du bassin, pied droit en
avant.
"Tenez-le
bien en son centre, afin d'en conserver la maîtrise et l'équilibre, puis
faites-le tourner. Le mouvement doit être imprimé par le bras et contrôlé par
le poignet. Allez-y, comme vous le faisiez l'autre jour".
Lee-Ann répéta mentalement la
manœuvre, et se mit à faire tournoyer le bô de droite à gauche, se concentrant
pour conserver le rythme de MacLeod et être en synchronisation avec lui. D'un
mouvement ample et lent au début, il augmenta progressivement la cadence pour
parvenir à une allure plus soutenue. Lee-Ann commença bientôt à ressentir la
fatigue dans les muscles de son épaule et de son bras, mais n'en conserva pas
moins le rythme. Il était hors de question qu'elle arrête avant le feu vert de
MacLeod. Celui-ci poursuivait le mouvement, corrigeant ses erreurs par de
brèves indications. Ils furent tous deux rapidement en nage sous les rayons du
soleil printanier, mais rien dans l'attitude de MacLeod ne laissait supposer
que l'exercice prendrait bientôt fin.
Soudain, Lee-Ann réalisa qu'elle ne
sentait plus son bras, tout en continuant de maîtriser la rotation du bâton.
Son geste se faisait plus fluide et prenait même davantage d'ampleur, comme si
elle était passée en pilotage automatique. Elle comprit que c'était précisément
là que MacLeod voulait en venir : l'effort exténuant et douloureux avait pour
but de sublimer ses capacités pour lui permettre d'exercer un contrôle encore
plus parfait sur l'arme, tout comme le plongeur trouve un second souffle au
moment où il pense ne plus avoir suffisamment d'oxygène.
Lorsque le Highlander réalisa
qu'elle avait en effet atteint puis dépassé ses propres limites, il ralentit la
cadence puis s'arrêta. Il lui indiqua ensuite comment reprendre sa respiration
sans s'essouffler et lui fit faire quelques étirements pour chasser les
crampes.
"Très
bien, nous nous occuperons du bras gauche lorsqu'il sera tout à fait remis.
Maintenant, montrez-moi un peu ce dont vous êtes capable en boxe française
!"
Il posa de côté les bô, se tourna
vers elle, et se mit en position de défense. Lee-Ann ferma les poings à hauteur
du visage, coudes à quarante-cinq degrés et bras droit en avant. Bien campée sur
ses jambes, elle commença à sautiller sur place, effectuant par-là même une
rotation autour de MacLeod. Il suivit son mouvement de façon à lui faire
toujours face, et le combat s'engagea.
Lee-Ann lançait des attaques que le
Highlander contrait ou esquivait, sans riposter. Gauche, droite, jambe gauche,
droite, droite, droite-gauche, jambe gauche à nouveau...MacLeod parait sans
aucune difficulté, mais il savait que Lee-Ann n'y mettait pas toute la
puissance ni la rapidité dont elle était réellement capable, comme si elle le
jaugeait elle aussi.
Au fur et à mesure, elle sembla cependant
prendre de l'assurance et ses attaques se firent plus vives et plus précises.
MacLeod devait reconnaître qu'elle était douée, très douée même, surtout si
l'on tenait compte de son bras blessé. Il savait cependant que sa motivation,
qu'il supposait basée sur la haine et la vengeance, ne suffirait pas le moment
venu à prendre l'avantage sur un adversaire plus puissant qu'elle, et pourrait
au contraire l'entraver. De plus, il n'était pas question d'une lutte à mains
nues (ni même avec des gants !), mais bien de lui enseigner le maniement
de l'épée en vue d'un combat contre un Immortel. MacLeod n'avait évidemment pas
l'intention de la laisser livrer une telle bataille, mais il devait faire ce
qu'elle attendait de lui s'il voulait gagner sa confiance et l'amener à livrer
son secret. Ce petit entraînement avait en outre pour avantage de lui permettre
d'évaluer son potentiel au combat de façon générale. Et il ne s'était pas
trompé la veille : elle possédait bien l'endurance, l'équilibre et la rapidité
nécessaires. En revanche, elle devrait compenser sa faiblesse physique par une
agilité et une souplesse supérieures. Et une technique irréprochable. Mais
MacLeod ne doutait pas qu'elle en soit capable.
Perdu dans ses réflexions, le
Highlander ne vit pas venir le pied de Lee-Ann qui le cueillit sans douceur à
la base du menton. Le choc le fit reculer de quelques pas, mais il retrouva
rapidement son équilibre, furieux contre lui-même d'avoir relâché sa vigilance
un instant. Un coup d'œil au sourire s'étalant sur le visage de Lee-Ann lui
apprit que le coup n'était nullement dû au hasard : elle avait profité de cette
seconde d'inattention pour exploiter une ouverture. Massant sa mâchoire endolorie,
MacLeod sourit à son tour. Après tout, n'était-ce pas là ce qu'un véritable
combattant devait faire en toutes circonstances ? Profiter de la moindre
opportunité pour prendre l'avantage. Comment pourrait-il lui en vouloir d'avoir
parfaitement réagi à sa propre défaillance. Il ne pouvait s'en prendre qu'à
lui-même, et ravaler son orgueil pour saluer la performance.
"Bravo,
je vois que vous profitez de chaque occasion, c'est une très bonne chose. Même
si je dois admettre que je ne suis pas fier de m'être laissé avoir. Bon, eh
bien, il me semble qu'une petite pause est la bienvenue."
Après quelques assouplissements et
étirements pour éviter d'éventuelles courbatures, ils regagnèrent la terrasse
pour un repos bien mérité. Lee-Ann était plutôt fière de sa prouesse, et elle
ne pouvait s'empêcher de sourire en songeant à l'expression de totale surprise
qu'avait affiché le visage de MacLeod au moment où le coup l'avait atteint. Ce
dernier l'observait encore. C'était la première fois qu'il la voyait vraiment sourire
sans qu'aucune ombre ne vienne voiler cet éclat de joie, et cela lui
réchauffait le cœur. Qu'importe si elle riait à ses dépens, ne l'avait-il pas
mérité après tout ?!
Le reste de la journée fut consacré
aux premiers rudiments d'escrime. MacLeod l'initia au maniement de l'épée avec
un sabre de bois qui lui avait auparavant servi pour l'enseignement de Richie.
Elle avait beau être douée pour se battre, cette discipline était totalement
nouvelle pour elle, et MacLeod devait tout lui en apprendre. Comment tenir
l'arme, la position de base, la façon d'évoluer avec une épée à la main, toutes
les règles et les principes fondamentaux avant de voir feintes et passes plus
élaborées. Mais après tout, Lee-Ann semblait disposée à passer le temps qu'il
faudrait pour y arriver, et MacLeod se prit à espérer que de nombreuses
semaines lui soient nécessaires.
* * *
Chapitre
3
Le mois d'avril arriva rapidement, et les
beaux jours se firent plus nombreux et plus chauds. La détermination de Lee-Ann
n'avait en rien diminué, bien au contraire. Sa haine et son désir de vengeance
s'intensifiaient à mesure qu'elle progressait à l'épée. Le même souvenir
habitait toujours ses rêves. Elle revivait la mort de Sam presque chaque nuit,
et se réveillait parfois le matin prise de vertiges. Il lui était même arrivé à
plusieurs reprises de se précipiter dans la salle de bains pour vomir sous la
pression de la colère et du chagrin. Heureusement, l'entraînement intensif de
MacLeod lui permettait de s'occuper pleinement et de chasser la douleur, du
moins pendant la journée. La tranquillité de la forêt alentour avait également
un effet bénéfique, rassurant. Tout comme la présence du Highlander à ses
côtés. Il était en tous points tel que Sam le lui avait décrit, tant
physiquement que moralement. Un homme mu par un code de l'honneur et un sens
moral d'un autre âge, même parmi les Immortels. Et Sam ne s'était pas trompé :
il était vraiment le meilleur.
Lee-Ann savait désormais qu'elle n'était
vraiment en sécurité nulle part sur cette Terre, pas tant que la tête de Karl
n'aurait pas quitté le reste de son corps.
Aussi comptait-elle mettre tout en œuvre
pour aller jusqu'au bout de sa vengeance.
Les journées se déroulaient de façon
quasi identique : échauffement auprès du lac, puis révision des acquis.
L'après-midi était en général consacré à de petits duels. MacLeod variait
l'environnement au maximum, afin de permettre à Lee-Ann d'être opérationnelle
sur n'importe quel terrain : forêt, rochers, sable...Il engagea même un jour le
combat dans les eaux fraîches du lac. Les mouvements ralentis par le sable et
l'eau qui leur arrivait à mi-cuisses obligèrent ainsi Lee-Ann à modifier son
approche et sa façon de porter les coups. Ils furent rapidement trempés
jusqu'aux os, les jambes engourdies par le froid ; la température du lac ne
devait pas excéder 10 degrés. Les gerbes de gouttes d'eau projetées par leurs
éclaboussures scintillaient sous les rayons du soleil qui, fort heureusement,
brillait généreusement ce jour-là. Après plus d'une heure de cet épuisant
exercice, ils s'étaient assis sur le sable brun pour profiter de la chaleur,
laissant le soleil sécher vêtements et cheveux leur collant au corps. La peau
laiteuse de Lee-Ann semblait indifférente à l'ensoleillement, et la jeune femme
conservait son teint d'ivoire malgré une exposition régulière. Les rayons du
soleil faisaient cependant ressortir ses taches de rousseur, qui adoucissaient
ses traits et lui donnaient l'air d'une petite fille au visage grave.
Peu à peu, la méfiance naturelle de
Lee-Ann et ses réticences à se confier s'amenuisèrent, et elle accepta de
révéler un peu plus d'elle-même à MacLeod - du moins ce qui n'avait pas trait
aux récents événements et à ses liens avec les Immortels. Elle était née il y
avait bientôt 28 ans de cela dans un petit village irlandais du comté de
Galway. Son père, Daniel O'Donnell, était originaire de Dublin, mais sa mère
était française. Ses parents s'étant séparés lorsqu'elle avait à peine 6 ans,
elle avait alors quitté l'Irlande avec sa mère et avait grandi en Auvergne. Sa
mère ne s'était jamais remariée et Lee-Ann confia à Duncan qu'elle avait
compris bien plus tard qu'elle n'avait sans doute jamais cessé d'aimer son mari
malgré leur séparation. Ils avaient apparemment divorcé à cause des absences
répétées de son père dues à son travail, expliqua-t-elle. Lee-Ann se garda bien
en revanche d'avouer à MacLeod l'activité réellement exercée par son père, ce
qu'elle avait découvert bien des années après. De son enfance somme toute
heureuse au milieu des volcans lui restait cet amour inconditionnel pour la
nature et la montagne. Mais sa mère était morte alors que Lee-Ann venait
d'avoir 14 ans, et elle était retournée en Irlande vivre avec son père. À sa
majorité, et après avoir obtenu son bac en Irlande, Lee-Ann revint en France
pour effectuer ses études de Droit à Paris. Les accords de Maastricht sur
l'Union Européenne n'étaient pas encore en vigueur à l'époque, mais Lee-Ann fut
admise sans difficultés car elle possédait la double nationalité
franco-irlandaise.
"Et
en quoi vous êtes vous spécialisée ?" lui demanda MacLeod, intrigué à
l'idée de Lee-Ann plongée dans un énorme volume, disséquant les méandres de la
loi au sein d'une bibliothèque obscure.
Ils étaient assis sur la terrasse ce
soir-là, à même les planches, une bière à la main. Le soleil était couché
depuis environ une heure, et le chant des grillons ponctuait le récit de
Lee-Ann.
MacLeod avait recoupé les quelques
informations qu'il recueillait au fur et à mesure que Lee-Ann se confiait, et
il avait maintenant acquis la certitude que la démarche de Lee-Ann était liée à
une vengeance. Il avait déjà croisé sur son chemin tant d'hommes et de femmes
animés par ce noir instinct : Ceirdwyn, Kristin ...
La perte de l'un des deux hommes dont
Lee-Ann prononçait encore parfois le nom dans son sommeil devait être la raison
de cette vengeance, et l'autre homme dont il était question était sûrement
l'Immortel à l'origine du drame. Ce dernier était sans aucun doute la cible de
Lee-Ann. Quant à l'homme qu'elle désirait venger, il ne s'agissait pas de son
père comme il l'avait un instant envisagé puisqu'il ne se prénommait ni Sam ni
Karl, mais Daniel. Lee-Ann n'ayant jamais fait mention de frère, il en
déduisait que cet homme était son compagnon. A priori, il n'était pas son mari
puisqu'elle ne portait pas d'alliance et s'était présentée à lui sous le nom de
O'Donnell. Lee-Ann avait donc perdu un être aimé par la faute d'un Immortel, et
elle désirait venger cette mort en provoquant en duel l'homme qui en était
responsable pour le décapiter. Mais nombre de questions restaient encore en
suspens. Lee-Ann et son compagnon étaient-ils liés aux Immortels avant le drame
? L'homme qui avait été tué était-il un des leurs ? Qui pouvait bien être
l'Immortel coupable du crime ou de l'accident qui avait coûté la vie à l'autre
? Et surtout, pourquoi Lee-Ann était-elle venue le trouver lui, MacLeod ?
Une partie de ces interrogations pouvait
éventuellement être résolue en trouvant l'origine de la cicatrice au poignet
droit de la jeune femme : Duncan se demandait en effet si elle ne dissimulait
pas un tatouage de guetteur que l'on aurait voulu faire disparaître... Certes,
la méthode alors employée (la marque était sans conteste due à une brûlure) ne
penchait pas en la faveur de cette hypothèse, mais MacLeod aurait aimé en avoir
le cœur net.
Joe aurait peut-être pu répondre à
l'une ou l'autre de ces questions, mais il demeurait injoignable. MacLeod
l'avait appelé à plusieurs reprises de la cabine publique lorsqu'il
redescendait au village voisin pour faire quelques provisions, mais son
domicile ne répondait pas, et au pub Mike lui apprit que le séjour de Joe en
Europe avait été prolongé. Il n'avait aucune idée de la date de son retour.
Methos aurait également pu lui être
utile, mais ce dernier s'était comme à son habitude volatilisé depuis un mois
environ. Il avait dû être pris d'une envie subite d'étudier les mœurs
ancestrales des tribus aborigènes d'Océanie, ou peut-être avait-il du fuir
précipitamment la ville devant un mari jaloux... On ne savait jamais ce qui
pouvait passer par la tête de Methos. Il n'empêche que MacLeod avait pour une
fois besoin de ses lumières de guetteur et qu'il était introuvable.
En tout état de cause, la perte
subie par Lee-Ann expliquait son désir de vengeance et ses fréquents
cauchemars. Peut-être même avait-elle été témoin du drame, ce qui aurait
également pu expliquer son bras blessé. La plaie était à présent complètement
refermée et ne subsistait qu'une cicatrice rosâtre et boursouflée qui
diminuerait avec les semaines. La meurtrissure psychologique guérirait aussi un
jour, mais il savait que cela demanderait beaucoup plus de temps. Il se
remémora l'immense désespoir et la terrible souffrance qu'il avait ressenti à
la perte de Tessa cinq ans plus tôt. Lui-même aurait alors bien voulu pouvoir
exercer une vengeance à l'encontre du coupable, mais il savait pertinemment que
c'était lui, bien plus que le jeune drogué, qui était responsable de la mort de
la jeune femme qu'il allait, finalement, épouser. Jamais il n'aurait dû la
laisser retourner seule à la voiture avec Richie, et il était le seul à blâmer,
ce qui rendait son deuil encore plus difficile.
Mais le temps avait fait son
affaire, et la blessure, même s'il savait qu'elle ne disparaîtrait jamais
complètement, s'était peu à peu refermée. Il avait finalement surmonté le
chagrin, comme il avait déjà eu à le faire par le passé, et il reprenait peu à
peu le goût de vivre.
Aussi avait-il décidé que son rôle
auprès de Lee-Ann ne se bornerait pas à lui enseigner le maniement de l'épée,
mais qu'il l'aiderait également à surmonter cette épreuve. C'est en la
soutenant, en lui apprenant à survivre au chagrin et à la haine qui rongeaient
son cœur qu'il lui apporterait ce dont elle avait réellement besoin. Il était
bien sûr hors de question pour MacLeod de l'envoyer à une mort certaine dans un
combat contre cet Immortel, mais le temps nécessaire à son apprentissage lui
permettrait peut-être d'apaiser les sentiments confus qui l'animaient. Pour
l'heure, il se contentait d'agir conformément aux attentes de Lee-Ann.
"Je
suis criminologue."
"Pardon
?"
Plongé dans ses réflexions, MacLeod
avait perdu le fil de la conversation et rassembla rapidement ses esprits pour
se rappeler la question qu'il venait de lui poser.
"Je
veux dire, vraiment ?", reprit-il, penaud, lorsqu'il eut trouvé.
"Je
me doutais que cela vous surprendrait, mais pas à ce point...",
répondit-elle en souriant. "Eh bien, oui, je suis criminologue. C'est du
moins ce qui est inscrit sur mon diplôme !", poursuivit-elle. "Mais
je vous rassure, je n'ai pas pour autant intégré les services de Police, pas du
tout. En fait, je fais principalement de la recherche. Après mon DEA de
Sciences Criminelles, j'ai rédigé une thèse et passé mon doctorat que j'ai
obtenu l'année dernière. Tout simplement."
"Et
votre thèse, à quoi était-elle consacrée ?", lui demanda MacLeod,
réellement intéressé.
"Un
sujet tout à fait passionnant... L'intitulé exact était "Influence du
milieu social et environnemental sur la récidive". Il en ressort grosso
modo que si votre mère est alcoolique et votre père drogué ou absent, vous avez
toutes les chances de finir braqueur de banques ou dealer. En tous les cas de
violer la loi à plusieurs reprises, surtout si vous n'êtes pas né avec une
cuillère en argent dans la bouche. Mais cela met également en lumière les
lacunes du système répressif et surtout pénitentiaire car la prison n'est pas
toujours la meilleure solution, loin s'en faut."
"Vous
m'impressionnez", répondit Duncan sincèrement. "Votre père doit être
très fier de vous !"
Une ombre passa sur le visage de Lee-Ann.
"Il
est mort il y a 4 ans, avant que je ne commence ma thèse.."
"Oh
! Je suis désolé...". Il savait au moins maintenant pourquoi elle n'avait
pas cherché réconfort auprès de son père.
"Ce
n'est rien, vous ne pouviez pas savoir."
Le silence retomba entre eux tandis
qu'ils finissaient leur bière, sous le porche de la terrasse. La chaleur du
jour s'était maintenant dissipée et une brise fraîche se levait, les faisant
frissonner tous les deux.
"Rentrons",
proposa MacLeod, "je vais allumer un feu..."
"Non,
ce n'est pas la peine, je crois que je vais aller me coucher", répondit
Lee-Ann en lui souriant. "Bonne nuit !"
Elle gagna sa chambre, bientôt
suivie par MacLeod qu'elle entendit entrer dans la sienne. Comme à son
habitude, elle laissa les volets ouverts et entrebâilla la porte-fenêtre pour
la nuit. Ses rêves étaient parfois si sombres qu'elle préférait profiter de la
lumière du jour dès son réveil. Elle se coucha rapidement, remontant les
couvertures jusqu'à son menton comme pour se protéger des fantômes qui la
tourmentaient. Mais sans succès.
* * *
"Lee-Ann?
Lee-Ann, tu es là?"
"Par
ici Sam!" l'entendit-il répondre joyeusement.
Sam contourna la maison et aperçu Lee-Ann
à l'orée de la forêt, sur le petit sentier menant à la rivière.
L'apercevant à son tour, elle lui sourit,
levant la main pour lui faire signe. Spike gambadait autour d'elle, sa queue
fouettant l'air avec enthousiasme, et il se mit à japper en apercevant son maître
qui se dirigeait vers eux sur le chemin les ramenant à la maison.
"Où
étais-tu?", demanda Sam, inquiet, "je t'ai cherchée partout!"
"Je
suis seulement partie faire une promenade, Sam. Nous sommes descendus à la
rivière. Allons, ne t'inquiète pas, Spike était là tu sais, en bon chien de
garde !" Elle se baissa pour passer ses bras autour du cou du berger
allemand et le gratter énergiquement entre les oreilles.
"Et
puis regarde, elles sont jolies, non?", ajouta-t-elle avec son plus beau
sourire, brandissant un bouquet de fleurs sauvages multicolores.
"Lee-Ann...",
répondit Sam en la prenant dans ses bras. "Lee-Ann, tu sais bien que Spike
n'est qu'un chien. Il ne pourra rien si..."
"Je
sais!", l'interrompit-elle, se dégageant brusquement de son étreinte,
"mais rien ni personne ne pourra rien s'il nous retrouve Sam, tu le sais.
Nous fuyons déjà, allons-nous devoir également nous terrer dans un blockhaus
pour le reste de nos jours?", ajouta-t-elle, les yeux remplis de larmes de
rage et d'impuissance. Elle jeta violemment les fleurs au loin, se détournant
de lui.
Sam
l'enlaça à nouveau, malgré sa résistance, la serrant fort tout contre lui, et
lui murmura à l'oreille :
"Je
sais Lee-Ann, pardonne-moi, je suis désolé, j'ai eu peur...Chut, tout va bien,
tu as raison, personne ne nous trouvera ici...Chut...", Il la berça
tendrement jusqu'à ce qu'elle s'apaise, et ils retournèrent ainsi l'un contre
l'autre vers la petite maison.
Sam ouvrit la lourde porte d'entrée et
suivit Lee-Ann à l'intérieur. Spike se faufila à son tour dans
l'entrebâillement pour se précipiter vers sa gamelle. Il fut déçu de trouver
son bol vide et jappa doucement pour attirer l'attention de Lee-Ann. Tandis
qu'elle versait le contenu d'une boîte de nourriture pour chiens dans la gamelle
de Spike, elle entendait derrière elle Sam verrouiller comme chaque soir la
porte en chêne à l'aide de plusieurs serrures et cadenas. Cette mesure se
révélerait bien peu efficace contre Karl et ses sbires s'il les retrouvait,
pourtant cette inutile précaution les rassurait.
Il retourna ensuite dans la pièce
principale auprès de Lee-Ann et la prit de nouveau dans ses bras.
Ils vivaient tous deux la peur au ventre,
tenaillés par la même angoisse. L'angoisse de cet homme qui tentait de les
détruire depuis plus de deux ans. Si Sam craignait pour leurs vies à tous les
deux, Lee-Ann elle ne se souciait que du sort de Sam, car elle savait ce qui
les attendait si Karl les rattrapait. Ce qu'il lui réservait à elle n'était
certes guère enviable, mais c'était la mort pure et simple qu'il destinait à
Sam, et elle savait que Karl ne se priverait pas de faire durer son agonie.
A cette idée, un frisson la parcourut et Sam la serra plus fort. Elle sentait la chaleur de son corps tout contre le sien, son souffle sur sa nuque, et elle eut soudain terriblement envie de lui. Comme s'il avait lu dans ses pensées, Sam prit doucement son visage dans ses mains et l'embrassa tendrement. Leurs baisers se firent plus passionnés tandis qu'il défaisait un à un les boutons de sa robe. Il la porta ensuite dans la petite chambre attenante et la déposa avec douceur sur le lit. Ils firent l'amour ce soir-là avec plus de tendresse et de passion que jamais, leurs gestes guidés par une ardeur empreinte de solennité, comme s'ils savaient que c'était la dernière fois.
* * *
Lee-Ann s'éveilla. La sensation des mains
de Sam sur son corps était encore si douloureusement présente qu'une vague de
chagrin la submergea. Elle sentit son estomac se nouer et fut prise de vertige
en se levant. Elle parvint à contenir son malaise et à refouler sa peine. Ses
larmes ne couleraient pas. Pas tant qu'elle n'aurait accompli son devoir.
C'était une autre promesse faite à elle-même tandis qu'elle berçait tendrement
le corps sans vie de Sam cette terrible nuit qui hantait encore ses rêves.
Heureusement, le soleil déjà levé l'aida
à retrouver ses esprits.
Depuis leur arrivée au chalet à peine un
mois plus tôt, ils n'avaient connu que de rares jours de pluie, pendant
lesquels ils étaient restés à discuter près du feu. MacLeod en avait profité
pour lui enseigner quelques aspects théoriques de l'escrime et du duel. Il lui
avait raconté sa rencontre avec Connor, son mentor, avait relaté sa propre
initiation, puis il lui avait appris comment il était devenu à son tour le maître
d'armes d'autres jeunes immortels jusqu'à Richie. "Vous êtes la première
mortelle à qui je transmette ce savoir", lui avait-il confié ce jour là,
et Lee-Ann n'avait su si elle devait en être fière.
Elle enfila sa tenue d'entraînement,
short et brassière, avant de rejoindre Duncan près du lac pour l'échauffement.
Elle progressait rapidement, assimilant avec aisance les informations de
MacLeod et la technique qu'il lui enseignait. Mais le Highlander savait qu'elle
ne serait pas prête avant encore plusieurs mois, si elle l'était jamais, et il
en était rassuré. Bien qu'elle n'ait toujours pas abordé la question des
événements qui l'avaient conduite jusqu'à lui, elle se confiait plus volontiers
à présent, et la relation complice qui se nouait entre eux en dépit du secret
de Lee-Ann n'était pas pour lui déplaire.
Tandis qu'ils remontaient vers le chalet
aux environs de midi, MacLeod ressentit la familière sensation liée à
l'approche d'un Immortel, juste avant que le vrombissement d'un moteur en
provenance du chemin qui montait jusqu'à leur retraite ne se fasse entendre. Il
se figea un instant, puis contourna rapidement la maison pour accueillir
l'arrivant.
Inquiète, Lee-Ann lui emboîta le pas.
MacLeod avait sans aucun doute pressenti l'arrivée d'un Immortel... Qui pouvait
être au courant de sa présence ? Son sang pulsa rapidement à ses tempes tandis
que les battements de son cœur s'emballaient, mais elle n'en montra rien. Elle
était en sécurité avec le Highlander, se rassura-t-elle. Mais l'était-elle
vraiment ?
Une moto déboula bientôt et son cavalier
freina brusquement, faisant déraper les roues de l'engin qui s'immobilisa à
quelques mètres d'eux dans un nuage de poussière. MacLeod semblait déjà
connaître l'identité du visiteur car il alla prestement à sa rencontre,
souriant. L'inconnu enleva son casque qui révéla une tignasse blonde et
bouclée, sous laquelle le visage d'un jeune homme aux traits juvéniles
s'éclairait lui aussi d'un large sourire. Lee-Ann reconnu avec soulagement
Richie Ryan, le protégé de MacLeod.
"Richie
!", s'écria MacLeod en l'étreignant. "Tu es de retour ?"
"Mac
! Ca fait plaisir de te voir ! Je suis revenu hier, et quand j'ai vu que tu
n'étais pas au dojo, je me suis dit que tu étais peut-être ici pour profiter du
grand air ..."
Les deux hommes s'embrassèrent de
nouveaux, puis Richie se tourna vers Lee-Ann restée en retrait.
"Oh,
mais je ne savais pas que tu n'étais pas seul Mac. Peut-être n'aurais-je pas dû
débarquer sans prévenir...", ajouta-t-il en riant.
"Ne
sois pas bête Richie ! Viens, je vais te présenter ma nouvelle recrue. Richie,
voici Lee-Ann O'Donnell. Lee-Ann, Richie Ryan."
Lee-Ann s'avança et le cœur de Richie
manqua un battement dans sa poitrine. Mais quel était le secret de MacLeod ?
Elle était belle à couper le souffle ! Ses cheveux tirant sur le roux ramenés
en arrière en une simple queue de cheval semblaient briller de mille reflets au
soleil haut dans le ciel. Lorsqu'elle planta son regard dans celui de Richie,
ses grands yeux verts lui firent l'effet d'une légère décharge électrique.
Il rougit lorsqu'il se rendit compte
qu'il n'avait toujours pas répondu à son salut et s'empressa de saisir la main
tendue de Lee-Ann.
"Enchanté
de faire votre connaissance..."
"Moi
de même", répondit Lee-Ann avec un grand sourire, et Richie se sentit
fondre.
Le trio se dirigea vers le chalet.
Pendant que Richie relatait gaiement ses dernières aventures à MacLeod, Lee-Ann
entreprit de préparer le déjeuner. Elle aimait à cuisiner et avait convaincu
Duncan de prendre sa part des tâches quotidiennes. Ils passèrent tous trois à
table et dégustèrent avec appétit les steaks grillés et la salade accompagnés
de pain frais confectionné par la jeune femme. Elle avait eu un mal fou à
trouver de la levure de boulanger à la petite épicerie du village voisin, mais
avait finalement découvert son bonheur au milieu des produits diététiques et
allégés !
MacLeod décida de faire honneur au repas
en débouchant une excellente bouteille de Bordeaux de sa réserve. Après tout,
il n'avait pas vu Richie depuis longtemps.
Après le café, MacLeod expliqua
succinctement à Richie la raison de la présence de Lee-Ann.
"Vraiment ?", s'étonna-t-il.
"Eh bien, on peut dire que vous avez fait un excellent choix. MacLeod est
vraiment le meilleur professeur que vous puissiez trouver."
"C'est
exactement ce que je me suis laissé entendre dire", répondit Lee-Ann avec
un bref sourire.
"Parfait
!", s'exclama MacLeod. "Puisque vous êtes tous deux d'accord sur ce
point, que diriez-vous d'une petite mise en pratique de vos talents ? Allez, en
piste ! Vous allez me montrer de quoi vous êtes capables tous les
deux...", dit-il en se levant de table.
"Oh,
Mac ! Tu n'es pas sérieux ?", protesta Richie en riant. "Je rentre à
peine et voilà que tu me mets déjà à l'épreuve..."
Mais il avait hâte de voir Lee-Ann à
l'œuvre et c'est avec enthousiasme qu'il se dirigea vers l'esplanade où la
jeune femme l'attendait déjà. MacLeod leur tendit les sabres de bois pour que
Lee-Ann ne soit pas blessée accidentellement et se posta en retrait, immobile.
Il n'avait pas l'intention d'intervenir, bien au contraire. Il était curieux de
savoir comment ils allaient l'un et l'autre réagir aux attaques et parades
qu'ils connaissaient par cœur et qu'il leur avait enseigné de façon identique.
Enfin, presque identique, corrigea-t-il en souriant intérieurement.
Lee-Ann se concentra au maximum.
Elle ne voulait pas décevoir MacLeod. Richie avait bien plus d'expérience
qu'elle, et il était bien sûr plus fort, mais ce petit duel n'était pas pour
lui déplaire. Elle leur montrerait de quoi elle était capable.
Le combat s'engagea. Les coups,
parades et feintes s'enchaînaient avec régularité. Lentement au début, le temps
pour les deux adversaires de s'observer mutuellement, puis le rythme
s'accéléra. Richie reconnaissait la plupart des attaques de Lee-Ann qu'il
bloquait aisément, avant d'enchaîner avec ses propres feintes.
MacLeod n'en perdait pas une miette.
Lee-Ann parvint à toucher Richie d'un coup qui lui aurait sans nulle doute
profondément entaillé la cuisse si leurs armes n'avaient été de bois. Mais
MacLeod observa par trois fois Richie délibérément ignorer une brèche dans la
défense de Lee-Ann. à mesure que
le combat progressait cependant, chacun exploita au maximum les faiblesses de
l'autre, et Richie profita de chaque opportunité - de plus en plus rares -
offertes par Lee-Ann. Son sabre s'abattit à deux reprises sur le bras et la
hanche de la jeune femme qui encaissa sans broncher. Elle en porterait sans nul
doute la marque pendant quelques jours, mais, dans le feu de l'action, elle
sentit à peine les coups.
Soudain, Richie amorça le mouvement que
guettait MacLeod. Une feinte qu'il lui avait enseignée au tout début de son
apprentissage, destinée à déséquilibrer puis désarmer l'adversaire. Repoussant
une attaque de Lee-Ann, il fit mine de lever son arme et effectua un pas de
côté. Il tourna sur lui-même, bras tendu, pour cueillir son opposant à
l'épaule, et se figea...la pointe du sabre de Lee-Ann à quelques millimètres de
sa jugulaire !
La jeune femme avait apparemment
anticipé sa manœuvre et avait riposté par une botte qu'il ne connaissait pas.
Sans esquisser un geste, il foudroya MacLeod du regard. Voici qu'il élaborait
des parades à ses propres feintes maintenant ! Le Highlander, hilare, s'avança
vers eux en applaudissant.
"Félicitations
Lee-Ann ! Vous avez été parfaite !"
La jeune femme abaissa son arme,
souriant à son tour, et tendit la main à Richie.
"Bravo
à vous ! Vous auriez pu m'avoir une demi-douzaine de fois avant cela !"
Richie accepta la main tendue puis
tous les deux se saluèrent en bonne et due forme. MacLeod passa un bras autour
des épaules de Richie.
"Alors,
Richie, que penses-tu de cette nouvelle défense ? Intéressante, non ?"
"Très
! Tu n'attendais que ça, n'est-ce pas Mac ? L'occasion de me montrer que j'ai
encore plein de choses à apprendre. En tous cas", ajouta-t-il en se
tournant vers Lee-Ann, "vous êtes vraiment très douée! Vous avez vraiment
commencé il y a à peine un mois ?"
"Oui,
je n'avais jamais manié d'épée auparavant. Mais c'est surtout les qualités
d'instructeur et la patience de Duncan qu'il faut saluer..."
"Arrêtons
là la remise des Oscars !" dit MacLeod. "Tu restes quelques jours
Richie ?"
"Eh,
Mac, tu ne crois quand même pas que je vais repartir avant que tu ne m'ais appris
ta nouvelle feinte, non ?"
"Parfait
! Bienvenue au camp d'entraînement MacLeod !", s'exclama Duncan en riant
tandis que tous trois regagnaient la relative fraîcheur du porche pour se
désaltérer.
Richie prit ses quartiers dans le
salon où MacLeod prépara le divan. L'après-midi touchant à sa fin, Richie et
Lee-Ann dégustèrent une bière sur la terrasse. Duncan était descendu faire
quelques achats au village. Richie était subjugué par Lee-Ann. Tant
physiquement que par le mystère qui émanait de la jeune femme. Il avait
rapidement saisi qu'elle n'était pas une conquête de MacLeod, et il se
demandait pourquoi elle désirait apprendre à se battre auprès d'un Immortel.
"Parce
que l'homme que je compte affronter est l'un des vôtres", lui
répondit-elle gravement, et Richie comprit qu'elle était on ne peut plus
sérieuse.
"Vous
avez l'intention de vous battre en duel avec un Immortel ?", répéta
Richie, abasourdi. "Mais pourquoi prendre un tel risque ? C'est de la
folie !"
"J'ai
mes raisons", répliqua sèchement Lee-Ann, se levant pour faire quelques
pas. Son visage s'était fermé et Richie sentit qu'il ne servirait à rien
d'insister. Elle n'en avait probablement pas révélé plus à MacLeod. Il se leva
pour la rejoindre.
"Je
vous demande pardon Lee-Ann. C'est vrai, ce ne sont pas mes affaires. C'est
juste que..."
Elle lui tournait le dos, et il eut
l'impression qu'elle pleurait. Mais lorsqu'il lui effleura l'épaule elle se
retourna brusquement et ce qu'il lut sur son visage n'était pas du chagrin.
C'était de la haine pure, et une grande détermination.
"Ne
vous en faites pas pour moi Richie, je sais ce que je dois faire, et je le
ferai..."
Elle rentra vivement dans la maison au
moment où le 4x4 de MacLeod apparaissait. Duncan sortit les provisions et les
posa sur la table de la terrasse. Il avait vu Lee-Ann rentrer précipitamment,
et décida d'avoir une petite conversation avec Richie. La façon dont le jeune
homme la dévorait des yeux plus tôt dans l'après-midi ne lui avait pas non plus
échappé, et il n'aimait pas ça. Quel que soit le secret de Lee-Ann, elle
n'était visiblement pas prête à le révéler, et encore moins à faire face aux
éventuelles avances de Richie.
"Que
s'est-il passé ?", demanda-t-il sans douceur.
"Mac,
je ne sais pas...Je voulais juste savoir pourquoi elle apprend à se battre, et
lorsqu'elle m'a dit qu'elle avait l'intention de défier un Immortel, je n'ai
pas pu m'empêcher de réagir..."
"Elle
t'a dit ça ?"
"Oui,
elle m'a dit que l'homme qu'elle avait l'intention de combattre était l'un des
nôtres, et..."
Une pointe de jalousie piqua le cœur
de MacLeod. Lee-Ann ne lui avait rien révélé de tel depuis son arrivée, il
avait dû parvenir à cette conclusion par ses propres déductions. Et voilà
qu'elle confiait à Richie qu'elle comptait affronter un Immortel ! Mais il se
contint, et, passant un bras autour des épaules du jeune homme, lui fit signe
de le suivre. S'éloignant un peu, il lui raconta comment la jeune femme avait
débarqué trois semaines plus tôt et ce qu'il avait réussi à apprendre sur elle.
"J'ai
encore tenté d'appeler Joe ce soir, mais il n'est toujours pas revenu d'Europe.
Je ne sais quoi penser de toute cette histoire Richie, mais Lee-Ann a avant
tout besoin de calme pour se remettre du traumatisme qu'elle a sûrement subi.
Ne la brusque pas, et n'essaie pas ton charme sur elle, je t'en prie !"
"Enfin,
Mac, pas du tout...Je n'ai...Je suis désolé, je ne pouvais pas savoir !"
"C'est
vrai, mais maintenant tu sais".
Duncan rentra les provisions et
prépara le dîner qu'ils partagèrent seuls tous les deux. Lee-Ann ne quitta pas
sa chambre de la soirée.
* * *
Lorsqu'ils se levèrent le lendemain,
Lee-Ann s'échauffait déjà près du lac. Richie et MacLeod étaient restés
éveillés tard à discuter - de Lee-Ann entre autres, et ils s'empressèrent de la
rejoindre.
"Eh
bien, si le sensei vient en retard aux cours maintenant...!", plaisanta
Lee-Ann à leur arrivée.
Elle semblait de très bonne humeur tandis
qu'elle les regardait approcher, mains sur les hanches et sourire moqueur. Elle
s'en voulait d'avoir réagi de la sorte la veille avec Richie et espérait qu'il
ne lui en tiendrait pas rigueur. Elle savait qu'il lui faudrait sans doute se
confier un jour ou l'autre, mais elle n'était pas encore prête. Cependant, ce
n'était pas une raison pour se laisser emporter de la sorte. Si elle voulait
avoir une chance d'accomplir sa vengeance, il lui faudrait également apprendre
à dominer ses émotions pour garder le contrôle d'elle-même en toutes
circonstances.
Elle fut rassurée par le sourire de
Richie. Tout semblait oublié.
Ils entamèrent ensemble le kata que
Lee-Ann et MacLeod pratiquaient tous les matins depuis trois semaines. Richie
le connaissait par cœur pour l'avoir appris aux côtés du Highlander quelques
années plus tôt, et leurs gestes parfaitement synchronisés offraient un
spectacle des plus saisissant et harmonieux. La grâce de Lee-Ann, la puissance
maîtrisée de MacLeod et la précision de Richie semblaient se fondre et ne faire
qu'un, symbolisant le combattant parfait dans l'air humide du matin.
L'après-midi, Richie proposa à Lee-Ann
une ballade en moto. Elle hésita, puis finit par accepter, en lui faisant
promettre qu'ils ne s'éloigneraient pas trop. MacLeod lança un regard appuyé à
Richie, comme pour lui dire d'être prudent et discret, puis les deux jeunes
gens disparurent dans un vrombissement sonore.
A leur retour quelques heures plus tard,
MacLeod lisait tranquillement sur la terrasse. Alors qu'ils retiraient leurs
casques, il entendit Richie dire quelques mots à Lee-Ann qui partit d'un rire
franc et clair. La jalousie glaça une fois de plus le cœur de MacLeod qui se
redressa vivement dans son siège. Il entendait rire Lee-Ann pour la première
fois, mais ce n'était pas grâce à lui. La colère l'envahit, sitôt remplacée par
un sentiment de honte et d'incrédulité. De quel droit pouvait-il en vouloir à
Richie de réussir à égayer la jeune femme qui en avait tellement besoin ? Il se
rassura en se disant que sa jalousie était liée à l'attirance physique que
Lee-Ann exerçait sur lui, et se promit de ne plus se laisser égarer par son
penchant envers la jeune femme.
"Hey
Mac !", l'interpella Richie en venant vers lui. "Ta récré est finie,
nous voici de retour !"
"Je
vois ! Alors Lee-Ann, Richie ne vous a pas trop secouée j'espère ?"
"Eh
bien, je dois dire qu'il a été très prudent..."
"Ah,
tu vois bien Mac que je sais me tenir !"
"...Mais
franchement, je préfère la marche à pied !", termina Lee-Ann en souriant.
"Quoi
?! Vraiment ?! Vous n'avez pas aimé ...?", gémit Richie, la mine défaite.
"Mais je croyais..."
Le rire de Lee-Ann qui s'éleva à
nouveau dans le soir liquéfia le coeur des deux Immortels, subjugués.
"Mais
non Richie, je te taquine ! C'était super, promis. Allez, pour me faire
pardonner, c'est moi qui m'occupe du dîner. Restez là vous deux, je me charge
de tout !"
* * *
Chapitre
4
Richie resta avec eux jusqu'à la fin de
la semaine. Il lui avait suffi de quelques heures d'entraînement pour assimiler
la nouvelle parade de MacLeod, mais il ne pouvait se résoudre à partir. Il
avait espéré pouvoir lui aussi gagner la confiance de Lee-Ann dont le désespoir
l'avait ému, et avoir une chance de l'aider, mais il avait finalement dû se
rendre à l'évidence. Mac avait raison, elle n'était pas prête. Et puis ce
n'était pas lui qu'elle était venue trouver, mais le Highlander. Il avait donc
décidé de les laisser à nouveau seuls pour que les choses suivent leur cours.
Il avait cependant fait promettre à MacLeod de le tenir informé de l'évolution
de la situation. En retour, Duncan lui avait demandé de passer voir Joe ou
Methos une fois rentré à Seacouver pour leur soutirer quelques renseignements
sur la jeune femme. Le Highlander était maintenant intimement persuadé que
Lee-Ann était liée de près ou de loin aux guetteurs. Et même si ce n'était pas
le cas, leurs informations pourraient toujours lui être utiles. Mais il
n'imaginait pas ce que Joe allait lui révéler deux jours plus tard.
Lee-Ann et MacLeod étaient descendus au
village voisin pour l'approvisionnement. La jeune femme avait disparu dans la
petite boutique de souvenirs et articles de saison pour se trouver un maillot
de bain. Elle adorait nager et avait décidé que même la fraîcheur encore vive
des eaux du lac ne l'en priverait pas. MacLeod profita donc de cette courte
absence pour téléphoner une fois de plus à Joe. Voici maintenant près d'un mois
qu'il était parti, et Duncan se demandait s'il rentrerait un jour. Il sursauta
presque lorsque la voix bourrue de son vieil ami se fit entendre après la
troisième sonnerie.
"Dawson"
"Joe
? Enfin rentré ?!"
"MacLeod
? Bonjour ! Oui, je suis rentré il y a quelques heures à peine ! On dirait que
je t'ai manqué, Mike m'a dit que tu avais cherché à me joindre à plusieurs
reprises...". Une grande lassitude perçait dans la voix de Joe.
"Oui,
en effet, j'ai besoin des lumières de tes Guetteurs. Mais, et toi ? Comment
s'est passé ton séjour en Europe ?"
"Ah,
Mac, j'aurais aimé ne jamais avoir à faire ce voyage...". Il apparut
soudain à MacLeod que la fatigue dans la voix de Joe n'était certainement pas
due au décalage horaire.
"Que
s'est-il passé Joe ? Tu as l'air bouleversé..."
"C'est
une sale histoire Mac, une sale histoire. Un de nos Guetteurs a été tué et un
autre a disparu, probablement mort aussi. Et le pire c'est que nous savons qui
a fait cela mais nous ne pouvons rien faire : le salaud qui les a assassinés
est un Immortel qui a déjà tué au moins quatre de nos agents. Ses propres
guetteurs pour la plupart. Nous avons passé un mois à la recherche de notre
guetteur disparu, mais j'ai bien peur qu'elle n'ait subi le même sort que son
compagnon. C'est terrible Mac, je suis encore sous le choc. Je connaissais bien
l'homme qui a été tué, et surtout la femme qui a disparu. Son père était un
vieil ami à moi. Dieu sait ce qui lui est arrivé si ce malade a mis la main sur
elle..."
Avant même qu'il n'ait terminé,
MacLeod avait compris que Joe parlait de Lee-Ann. Cela ne pouvait pas être une
coïncidence. Sa mâchoire se serra et sa main se crispa sur le combiné. Il avait
donc vu juste. Lee-Ann était un guetteur et c'était bien après un Immortel
qu'elle en avait.
"Mac
? MacLeod, tu es toujours là ?". La voix de Joe parvenait de très loin
jusqu'à ses oreilles, et Duncan du faire un effort pour revenir sur Terre.
"Oui
Joe, je suis là. Joe, quel est le nom de la femme disparue?"
"O'Donnell,
Lee-Ann O'Donnell. Pourquoi ?"
MacLeod prit une profonde
inspiration.
"Joe,
écoute-moi Joe. Lee-Ann va bien. Elle est ici au chalet, avec moi."
"Comment
? Qu'est-ce que tu dis ?" l'incrédulité le disputait au soulagement dans
la voix de Joe. "Elle est avec toi MacLeod ?"
"Oui,
depuis près d'un mois".
"Bonté
divine ! Et elle va bien ?"
"Oui,
Joe, elle va bien. Physiquement du moins..."
"Bonté
divine !", répéta Joe. Puis il ajouta, comme pour lui-même : "Bien
sûr, quel idiot ! Nous aurions dû nous douter qu'elle ferait appel à toi. Nous
avons tourné en rond pendant trois semaines..."
"Joe
? Joe, que s'est-il passé ? Pourquoi a-t-on voulu la tuer ?", demanda
MacLeod, à la fois soulagé et inquiet de voir ses présomptions confirmées.
"Je
t'expliquerai Mac. Ne bougez pas d'où vous êtes, j'arrive. Sois prudent
MacLeod, Lee-Ann est en danger. Ne dis à personne qu'elle est avec toi.
Personne ne doit savoir, tu m'entends ? Je serai là dans deux heures. Bonté
divine...!" répéta Joe en raccrochant.
MacLeod raccrocha à son tour. Les
révélations confuses de Joe se bousculaient dans sa tête, mais tout s'éclairait
d'un jour nouveau à présent. Il avait vu juste pour l'essentiel. Il lui restait
maintenant à comprendre pourquoi, et comment... Et surtout qui était cet
Immortel qui avait brisé la vie de la jeune irlandaise. Il se demanda soudain
comment Lee-Ann allait réagir en voyant Dawson débarquer au chalet dans une
heure ou deux : elle n'était probablement pas au courant de l'amitié qui liait
les deux hommes. Il était de toute façon trop tard pour se poser la question et
Duncan décida qu'il aviserait à l'arrivée de Joe.
Il n'avait pas bougé depuis la fin de son
appel, la main tenant toujours le combiné du téléphone qu'il avait raccroché,
et il tressaillit lorsque la voix de Lee-Ann s'éleva derrière lui.
"Vous
téléphoniez ?"
MacLeod se retourna vivement, tentant de
déchiffrer sur les traits de Lee-Ann si elle avait pu entendre la conversation,
mais son visage ne reflétait qu'une curiosité sincère.
"Oui,
un vieil ami qui habite la région, et que j'ai invité à dîner ce soir...Alors,
vous avez trouvé votre bonheur ?", demanda-t-il en espérant qu'elle ne
remarquerait pas son trouble. Il n'était pas homme à laisser paraître ses
émotions, et avait appris depuis longtemps à les dissimuler sous un masque
neutre, mais il semblait perdre une partie de ses moyens en présence de la
jeune femme.
"Oh
oui, mais ne comptez pas sur moi pour vous le montrer avant de l'avoir essayé
pour de bon !", répondit Lee-Ann, rieuse, serrant contre elle d'un air
mystérieux le sac en papier contenant son achat.
Le cœur de MacLeod se serra. Il lui
tardait de connaître le fin mot de l'histoire, mais il appréhendait la réaction
de Lee-Ann. Il préférerait mille fois ne pas avoir à lui faire revivre les
récents événements alors qu'elle semblait à peine reprendre goût à la vie. Il
lui sourit à son tour.
"Bien
! Alors rentrons, je suis sûr que vous avez hâte de profiter de cette belle
journée pour nager un peu..."
Il n'avait pas tort. A peine
arrivée, elle se dirigea vers la salle de bain et s'empressa de revêtir son
nouveau maillot. MacLeod déclina poliment son invitation à la joindre en
prétextant que l'eau était encore trop fraîche pour lui à cette saison. Il
espérait ainsi pouvoir discuter un peu avec Joe avant qu'elle ne revienne de sa
baignade... Si son ami ne tardait pas trop cela dit.
Lee-Ann trouva dans la salle de bain
une chemise laissée par le Highlander. Décidant de lui emprunter, elle
l'enfila. Elle pouvait encore y sentir l'odeur de sa peau et les effluves de
son eau de toilette, et elle se sentit curieusement rassurée par cette aura
masculine qui l'enveloppait. Emportant une serviette, elle sortit ensuite de la
maison et se dirigea vers le lac, nu-pieds. Laissant ses affaires sur la plage,
elle se dirigea vers l'eau agitée par une très légère brise. Elle avança
jusqu'à ce que l'onde atteigne ses genoux, puis entreprit de mouiller
progressivement le reste de son corps avant de s'immerger complètement. La
fraîcheur de l'eau sur sa peau la fit délicieusement frissonner et elle sourit
en elle-même. Elle ne se retourna pas, mais elle sentait le regard protecteur
du Highlander qui l'observait depuis le promontoire.
Ce dernier, bien que plongé dans ses
pensées, ne pouvait s'empêcher d'admirer le corps de la jeune femme se mouvant
avec grâce à la surface de l'eau. Elle avait choisi un maillot une pièce, très
simple, d'un gris perle qui faisait ressortir le feu de sa chevelure. Se
dégageant de sa rêverie, il rentra à l'intérieur pour prendre son livre et
revint s'installer sur la terrasse en attendant Joe.
Lorsque le bruit d'un moteur approchant
se fit enfin entendre, il bondit de son siège pour jeter un coup d'œil à
Lee-Ann du haut du promontoire. La jeune femme était à présent sortie de l'eau
et répétait le kata quotidien au soleil de l'après-midi. Rassuré, MacLeod alla
prestement à la rencontre de son vieil ami.
"Joe
!", dit-il en l'étreignant, "Heureux de te revoir !"
"Moi
aussi MacLeod ! Alors, où est-elle ?", demanda-t-il d'emblée alors qu'ils
se dirigeaient vers la maison. Duncan ne put s'empêcher de remarquer combien
Joe avait les traits tirés et les yeux cernés.
"Elle
est là en bas, près du lac..."
"Seule
?". Le ton de Joe reflétait son inquiétude.
"Oui,
seule, mais ne t'inquiète pas Joe, tout va bien, personne ne sait qu'elle est
ici..."
"Oui,
oui, tu as raison Mac, c'est juste que...Tu ne sais pas à qui elle a
affaire..."
"Mais
je compte sur toi pour tout me dire, Joe. Viens, assieds-toi, je te sers un
verre."
"Merci
Mac."
Tandis que Duncan préparait un
Bourbon pour son ami et se versait un Whisky, Joe s'approcha du promontoire
pour observer Lee-Ann. Après un mois passé à retourner chaque pierre d'Irlande
et d'Europe à sa recherche, après avoir perdu tout espoir de la retrouver un
jour, il fallait qu'il la voie de ses propres yeux, saine et sauve. C'était
bien elle, plus belle que jamais lui semblait-il.
"Le salaud !" jura-t-il
mentalement à l'adresse de Karl. Il revint vers la terrasse avant que Lee-Ann
ne puisse l'apercevoir, et s'assit aux côtés du Highlander qui lui tendit un
verre.
"Merci
de m'avoir appelé Mac."
"Ce
n'est rien Joe. En fait, j'essayais de te joindre depuis son arrivée..."
"Oui,
je sais, quels imbéciles nous avons été de ne pas penser à toi... Mais nous
étions tellement persuadés qu'il lui était arrivé malheur, et..."
"Attends
Joe ! Et si tu commençais par le début. Lee-Ann est des vôtres, n'est-ce pas
?"
"Oui.
En fait, c'est son père, Daniel O'Donnell, qui a intégré notre organisation il
y a près de 30 ans. Il est devenu mon ami, et je connais Lee-Ann depuis sa
naissance."
Joe hésita à dire à MacLeod ce que
Lee-Ann représentait réellement pour lui. Il n'avait jamais été père, et ne
s'était jamais senti très proche de ses neveux et nièces. Mais Lee-Ann était la
fille qu'il n'avait jamais eue. Son père et lui étaient de très bons amis, et
c'est avec joie qu'il avait accepté de devenir le parrain de Lee-Ann lorsque
Daniel le lui avait demandé. Il avait ainsi vu Lee-Ann grandir, jusqu'à son
retour en France du moins, et avait été heureux de la revoir lorsqu'elle était
revenue vivre avec son père en Irlande. Il avait été là à la mort de son père,
et était depuis devenu la seule famille de la jeune femme. Mais il n'avait rien
pu faire contre Karl constata-t-il amèrement. Voyant que MacLeod l'observait,
attendant la suite de son récit, il interrompit le cours de ses pensées et
reprit ses explications.
"Daniel
est donc devenu des nôtres, mais Catherine, sa femme, n'a pas supporté les
absences répétées de son mari. Daniel avait préféré ne rien lui dire de ses
activités réelles, il voulait préserver sa famille. Catherine est repartie
vivre en France avec Lee-Ann. Malheureusement, elle est morte quelques années
après, et Lee-Ann est retournée près de son père en Irlande. Cette fois, il a
tout expliqué à sa fille, malgré son jeune âge, et nous avons affecté Daniel à
un Immortel résidant en Irlande pour qu'il puisse élever Lee-Ann. À son tour,
elle a rejoint nos rangs à la mort de son père, qui entre temps était devenu le
guetteur d'un allemand, Karl Hermlin..."
Le cœur de MacLeod fit un bond dans
sa poitrine en entendant le nom de l'Immortel responsable du malheur de
Lee-Ann. Karl. Karl Hermlin. Un des noms prononcés par la jeune femme dans son
sommeil. Mais il n'interrompit pas Joe et écouta la suite avec attention.
"Lee-Ann
a alors souhaité "reprendre" l'Immortel affecté à son père, et nous
avons eu la bêtise d'accepter. Mais à l'époque, nous n'avions pas encore percé
à jour la vraie nature de ce malade. Je parie que tu n'en as jamais entendu
parler...?"
"Non,
effectivement, ce nom ne me dit rien."
"Cela
ne m'étonne pas. Il n'est Immortel que depuis 1917, date de sa première mort
dans les tranchées allemandes. D'après nos calculs, il avait 32 ans. Mais il
n'a été recensé par nos guetteurs qu'au cours de la seconde guerre mondiale. En
revanche, ce que nous ne savions pas avant que Lee-Ann ne nous le révèle, c'est
qu'Hermlin, lui, connaît parfaitement notre existence, et ce depuis les années
soixante. Quand elle a repris les travaux de son père sur Hermlin, elle avait à
peine 25 ans et ce malade n'avait pas encore été fiché comme dangereux chez
nous...Il s'était en effet le plus souvent arrangé pour trancher des têtes en
dehors de notre présence puisqu'il se savait observé, et cela d'autant plus
qu'il emploie des méthodes peu orthodoxes. Les règles ne signifient rien pour
lui, et il s'est toujours arrangé pour les violer sans que nous puissions le
savoir. C'est Lee-Ann qui a révélé sa personnalité au grand jour...mais elle
l'a payé très cher..."
Joe s'interrompit pour boire une
gorgée de Bourbon. L'alcool se diffusa rapidement dans son organisme, le
réchauffant de l'intérieur. MacLeod n'avait pas touché à son verre qu'il
faisait doucement tourner dans sa main, admirant les reflets ambrés du liquide.
Il attendait avec impatience la suite des explications de Joe, mais ne voulait
pas brusquer son vieil ami qui paraissait bouleversé. Celui-ci s'éclaircit la
gorge avant de reprendre.
"Lorsque
Lee-Ann a prit la suite de son père, Hermlin n'a pas mis longtemps à la
repérer. Et il est apparemment tombé amoureux d'elle... Il s'est en tout cas
mis en tête de la séduire, et il a réussi. Lee-Ann est devenue sa maîtresse, en
secret. Mais à son contact, elle a rapidement pris conscience qu'Hermlin
n'était pas l'Immortel charmant et sans histoire qui l'avait séduite. Elle a
pris peur et a cherché à le quitter... "
"Et
je suppose que ce Hermlin n'est pas du genre à se laisser quitter... ",
intervint MacLeod.
"C'est
même pire que cela MacLeod", répondit Joe en hochant la tête. "Pour
Karl, Lee-Ann est sienne, elle lui appartient. Comme une chose, un objet... Au
début, il a donné dans le sentimental : il lui envoyait des fleurs, des
cadeaux, en lui disant qu'il ne pouvait vivre sans elle, qu'elle devait revenir
vers lui. Mais comme rien n'y faisait, il a décidé d'employer les grands
moyens. Il a enlevé Lee-Ann une première fois et l'a séquestrée pendant
plusieurs semaines en Allemagne, voulant la forcer à couper toute relation avec
le reste du monde, et les guetteurs. C'est à ce moment-là qu'il a décidé
"d'effacer" son tatouage, tout en laissant à Lee-Ann un souvenir
impérissable de lui... "
Joe se tut à nouveau et avala une
nouvelle gorgée d'alcool. Il n'avait pas besoin de préciser, MacLeod avait déjà
vu la cicatrice - la brûlure... Duncan réprima un haut-le-cœur en imaginant la
souffrance terrible qu'avait dû ressentir Lee-Ann. Il connaissait parfaitement
cette douleur pour l'avoir endurée une fois déjà., près de cent cinquante ans
auparavant. Il aidait alors une esclave à recouvrer sa liberté. Mais lui n'en
portait pas la marque pour toujours tel un stigmate. Joe reprit doucement la
parole.
"Et
puis il y a eu Sam. Lee-Ann et lui se sont rencontrés en France il y a un peu
plus de deux ans, alors qu'elle avait semé Hermlin et ses chiens pendant
quelques mois. Elle avait réussi à s'échapper et à quitter l'Allemagne où Karl
la retenait prisonnière, et s'était confiée à moi. Nous avions alors mis tout
en oeuvre pour la protéger et la mettre à l'abri de ce malade. Cela a
fonctionné quelque temps. Mais Hermlin finissait toujours par retrouver sa
trace, et il lui fallait fuir plus loin. Inutile de te dire qu'il a également
vu d'un très mauvais oeil la relation de Lee-Ann avec Sam… "
"Mais
pourquoi ne pas l'avoir éliminé alors ?" demanda MacLeod malgré lui.
"MacLeod,
tu sais bien que nous ne faisons pas ce genre de choses, surtout depuis
Horton... Mais il est bien dommage que ces deux-là ne se soient pas croisés.
Quoi qu'il en soit Mac, tout ce que nous pouvions faire était attendre qu'un
autre Immortel le défie et prenne enfin le dessus sur lui. Ce qui à ce jour ne
s'est toujours pas produit... Karl ne respecte ni le Jeu, ni les Règles, ni
rien d'ailleurs. Pourquoi s'ennuyer à combattre et risquer de perdre quand on
peut facilement tricher...? Il s'est entouré de quelques gorilles fidèles qui
se chargent d'abord d'abattre la proie. Il ne reste plus à Hermlin qu'à
trancher les têtes. Etant donné sa récente Immortalité, il a très vite compris
que c'était le meilleur moyen de survivre. Il a ainsi pris facilement un
certain nombre de Quickenings qui lui ont été très utiles. Heureusement, il se
contente aujourd'hui des Immortels qui le défient eux-mêmes. Et depuis trois
ans, il est plus occupé à rechercher Lee-Ann qu'à prendre des têtes..."
"Mais
que s'est-il passé en Europe Joe ?"
"Nous
n'en savons rien, enfin pas précisément. Sam et Lee-Ann vivaient en Irlande
depuis plusieurs mois, cachés dans un endroit dont peu de gens avaient
connaissance. Nous avions posté des guetteurs a priori inconnus de Karl aux
frontières, et le surveillions tant bien que mal. Mais il a échappé à notre
vigilance assez de temps pour se rendre lui-même en Irlande. Personne ne sait
comment il a su que Lee-Ann était là-bas. On pense qu'elle a été localisée
l'année dernière lors de son séjour à Paris pour soutenir sa thèse. Karl devait
être au courant, mais Lee-Ann voulait absolument obtenir son doctorat, et elle
a insisté pour se rendre sur place. Enfin, peu importe comment, mais il a su
précisément où les trouver. C'est par hasard qu'il a été repéré sur une bande
de surveillance vidéo à l'aéroport de Dublin, mais cela faisait déjà 6 heures
qu'il avait atterri. Nos agents ont aussitôt prévenu Lee-Ann et Sam pour qu'ils
quittent la maison au plus vite, mais c'était trop tard...Quand notre équipe
est arrivée sur les lieux, la maison était vide."
Joe marqua une nouvelle pause, le
temps de terminer son Bourbon pour se donner le courage de poursuivre. Sa main
tremblait légèrement quand il reposa le verre vide sur la table.
"On
a retrouvé le corps de Sam deux jours plus tard, en aval de la rivière près de
laquelle ils vivaient. On lui avait tiré dessus. Mais aucune trace de Lee-Ann.
Oh Mac, j'ai bien cru que ce salaud l'avait tué elle aussi..."
Les deux hommes sursautèrent et se
retournèrent d'un bloc lorsque la voix de Lee-Ann, tremblante d'une haine
palpable, s'éleva derrière eux.
"Oh
non, Joe, il ne me tuera jamais, mais moi je prendrai sa tête..."
* * *
Lee-Ann avait entendu la voiture
approcher mais n'en avait pas pour autant interrompu son kata. Il devait s'agir
de l'ami de MacLeod qui venait dîner. L'après-midi touchant à sa fin, la
température avait commencé à chuter et Lee-Ann avait décidé de rentrer. Après
avoir renfilé la chemise de MacLeod, elle était retournée vers la maison. Elle
n'avait pas reconnu la voiture de Joe qu'elle n'avait jamais vue, mais alors
qu'elle s'apprêtait à entrer dans sa chambre par la porte-fenêtre, elle avait
entendu les deux hommes discuter de l'autre côté de la terrasse. Elle s'était
figée. Elle connaissait cette voix. "Ce n'est pas possible"
avait-elle songé. Pourquoi diable Joe serait-il là à discuter avec l'Immortel
dont il est le guetteur ? S'approchant sans bruit, elle s'était postée au
coin du chalet et avait écouté la fin de leur conversation.
* * *
"Lee-Ann
!"
Joe s'était levé d'un bond malgré ses jambes.
"Mon
Dieu Lee-Ann j'ai bien cru qu'il t'avait tué toi aussi...", répéta-t-il en
faisant mine de la prendre dans ses bras.
Elle
se recula vivement avant qu'il ne puisse la toucher. Elle était livide, ses
lèvres exsangues muées en un pli amer qui lui barrait la bouche. De quel droit
MacLeod l'avait-il contacté ? Car c'était bien lui qui avait appelé Joe, elle
n'en doutait pas. Tous ces appels à la cabine téléphonique du village... Si
elle avait soupçonné leur amitié, jamais elle ne serait venue trouver MacLeod,
tout cela était trop dangereux pour Joe... Il était tout ce qui lui restait à
présent.
"Eh
bien Joe, il semble que je ne sois pas la seule à avoir brisé mon serment...
", répliqua-t-elle sèchement. Elle n'était pas seulement en colère contre
MacLeod, elle en voulait aussi amèrement à Joe de lui avoir caché son amitié
avec l'Immortel. Tendue, elle serrait les poings si fort que ses ongles
entaillèrent ses paumes jusqu'au sang.
Joe fit un nouveau pas vers elle.
"Lee-Ann,
je t'en prie, je suis là pour t'aider... "
"Personne
ne peut m'aider Joe, à moins de m'enseigner à couper des têtes... ". Elle
avait parlé dans un souffle, à peine un murmure, tentant de contenir l'émotion
qui la submergeait soudain. La présence de Joe ramenait à la surface les
émotions qu'elle tentait d'enfouir au plus profond d'elle-même depuis un mois,
et elle se mit à trembler.
Joe tendit la main vers elle et lui
effleura le bras.
"Lee-Ann...
", commença-t-il.
"Reste
en dehors de ça Joe ! ", cria-t-elle en le repoussant rageusement. Des
sanglots perçaient à présent dans sa voix. "Tu ne vois donc pas qu'il
tuera tous ceux qui se dressent entre lui et moi, Joe ?!", hurla-t-elle.
"Tous, il vous tuera tous ! Comme il l'a tué, Joe, comme il a tué Sam...
!".
Alors qu'elle prononçait le nom de
Sam pour la première fois depuis sa mort, la froide haine sous laquelle Lee-Ann
avait enfouit sa souffrance céda soudain la place au chagrin. Les larmes trop
longtemps refoulées perlèrent enfin à ses yeux et coulèrent sur ses joues. Elle
ne pouvait contenir plus longtemps sa douleur et laissait enfin libre cours à
la peine qui étreignait son âme depuis plus de quatre semaines - une éternité.
Lorsque Joe la prit dans ses bras, elle ne le repoussa pas et se blottit dans
les bras de celui qu'elle appelait enfant "Oncle Joe".
"Oh
Lee-Ann, je suis désolé... ", murmura-t-il à son oreille, la serrant tout
contre lui, lui caressant la tête et la berçant tendrement pour l'apaiser,
tandis que les sanglots désespérés de Lee-Ann transperçaient le cœur de MacLeod
qui avait observé la scène sans un mot.
* * *
La lumière des flammes dansant dans
l'âtre illuminait le visage de Lee-Ann étendue sur le canapé aux cotés de Joe,
accrochant aux reflets de ses mèches ambrées. Elle avait posé sa tête sur les
genoux de son parrain qui passait tendrement une main dans ses cheveux sans mot
dire, et s'était endormie, épuisée. Lorsqu'elle s'était finalement apaisée
après avoir laissé éclater sa peine, Joe l'avait aidée à rentrer et MacLeod
avait allumé la cheminée. Les deux hommes discutaient à voix basse, n'osant
troubler le repos de Lee-Ann. Sa respiration régulière soulevait à peine sa
poitrine. Elle s'était assoupie comme une enfant, une main sous sa joue, ses
jambes nues à demi repliées. Elle portait encore la chemise de MacLeod, ce qui
ajoutait à son air de petite fille endormie.
MacLeod expliquait à Joe pourquoi
Lee-Ann était venue le trouver et son désir de vengeance envers Karl.
"Elle
veut prendre sa tête ?", demanda Joe, incrédule.
"Tu
l'as entendue comme moi, Joe. Elle a l'intention de le défier, cela ne fait
aucun doute."
"Mais
c'est de la folie ! Elle ne peut pas combattre un Immortel, encore moins seule
avec une épée, MacLeod !"
"Je
le sais bien Joe, et je n'ai jamais eu l'intention de la laisser mener ce
projet à terme, mais il fallait bien que je comprenne ce qui la poussait à
vouloir apprendre à se battre, alors j'ai accepté de le lui enseigner... "
MacLeod s'interrompit lorsqu'il se
rendit compte que Lee-Ann était parfaitement réveillée. Elle le fixait
intensément de ses yeux verts assombris par la colère et la douleur.
Elle se redressa doucement et
s'assit, jambes repliées sous elle.
"Je
me battrai MacLeod", dit-elle d'une voix calme mais déterminée, "et
je le tuerai, quoi qu'il m'en coûte".
"Lee-Ann...
", commença Joe, se tournant vers elle.
"Je
ne peux pas continuer à vivre ainsi Oncle Joe".
MacLeod fut surpris d'entendre
Lee-Ann appeler Joe ainsi, mais il n'en montra rien. Certaines choses pouvaient
attendre.
"Je
ne veux plus continuer à fuir sans cesse, je dois le défier, et quelle que soit
l'issue du combat, tout sera enfin fini... ". Son ton était posé, résigné
mais on ne peut plus décidé.
"Lee-Ann,
je t'en prie, tu es sous le choc", reprit Joe en prenant sa main dans la
sienne. "Tu n'as aucune chance contre Karl, tu le sais, et tu ne peux
sacrifier ta vie pour cette folie !"
"Si
Joe, je le peux. Sam a bien donné la sienne pour moi, et je le vengerai, à
n'importe quel prix... " Elle parlait avec un tel calme, tête baissée, le
regard fixe, que Joe comprit qu'il ne servirait à rien d'insister. Sa décision
était prise, et rien ne la ferait changer d'avis. Mais cela ne signifiait pas
qu'il ne pouvait rien faire pour l'empêcher de commettre ce suicide. Il
ignorait que MacLeod pensait exactement la même chose en cet instant précis,
mais il n'en aurait pas été surpris.
"Je
n'ai plus rien à perdre Oncle Joe, et si je dois mourir pour venger Sam, nous
serons au moins réunis... "
"La
mort de Karl ne fera pas revenir Sam, Lee-Ann, vous le savez", intervint
MacLeod d'une voix douce. Elle leva les yeux vers lui.
"Oui,
je le sais, mais à quoi bon vivre sans lui si je dois fuir Karl pour le reste
de mes jours ?"
MacLeod la regarda droit dans les
yeux et prit une profonde inspiration avant d'affirmer :
"Je
défierai Karl moi-même Lee-Ann, et vous n'aurez plus à le craindre, je vous le
promets."
Lee-Ann soutint son regard.
"Vous
n'en ferez rien MacLeod," répondit-elle dans un souffle. "Cette
vengeance est la mienne, la tête de Karl m'appartient."
Duncan ne répondit pas, cela ne
servirait à rien. Chacun retourna à ses sombres pensées, et le silence retomba
entre eux, entrecoupé des petits claquements secs du bois se consumant dans
l'âtre.
* * *
Étendu sur le divan, MacLeod cherchait le
sommeil qui le fuyait. Lorsque Lee-Ann s'était finalement assoupie dans les
bras de Joe, Duncan l'avait portée jusqu'à sa chambre. Puis il avait laissé son
lit à Dawson et s'était installé dans le séjour. Les révélations de Joe avaient
certes confirmé et complété ses suppositions, mais le problème restait entier.
Quels qu'aient été les évènements qui avaient conduit à la mort de Sam, ils
avaient également conduit la jeune femme à venir se réfugier chez lui pour
apprendre à combattre. Combattre un Immortel qui plus est, un homme qui ne
respectait ni les mortels, ni ceux de sa race, qui ne se pliait à aucune règle,
ne respectait aucune loi. Et rien ne semblait pouvoir la faire changer d'avis.
Il devait pourtant bien y avoir un moyen de l'empêcher de commettre cette
folie. Demain, ils retourneraient à Seacouver - Lee-Ann y avait consenti à
condition d'y poursuivre son entraînement - et aviseraient. D'après les
dernières sources de Joe, Karl était retourné se terrer en Allemagne,
probablement persuadé de la mort de la jeune femme. Il importait donc de le lui
faire croire le plus longtemps possible en cachant Lee-Ann aux yeux de monde.
Jusqu'à ce qu'elle renonce à son projet, ou jusqu'à ce que MacLeod lui-même se
charge de lui.
Cette vengeance appartenait à la
jeune femme, il devait en convenir, cependant cet homme était l'un des siens,
un Immortel comme lui, et cela lui donnait le droit de le défier pour prendre
sa tête, selon les Règles du Jeu applicable à chaque Immortel. Mais le
devait-il ?
MacLeod avait beau tourner et
retourner le problème dans sa tête, s'agiter sur le divan, il ne trouvait ni
solution, ni repos. Le visage grave et résolu de la jeune femme s'imposait à
son esprit chaque fois qu'il fermait les yeux, la tristesse de son regard
s'imprimait sur sa rétine comme après un flash, sa moue déterminée le
poursuivait dans les méandres de son esprit et, à son insu, jusqu'au plus profond
de son cœur.
Dans le silence pesant du chalet,
Joe avait renoncé à chercher le sommeil qui se dérobait également à lui. Il
avait rejeté les draps et entrouvert la fenêtre pour aérer la chambre, mais
même l'air frais de la nuit ne suffisait pas à calmer l'agitation qui bouillait
en lui. La joie d'avoir retrouvé Lee-Ann saine et sauve le disputait à une rage
et une rancœur presque incontrôlables envers Karl. À cause de lui, Lee-Ann
avait changé. La jeune femme enjouée et rieuse qu'elle était avait, par la
faute de cet Immortel aliéné, laissé la place à un être amer et triste guidé
par la haine et la vengeance. Il avait détruit sa vie en prenant celle de Sam,
et Joe regrettait de ne pas pouvoir faire justice lui-même. Pour l'heure il lui
faudrait tenter de convaincre Lee-Ann de renoncer à sa folle entreprise. Mais
comment ?
Tandis que les deux hommes
cherchaient en vain le sommeil, Lee-Ann, profondément endormie, revivait à
nouveau le cauchemar de la mort de Sam.
* * *
Sam ouvrit la lourde porte d'entrée et
suivit Lee-Ann à l'intérieur. Spike se faufila à son tour dans
l'entrebâillement pour se précipiter vers sa gamelle. Il fut déçu de trouver
son bol vide et jappa doucement pour attirer l'attention de Lee-Ann. Tandis
qu'elle versait le contenu d'une boîte de nourriture pour chiens dans la
gamelle de Spike, elle entendait derrière elle Sam verrouiller comme chaque
soir la porte en chêne à l'aide de plusieurs serrures et cadenas. Cette mesure
se révélerait bien peu efficace contre Karl et ses sbires s'il les retrouvait,
pourtant cette inutile précaution les rassurait.
Il retourna ensuite dans la pièce
principale auprès de Lee-Ann et la prit de nouveau dans ses bras.
Ils vivaient tous deux la peur au ventre,
tenaillés par la même angoisse. L'angoisse de cet homme qui tentait de les
détruire depuis plus de deux ans. Si Sam craignait pour leurs vies à tous les
deux, Lee-Ann elle ne se souciait que du sort de Sam, car elle savait ce qui
les attendait si Karl les rattrapait. Ce qu'il lui réservait à elle n'était
certes guère enviable, mais c'était la mort pure et simple qu'il destinait à
Sam, et elle savait que Karl ne se priverait pas de faire durer son agonie.
A cette idée, un frisson la
parcourut et Sam la serra plus fort. Elle sentait la chaleur de son corps tout
contre le sien, son souffle sur sa nuque, et elle eut soudain terriblement
envie de lui. Comme s'il avait lu dans ses pensées, Sam prit doucement son
visage dans ses mains et l'embrassa tendrement. Leurs baisers se firent plus
passionnés tandis qu'il défaisait un à un les boutons de sa robe. Il la porta
ensuite dans la petite chambre attenante et la déposa avec douceur sur le lit.
Ils firent l'amour ce soir-là avec plus de tendresse et de passion que jamais,
leurs gestes guidés par une ardeur empreinte de solennité, comme s'ils savaient
que c'était la dernière fois.
Ils étaient endormis depuis quelques
heures à peine lorsque la sonnerie du pager retentit. Lee-Ann se redressa
vivement dans le lit, le coeur battant. "Mon Dieu non, faites que ce ne
soit qu'une erreur !" pensa-t-elle. Elle se tourna vers Sam qui était déjà
debout et se dirigeait vers la commode où était posé le biper. Joe le leur
avait confié lorsqu'ils étaient venus s'installer (se cacher...) en Irlande,
"En cas d'urgence" avait-il dit... Sam appuya sur le bouton, arrêtant
la sonnerie, et déchiffra le message inscrit sur l'écran. Quatre lettres. karl. Lee-Ann lu dans son regard que leurs
pires craintes se concrétisaient ce soir. Karl les avait retrouvés...
La panique l'envahit. Elle se leva
et rejoint Sam qui la prit dans ses bras.
"Tout
va bien Lee-Ann, ne t'inquiète pas, nous avons tout le temps de partir."
Il la repoussa tendrement et prit
son visage dans ses mains, la forçant à le regarder dans les yeux.
"Nous
allons faire comme prévu Lee-Ann, et tout se passera bien."
La jeune femme réprima les larmes de
colère et de peur qui perlaient à ses yeux et acquiesça gravement. Ils
s'habillèrent rapidement. Sam attrapa sous le lit le sac à dos contenant leurs
papiers, de l'argent et quelques vêtements de rechange - tout ce qui était
nécessaire à leur fuite - préparé dès le premier jour pour une telle
éventualité. Ils quittèrent la maison moins de dix minutes après l'alerte du
pager, Spike sur leurs talons. Mais il était déjà trop tard.
* * *
Chapitre
5
"Plus
vite, tu dois anticiper le mouvement !"
La rapière dansait dans les mains de
Lee-Ann, mais trop lentement au goût de MacLeod. Ce dernier ne laissait aucun
répit à son élève, enchaînant passes et attaques à une vitesse vertigineuse.
Cela faisait plus de deux heures qu'ils s'entraînaient ainsi, et Lee-Ann était
épuisée. La sueur collait ses vêtements et brûlait ses yeux fatigués. Le son
métallique des lames s'entrechoquant résonnait dans le dojo désert, accompagné
des invectives de MacLeod et de la respiration haletante des deux opposants.
Depuis leur retour du chalet dix jours
plus tôt, le Highlander avait décidé de passer à l'étape supérieure pour
l'entraînement de Lee-Ann et c'est maintenant à armes réelles que les combats
se déroulaient. La douleur n'effrayait pas vraiment Lee-Ann mais l'adrénaline
affluait plus abondamment dans son sang, ce qui rajoutait un peu d'intensité à
leurs échanges. Pour l'heure, la fatigue gagnant, Lee-Ann commençait à
commettre quelques erreurs. Les rudes remarques et critiques de MacLeod
n'arrangeaient rien, et la colère envahissait peu à peu la jeune femme. Elle ne
comprenait pas l'attitude de MacLeod qui semblait plus ombrageux et irascible
depuis quelques jours. La difficulté des entraînements allait croissant, et il
exigeait chaque jour un peu plus de Lee-Ann. Elle commençait à se demander s'il
n'agissait pas ainsi afin de la décourager et de l'inciter à renoncer à sa
vengeance ; c'était en effet depuis la visite de Joe qu'il avait changé. Joe.
Cher Joe. Lee-Ann sentait bien qu'il était lui aussi dérouté par ses projets,
mais elle n'avait pas l'intention d'abandonner.
"Aïe
!"
Le cri de Lee-Ann qui retentit dans
le dojo mêlait colère et douleur. Une estafilade zébrait son avant bras droit où
la lame de MacLeod l'avait entaillée. Celui-ci se dirigea aussitôt vers Lee-Ann
pour examiner la plaie. Elle se recula vivement, le fusillant du regard.
"Ce
n'est rien Duncan, je survivrai…"
"Lee-Ann,
s'il te plaît, laisse-moi voir !"
"Pourquoi
? Tu as parfaitement maîtrisé ton coup, ce n'est qu'une égratignure, alors,
continuons !"
Lee-Ann fulminait contre MacLeod.
"Je
pense que ça suffira pour aujourd'hui…", répondit MacLeod sans insister.
Lee-Ann avait raison, il l'avait
délibérément blessée afin qu'elle se concentre sur le duel. Mais il n'avait pas
prévu qu'elle lirait si bien en lui, et qu'elle comprendrait parfaitement que
cet avertissement était destiné à lui donner un avant goût d'un combat réel, de
la douleur physique, pour lui faire prendre l'exacte portée de ses intentions à
l'égard de Karl.
Lee-Ann enroula rageusement sa
serviette autour de son bras et se dirigea vers le monte-charge, suivie de
MacLeod. Arrivée à l'étage, elle entra immédiatement dans la salle de bain dont
elle ferma la porte sans douceur. MacLeod préparait un café lorsque l'approche
d'un Immortel envahit ses sens, quelques secondes avant que l'élévateur ne
s'ébranle vers le rez-de-chaussée. Il ne devait s'agir que de Richie, mais, à
tout hasard, Duncan se rapprocha calmement de la cheminée où était posé son
katana.
Le visage qui apparut entre les
grilles de l'élévateur n'était toutefois pas celui de Richie. MacLeod ne cacha
pas sa surprise.
"Methos
? Quelle…"
"Chut
MacLeod !", l'interrompit Methos, posant un doigt sur ses lèvres en
scannant rapidement la pièce du regard. "Aujourd'hui je ne suis que le
guetteur Adam Pierson …"
Haussant les sourcils, le Highlander
prit une moue interrogative.
"Je
suis venu voir Lee-Ann", reprit Methos en s'installant nonchalamment dans
le sofa. "Joe m'a dit qu'elle était avec toi."
"Lee-Ann
?", demanda Duncan en tendant, sans même réfléchir, une bière fraîche à
Methos. "Oui, elle est ici, juste à côté même… ", ajouta-t-il en
désignant la salle de bain d'où l'on pouvait entendre l'eau couler.
Le Highlander prit place à son tour
dans son fauteuil.
"Donc
vous vous connaissez mais elle ne sait pas qui tu es ?", interrogea
Duncan, un peu irrité de voir que beaucoup de gens semblaient connaître Lee-Ann
tandis que lui ne savait quasiment rien de la jeune femme.
"Oui,
et je ne pense pas que ce soit le bon moment pour les révélations… Bon sang
MacLeod quand Joe m'a dit qu'elle était saine et sauve, et chez toi en plus, je
ne voulais pas y croire ! J'ai passé près d'un mois à parcourir l'Europe à sa
recherche, mais tout indiquait qu'elle avait été tuée avec Sam… Tu es au
courant n'est-ce pas ?"
"Oui,
un peu, je sais ce que Joe et Lee-Ann ont bien voulu me dire, c'est à dire pas
grand chose… Depuis quand connais-tu Lee-Ann ?"
"Eh
bien… "
"Adam
?"
Les deux Immortels se levèrent comme
un seul homme tandis que Lee-Ann, vêtue de propre, un pansement sur son
avant-bras et une serviette à la main, entrait dans la pièce.
"Adam
? Mais qu'est-ce… "
Methos l'interrompit en la prenant
dans ses bras. Il la serra brièvement mais avec chaleur, puis s'écarta pour la
regarder.
"Lee-Ann,
c'est bon de te voir !"
"Plaisir
partagé Adam ! Mais ma parole Duncan, tu connais tous les guetteurs de Joe
?!"demanda-t-elle sans malice au Highlander.
Ses griefs envers son mentor semblaient
s'être envolés avec l'arrivée de Methos, et son visage n'exprimait plus qu'une
curiosité amusée. Mais il se ferma brusquement comme elle se tournait à nouveau
vers le nouvel arrivant.
"C'est
Joe qui t'envoie n'est-ce pas ? Il t'envoie pour me convaincre d'arrêter
l'entraînement… "
Methos sourit et la fit prendre
place à ses côtés sur le divan.
"C'est
un peu vrai, Joe est inquiet pour toi tu sais. Mais je voulais surtout te
voir…". Il saisit la main de Lee-Ann et plongea son regard dans ses grands
yeux verts. "Lee-Ann, je suis vraiment désolé pour Sam… ".
"Merci,
je sais… ". Lee-Ann avait répondu sans animosité mais elle baissa la tête
et se dégagea avec douceur de l'étreinte de Methos.
Elle se leva et fit quelques pas
dans la pièce. Les deux hommes gardaient le silence, sentant que Lee-Ann
voulait dire quelque chose. Elle croisa les bras, comme pour se réchauffer,
puis, se tournant à nouveau vers Methos, reprit doucement la parole.
"Je…je
suis désolée pour toute cette mascarade, Adam, mais je n'avais pas le
choix." Methos resta silencieux. "Il fallait que tout le monde me
croie morte, c'était ma seule chance que Karl le pense aussi."
Elle leva les yeux vers lui, et son
sourire empreint de compassion et de tendresse la rassura. Elle demanda enfin :
"Et,
pour Sam …?"
Methos la fit asseoir à nouveau près
de lui. "Joe ne t'a rien dit ?"
"Non,
je… je n'ai pas osé lui demander."
"Ne
t'inquiètes pas. Nous avons rapatrié le corps de Sam en France, et il repose
auprès de ses parents à Etretat…"
"C'est
bien. Merci Adam."
Methos lui sourit à nouveau. MacLeod
avait observé l'échange sans intervenir, et il devinait les efforts de Lee-Ann
pour garder son calme et refouler son émotion : ses lèvres pincées, ses mains
serrées très fort l'une contre l'autre, son regard dur... Il connaissait
maintenant assez la jeune femme pour lire en elle. Il se demanda soudain si
Methos connaissait Lee-Ann mieux qu'il ne paraissait…
La jeune femme sembla se reprendre et
sourit à son tour au vieil Immortel dont elle ignorait la véritable identité.
Elle lui demanda, avec un entrain forcé mais une curiosité non feinte, s'il
avait fait de nouvelles découvertes concernant le projet Methos… Duncan ne put
réfréner un sourire tandis que le "projet" répondait le plus
naturellement du monde qu'il progressait. MacLeod saisit cette opportunité pour
demander à Lee-Ann comment elle avait rencontré Adam Pierson.
"Oh,
nous avons passé plusieurs mois à déchiffrer ensemble de vieux manuscrits
concernant peut-être Methos. C'était il y a environ trois ans. Joe pensait
qu'un travail de recherche serait moins dangereux que d'être affectée à un
Immortel sur le terrain. Mais, et toi Duncan, comment se fait-il que tu
connaisses Adam ?"
"Par
l'intermédiaire de Joe en fait… ", répondit vaguement le Highlander avant
que Methos ne l'interrompe.
"C'est
une longue histoire Lee-Ann. Je te dirais tout le moment venu, mais pour
l'instant notre priorité est ta sécurité. Lee-Ann," reprit-il gravement,
forçant la jeune femme à le regarder, "dis-moi ce qui s'est passé.
Raconte-moi tout, s'il te plait. C'est très important. Si nous voulons pouvoir
te protéger, il faut que nous sachions."
Observant l'expression à la fois
blessée et méfiante qui s'affichait sur le visage de Lee-Ann, Methos ajouta :
"Je
sais que c'est difficile pour toi Lee-Ann, mais nous devons être sûrs que Karl
te croit morte et qu'il te laissera tranquille au moins jusqu'à ce qu'on trouve
une solution."
Lee-Ann baissa les yeux.
"Je
sais Adam. Je ne pouvais pas le dire à Joe… Tu comprends ?"
Methos lui sourit à nouveau. Il
semblait à MacLeod que ce sourire n'avait pas l'air faux que la constante
touche d'ironie et le cynisme du plus vieux des Immortels leur donnait parfois.
C'était un franc sourire, empreint de compassion et de bienveillance. Et Duncan
sentit que le moment était venu. Lee-Ann allait livrer la dernière partie de
son secret. La jeune femme se leva et se dirigea à nouveau vers la fenêtre.
C'est le regard perdu au loin dans
le ciel clair de Seaucouver que Lee-Ann commença son récit.
"Le
biper a sonné vers minuit… "
* * *
Ils étaient endormis depuis quelques
heures à peine lorsque la sonnerie du pager retentit. Lee-Ann se redressa
vivement dans le lit, le coeur battant. "Mon Dieu non, faites que ce ne soit
qu'une erreur !" pensa-t-elle. Elle se tourna vers Sam qui était déjà
debout et se dirigeait vers la commode où était posé le biper. Joe le leur
avait confié lorsqu'ils étaient venus s'installer (se cacher...) en Irlande,
"En cas d'urgence" avait-il dit... Sam appuya sur le bouton, arrêtant
la sonnerie, et déchiffra le message inscrit sur l'écran. Quatre lettres. KARL.
Lee-Ann lu dans son regard que leurs pires craintes
se concrétisaient ce soir. Karl les avait retrouvés...
La panique l'envahit. Elle se leva
et rejoint Sam qui la prit dans ses bras.
"Tout
va bien Lee-Ann, ne t'inquiète pas, nous avons tout le temps de partir."
Il la repoussa tendrement et prit
son visage dans ses mains, la forçant à le regarder dans les yeux.
"Nous
allons faire comme prévu Lee-Ann, et tout se passera bien."
La jeune femme réprima les larmes de
colère et de peur qui perlaient à ses yeux et acquiesça gravement. Ils
s'habillèrent rapidement. Sam attrapa sous le lit le sac à dos contenant leurs
papiers, de l'argent et quelques vêtements de rechange - tout ce qui était
nécessaire à leur fuite - préparé dès le premier jour pour une telle
éventualité. Ils quittèrent la maison moins de dix minutes après l'alerte du
pager, Spike sur leurs talons. Mais il était déjà trop tard.
Ils s'élancèrent à petit trot,
remontant le cours d'eau en direction du pont un peu plus au nord. Une voiture
les attendait cachée dans une vieille ferme de l'autre côté de la rivière, et
ils rejoindraient ainsi Cork pour fuir l'Irlande par bateau. L'herbe haute
assourdissait le bruit de leurs pas et la lune presque pleine guidait leur
course silencieuse. Ils ne voulaient pas prendre le risque d'allumer leurs
lampes torches.
Ils avaient pratiquement rejoint le pont
lorsque Spike se figea, oreilles dressées et truffe en alerte, puis se mit à
gronder. Sam et Lee-Ann arrêtèrent leur course et s'accroupirent, aux aguets.
Le coeur de Lee-Ann battait à tout rompre, son sang pulsait à ses tempes. La
peur de perdre Sam surpassait sa crainte de retomber aux mains de Karl. La
panique l'envahissait progressivement. Et s'il les avait réellement retrouvés ?
Et s'il était déjà trop tard pour fuir ? Elle serra la main de Sam dans la
sienne.
Ils
scrutèrent la pénombre alentour sans rien apercevoir. Seul le bruissement des
feuilles et le faible murmure de l'eau en contrebas se faisait entendre dans le
silence de la nuit. La rivière, haute comme à l'accoutumée au printemps, était
tranquille et peu rapide à cet endroit. Le pont de pierre qui l'enjambait était
désert et l'autre côté, bien que difficile à distinguer depuis leur position,
semblait calme. Spike grondait toujours sourdement. Lee-Ann consulta Sam du
regard. Il hocha la tête comme pour dire "Allons-y !". Ils
entreprirent de traverser.
À peine avaient-ils effectué quelques pas
sur le pont que l'éclat puissant de deux phares s'alluma face à eux sur l'autre
rive, les aveuglant temporairement. Ils firent aussitôt demi-tour pour prendre
la fuite, mais se retrouvèrent face à face avec un homme grand, blond, aux yeux
bleu acier, qui leur barrait le passage armé d'un revolver et d'une lampe
torche. Lee-Ann reconnu aussitôt Hans, le bras droit de Karl depuis plus de 7
ans.
Ils étaient pris au piège sur le pont.
Sam et Lee-Ann firent volte-face à
nouveau. Dans le halo lumineux des phares s'avancèrent deux hommes. Spike se
mit à aboyer furieusement à leur encontre. Les jambes de Lee-Ann se dérobèrent
presque sous elle tandis que le visage de Karl apparaissait dans la lumière.
Celui-ci arborait un rictus triomphal. L'homme qui l'accompagnait, grand, de
type aryen comme Hans, un mauvais sourire déformant sa bouche, était inconnu de
Lee-Ann. Il braquait lui aussi un pistolet dans leur direction.
Sam
pris la main de Lee-Ann dans la sienne. Elle était glacée. Les aboiements
enragés de Spike redoublèrent tandis que le deuxième homme s'avançait dans leur
direction. Mais un imperceptible mouvement de Karl lui intima l'ordre de rester
à sa place. L'homme s'exécuta. Hans quant à lui restait en retrait.
Karl fit un pas vers eux, et Spike se
ramassa, prêt à bondir sur cet intrus menaçant ses maîtres. Un bref regard à
l'homme près de lui suffit. Lee-Ann cria "NON !" mais avant qu'elle
ait pu esquisser le moindre geste pour retenir le berger allemand, celui-ci
s'élança vers Karl. La détonation retentit au même instant et Spike fut
brutalement projeté de côté par la balle qui l'atteignit en plein flanc. Le
corps sans vie du chien retomba lourdement sur le sol aux pieds de Karl qui ne
lui accorda même pas un regard.
Sam, toujours silencieux, sera
fermement la main de Lee-Ann. Elle se ressaisit et leva les yeux vers Karl qui
s'était avancé. Déchiffrant la haine pure qui s'y lisait, celui-ci hocha la
tête de droite à gauche, et afficha un demi-sourire.
"Allons,
allons, Petite Fleur", dit-il sur le ton que l'on emploie pour consoler
les enfants. "Ne sois pas triste, je t'en offrirai un autre..."
Le cœur de Lee-Ann se souleva en
entendant ce surnom que Karl lui avait donné au début de leur histoire et
qu'elle détestait tant maintenant.
"Espèce
de salaud !", siffla-t-elle entre ses dents.
Karl pencha légèrement la tête de
côté, son sourire s'élargit.
"Tu
croyais réellement que j'abandonnerai si facilement ? Allons, tu me connais
mieux que ça maintenant, non ? Tu sais bien que nous sommes faits l'un pour
l'autre, et que rien ni personne ne pourra nous séparer... "
Il avait prononcé ces derniers mots
en levant les yeux vers Sam qui soutint son regard sans broncher. Lee-Ann
comprit alors que tout était perdu. Ils étaient coincés sur ce pont au beau
milieu de la campagne irlandaise. Il ne lui servirait à rien d'accepter de
suivre Karl en échange de la vie sauve de Sam, il le tuerait de toute façon. Au
moindre mouvement de fuite, Hans ou l'homme qui venait d'abattre Spike feraient
feu sur eux. Elle se prit à penser qu'au moins la mort les libérerait de ce
monstre. Si Sam devait mourir, elle refusait de lui survivre, surtout aux mains
de Karl.
Ce dernier fit encore un pas vers
eux. Sam et Lee-Ann reculèrent instinctivement, ce qui accentua le rictus de
l'Immortel. Les amants étaient maintenant pratiquement acculés à la rambarde du
pont. Lee-Ann réalisa soudain que leur seule chance de salut était peut-être
sous leurs pieds.
La rivière.
En sautant, ils auraient peut-être
une chance de leur échapper. L'absurdité de son plan lui apparut bien vite :
ils feraient une cible de choix pour les hommes de Karl qui n'hésiteraient pas
à faire feu sur eux comme cette brute l'avait fait pour Spike.
Mais... Le feraient-ils vraiment ? Non,
bien sûr que non ! Lorsqu'elle s'était échappée du manoir de Karl trois ans
auparavant, aucun homme de main de l'Immortel n'avait osé tirer sur elle.
Celui-ci leur avait clairement signifié qu'aucun mal ne devait être fait à la
jeune femme, et c'est ainsi qu'elle avait pu fuir. Leurs armes ce soir
n'étaient destinées qu'à les intimider, ce qui avait presque réussi ! Si Sam et
elle plongeaient ensemble, les hommes de Karl ne tireraient pas sur eux de peur
de la blesser, Karl lui-même les en empêcherait. Ils n'avaient de toute façon pas
d'autre choix que tenter l'essai. Mais elle devait amadouer Karl, détourner son
attention afin qu'il ne se doute de rien. Elle planta ses yeux dans les siens.
"Laisse-le
partir Karl, c'est moi que tu veux..."
L'Immortel renversa la tête en
arrière et parti d'un rire triomphal. C'est exactement ce qu'il voulait
entendre : Lee-Ann le suppliant d'épargner le pauvre mortel qui avait volé son
cœur.
"Non,
non, non, Petite Fleur... ", répondit-il en agitant l'index tendu devant
lui. "Je crois que tu mérites quand même une petite leçon pour ta
conduite... "
Pendant qu'il parlait, Lee-Ann serra
plus fermement encore la main de Sam derrière son dos, le tirant
imperceptiblement en arrière. Sam comprit tout de suite. Elle avait raison,
c'était leur seule chance. Ils devaient la tenter.
"...
Nous allons tous les trois repartir bien sagement avec Hans et Peter, nous
aviserons ensuite."
Toujours souriant, certain d'avoir
gagné la partie, Karl se retourna pour faire signe aux deux hommes derrière
lui. D'un même mouvement, Sam et Lee-Ann basculèrent en arrière, prenant appui
sur le muret formant rambarde pour se propulser dans le vide. Ils plongèrent
dans la rivière dont les eaux noires et glacées se refermèrent sur eux.
"Nein
! Scheisse ! Mais bande d'idiots, qu'est-ce que vous attendez, faites quelque
chose !", hurla Karl à l'adresse de ses deux acolytes.
Le raisonnement de Lee-Ann était juste :
Karl avait effectivement interdit à ses hommes de tirer sur elle ou de faire
quoique ce soit pour la blesser. Mais tous deux avaient négligé un détail : la
fougue et la bêtise de Peter, l'homme qui avait abattu Spike, et qui venait
d'être recruté par Karl.
Au
moment où Hans, ayant parfaitement interprété les ordres de l'Immortel,
s'apprêtait à plonger à leur suite, Peter, emporté par les hurlements de Karl,
fit feu à deux reprises dans leur direction avant que l'Immortel ne lui plonge
son épée dans le ventre avec un cri de rage.
Sous les eaux boueuses, le bruit des
déflagrations parvint assourdi à Lee-Ann qui ne réalisa pas ce que cela
signifiait. Sam et elle avaient plongé le plus profondément possible, puis
avaient entrepris de nager aussi loin qu'ils le pouvaient sans refaire surface.
Lee-Ann sentit à peine la deuxième balle entailler son bras juste sous
l'épaule. Elle avait perdu la main de Sam dans sa chute, mais elle le devinait
nageant près d'elle.
Lorsqu'elle ne put retenir son souffle
plus longtemps, elle remonta vers la surface. Elle ne sortit la tête de l'eau
que quelques secondes, le temps d'inspirer profondément avant de replonger,
mais elle eut le temps de constater qu'avec l'aide du courant, ils
s'éloignaient rapidement du pont d'où elle percevait les cris de fureur de
Karl. Elle avait du mal à réaliser qu'elle venait une fois de plus d'échapper à
la folie de cet homme.
Ses réserves d'oxygène s'épuisèrent plus
rapidement cette fois et elle ne tarda pas à remonter à nouveau respirer. L'eau
était glacée. L'engourdissement gagnait ses membres et ses mouvements
devenaient de plus en plus fatigants. Dehors la nuit était calme, elle
n'entendait plus la voix de Karl et la lueur des phares avait disparu. Elle se
maintint en surface tant bien que mal pour tenter d'apercevoir Sam. Il lui
avait pourtant semblé qu'il était resté près d'elle... Inquiète, elle nageait en
rond, cherchant son visage dans l'obscurité. La panique menaçait de l'envahir
de nouveau lorsqu'il fit surface près d'elle, haletant. Rassurée, elle le prit
dans ses bras et couvrit son visage de baisers.
"Nous
avons réussi Sam, nous lui avons échappé !!"
"Oui,
nous avons réussi... ", répéta-t-il, le souffle court. "Mais nous
devons sortir de l'eau rapidement si nous ne voulons pas finir congelés",
ajouta-t-il péniblement.
S'accrochant l'un à l'autre, les
deux amants nagèrent en silence vers la berge. La rivière longeait à cet
endroit un bois qui leur permettrait de se dissimuler le temps de reprendre
leur souffle. Lee-Ann s'agrippa aux racines saillantes pour se hisser sur la
rive. Elle tendit ensuite la main à Sam qui grimpa avec peine et tomba à genoux
sur l'herbe boueuse du bord. Prenant alors conscience que quelque chose
n'allait pas, Lee-Ann s'accroupit près de lui.
"Sam
? Sam, qu'est-ce qui t'arrive ?"
Avant qu'il ne puisse répondre, Sam
s'effondra dans les bras de Lee-Ann.
"Sam,
qu'est-ce qui se passe ? Sam, tu m'entends ? Réponds-moi, Sam !". Lee-Ann
était au bord de l'hystérie.
Elle l'allongea à terre, enlevant son sac
à dos, et ouvrit son blouson pour qu'il puisse respirer. Elle vit alors la
tache sombre qui s'élargissait sur son abdomen.
"Oh
mon Dieu, NON !". Refoulant les sanglots qui montaient dans sa gorge,
Lee-Ann entreprit de défaire sa chemise pour examiner la plaie. "Oh mon
Dieu non !", répéta-t-elle dans un murmure.
La blessure était large, et le sang noir
qui s'en écoulait ne laissait pas de place au doute.
Sam allait mourir.
Lee-Ann réalisa alors seulement que des
coups de feu avaient bien été tirés dans leur direction, et que la douleur
diffuse dans son bras avait été causée par une des balles du tireur. Tout cela
était de sa faute... Elle prit alors conscience que son plan avait
lamentablement échoué, et qu'elle allait perdre Sam pour de bon. Refusant de
céder à la panique qui menaçait de s'emparer d'elle, elle tenta de rassurer
Sam.
Ouvrant le sac, elle saisit à l'intérieur
un des tee-shirts trempés et l'appliqua sur la plaie, pressant fortement pour
stopper l'hémorragie. Maintenant ce pansement de fortune d'une main, elle
caressait tendrement le visage brûlant de Sam, essuyant la sueur qui perlait à
son front.
"Ca
va aller Sam, ne t'inquiète pas, je suis là... ".
Mais Lee-Ann savait pertinemment que
Sam était perdu. Elle ne put retenir les sanglots qui se formaient dans sa
gorge et, se penchant sur l'homme qu'elle aimait le plus au monde, déposa un
léger baiser sur ses lèvres exsangues. Sam prit sa main dans la sienne et la
serra de toutes les forces qui lui restaient.
"Lee-Ann...Lee-Ann,
écoute-moi... ", murmura-t-il dans un souffle.
"Chut...
Sam, ne parle pas, reste tranquille... "
"Non,
écoute-moi Lee-Ann...Tu dois aller voir MacLeod, il te protégera... "
"Sam,
je t'en prie... "
Lee-Ann serrait la main de Sam
contre ses joues baignées de larmes. Il reprit doucement la parole.
"Lee-Ann,
promets-le moi... "
Son souffle s'affaiblissait et il fut
pris d'une quinte de toux qui le força à s'interrompre. Lee-Ann, horrifiée,
essuya le sang de sa bouche.
"Oh
Sam, je t'en prie, ne me laisse pas... "
"Lee-Ann,
s'il te plaît, promets-moi que tu iras trouver MacLeod... Il t'aidera à
éliminer Karl... "
La voix de Sam n'était plus qu'un
murmure rauque. Lee-Ann se pencha à nouveau sur lui et prit son visage dans ses
mains.
"C'est
d'accord Sam, j'irai trouver MacLeod."
"Promets-le
moi Lee-Ann, jure-moi que tu le feras... "
La jeune femme fixa son regard dans
les yeux fiévreux de Sam.
"Je
te le promets Sam, j'irai... "
Les paupières de Sam se refermèrent
doucement. Au même instant, la pluie se mit à tomber en gouttelettes fines et
glacées. Juste avant que la mort ne l'emporte, il murmura :
"Je
t'aime... "
Le cœur de Lee-Ann se brisa au
moment où celui de Sam cessait à jamais de battre. Elle serra le corps sans vie
contre elle, le berçant tendrement, et laissa monter en elle la plainte sourde
de sa douleur qui jaillit du plus profond de son être en un long gémissement.
Le bref jappement d'un chien non loin la
fit sursauter. Depuis combien de temps était-elle là, prostrée, serrant contre
elle le corps à présent froid de Sam ? Elle ne saurait le dire, elle avait
perdu toute notion du temps. Levant la tête, elle constata que les étoiles
avaient disparu et que l'est se parait déjà de la timide lueur des prémices de
l'aube. Le jour était proche. Elle devait réagir. Ou se laisser mourir, aux
côtés de Sam. Mais dans ce cas, sa mort resterait impunie... Karl aurait
remporté la victoire.
Karl.
A l'évocation de ce nom, son cœur
s'emplit d'une haine glaciale et se révolta.
Elle n'avait aucun doute quant à
l'identité du tireur. C'était à l'évidence cet inconnu, ce Peter, probablement
recruté par Karl peu de temps auparavant, qui avait usé de son arme. Hans
connaissait parfaitement les consignes, et Karl n'avait pas de revolver. Ce
Peter était vraisemblablement déjà mort à l'heure qu'il était, exécuté par
Karl, mais cela ne lui était d'aucun réconfort.
C'est l'Immortel qui était responsable de
l'état de Sam. C'était Karl.
Elle ne pouvait pas le laisser gagner, il
devait payer pour ce crime, et tous les autres.
Oeil pour oeil, dent pour dent. La loi du
Talion seule pouvait s'appliquer à cet être abject et dégénéré. Sa décision
était prise.
Elle allait venger Sam, par tout moyen.
Elle prendrait la tête de Karl, quel qu'en soit le prix. Y laisserait-elle la
vie ? Y perdrait-elle son âme ? Cela n'avait pas d'importance. La vengeance
seule comptait.
La frêle et douce jeune femme qui avait
partagé la vie de Sam n'était plus, laissant la place à une Lee-Ann déterminée,
froide, implacable.
Mais comment faire ? Où aller ?
Elle ne pouvait se tourner vers les
Guetteurs et mettre plus de vies en danger, surtout pas celle de Joe. Elle
devait trouver autre chose.
La promesse faite à Sam lui revint.
MacLeod.
Elle avait juré d'aller le trouver, de se
placer sous sa protection. Mais il pouvait faire plus pour elle. Avec lui, elle
pourrait apprendre. Pourquoi pas... Elle n'avait de toute façon pas le choix.
C'était la seule solution qui s'offrait à elle pour l'instant.
Alors, qu'il en soit ainsi.
Elle réalisa soudain que la pluie avait
cessé, apparemment depuis quelque temps. Elle caressa tendrement le visage de
Sam. Il paraissait assoupi, tel le dormeur du val de Rimbaud. Elle garderait à
jamais l'image de son doux sourire figé dans la mort, semblant lui dire
"Tout va bien, je t'attends".
Les yeux de Lee-Ann étaient secs, comme
si la douleur - si forte, si présente - avait tari la source de ses larmes.
Déposant un dernier baiser sur les lèvres blêmes, elle se releva doucement. Ses
jambes ankylosées protestèrent, mais elle les sentit à peine, pas plus que la
blessure de son bras.
Elle rassembla le contenu du sac épars,
puis, implorant Sam de l'en pardonner, tira son corps jusqu'à la rivière où
elle le rendit aux flots boueux. La réussite de son plan dépendait des quelques
heures d'avance qu'elle pouvait en espérer, et surtout des conclusions que l'on
en tirerait. Les enquêteurs en déduiraient peut-être qu'il était seul, et les
guetteurs qu'elle avait péri avec lui... C'était sa seule chance.
Elle regarda son corps sombrer lentement
tandis que déjà le courant l'entraînait en aval.
Lee-Ann s'enfonça dans la forêt
encore sombre au moment où les premières lueurs du matin embrasaient le ciel
d'Irlande.
* * *
Lee-Ann s'était tue depuis plusieurs
minutes, mais ni Methos ni MacLeod n'osaient troubler le silence qui
s'ensuivait. Lee-Ann était toujours debout devant la fenêtre, les yeux perdus
au loin. Elle ne leur avait pas raconté comment elle avait quitté l'Irlande par
bateau, son escale à Paris - à peine quelques heures - puis son détour par
Oslo, en Norvège, pour brouiller les pistes et rejoindre Seacouver via New York
et Chicago. Tout cela n'avait pas d'intérêt.
MacLeod ne pouvait détacher son
regard du visage de Lee-Ann tourné vers l'horizon, les yeux hagards. Une larme
dont elle n'avait même pas conscience roula doucement sur sa joue droite, et
Duncan résista à grand peine à l'irrépressible besoin qui s'emparait de lui de
se lever pour aller la prendre dans ses bras, la serrer contre lui, essuyer
cette larme maudite, et caresser doucement ses cheveux en murmurant à son
oreille des mots qui n'auraient pas de sens jusqu'à ce que sa peine s'efface à
jamais.
Il se leva et, afin de se donner une
contenance, se dirigea vers la cuisine pour préparer du café. Il entendit
Methos se lever à son tour et prendre Lee-Ann dans ses bras pour la réconforter
mais il préféra ne pas se retourner. Lorsqu'il revint enfin vers eux avec les
tasses ils étaient à nouveau assis l'un près de l'autre dans le sofa.
Methos fut le premier à reprendre la
parole.
"D'après
les dernières informations dont nous disposons, Karl est retourné chez lui, en
Allemagne. Il n'en est pas sorti depuis ce jour. Il semblerait que tu aies
réussi à brouiller les pistes Lee-Ann."
Elle ne répondit pas mais eut un
triste sourire, comme pour dire "Pour combien de temps…?". Duncan
réalisa alors qu'une question restait encore sans réponse.
"Mais,
pourquoi moi Lee-Ann ? Pourquoi Sam voulait-il que tu viennes me trouver ? Je
ne le connaissais pourtant pas… "
Lee-Ann jeta un coup d'œil en coin à
Adam. Ce fut lui qui répondit.
"Non,
mais lui te connaissait Duncan. Sam était aussi ton guetteur, depuis 3 ans environ,
une sorte de suppléant quand Joe était indisponible sur Paris. Nous faisons
souvent ça tu sais, c'est plus pratique, surtout avec les Immortels qui
voyagent constamment. Et puis cela évite les risques de se faire repérer."
MacLeod secoua la tête, interdit. Il
ne pouvait imaginer que cet homme dont il ne savait quasiment rien, celui que
Lee-Ann chérissait et dont elle pleurait la mort, avait pu avoir confiance en
lui au point de lui confier la femme qu'il aimait afin qu'il veille sur elle.
Un élan de sympathie le porta soudain vers celui qu'il ne rencontrerait jamais,
dont il ne serrerait jamais la main, et qui pourtant lui avait été si proche.
Quant il leva les yeux, ce fut pour rencontrer ceux de Lee-Ann qui le fixaient
intensément. Il partagèrent en cet instant un peu de la même douleur, de la
même colère.
En lisant cette communion dans le regard
du Highlander, Lee-Ann prit enfin toute la mesure de la promesse que lui avait
arrachée Sam. Il ne l'avait pas seulement dirigée quelqu'un capable de la protéger,
mais vers un homme profondément droit, honnête et bon. Un être capable de
comprendre et, peut-être, d'apaiser sa souffrance. Probablement, réalisa pour
la première fois Lee-Ann, car lui-même avait déjà dû survivre à cette épreuve
un trop grand nombre de fois.
Elle pensa à Tessa. A ce que Joe ou Sam
lui avaient raconté de la femme qui avait partagé 12 ans de la vie de cet
Immortel et ce que sa mort avait signifié pour MacLeod. Oui, le Highlander
connaissait cette souffrance.
Elle détourna finalement les yeux, mais
Methos avait eu le temps de déchiffrer cet échange. Sa bouche s'étira en un
imperceptible sourire.
Il les
quitta un peu plus tard dans la soirée. Lee-Ann était reconnaissante à son ami
Adam Pierson de ne pas avoir tenté de la dissuader de son projet. Il avait
semble-t-il compris qu'il ne servait à rien d'essayer de lui faire abandonner
l'idée de vengeance qui l'animait, mais Lee-Ann savait que ni Joe ni Duncan ne
renonceraient si facilement. Elle ne se doutait cependant pas de la raison qui,
cachée en elle, allait bouleverser ses plans.
* * *
Methos rentra chez lui ce
soir là à la fois soulagé et préoccupé. Soulagé car Lee-Ann était effectivement
saine et sauve, physiquement du moins. Pendant les quelques mois au cours
desquels il avait travaillé avec Lee-Ann à la recherche de lui-même, il avait
appris à apprécier et respecter la jeune femme. Sa douceur et sa gentillesse,
ainsi que sa perspicacité et ses capacités déductives (elle avait bien failli
mettre à jour un document compromettant que Adam Pierson avait –
malencontreusement – égaré par la suite…) avaient gagné ce qui ressemblaient
beaucoup à de l'amitié pour Methos. Il avait accompagné Joe en Irlande pour
retrouver la jeune femme dès qu'il avait appris la nouvelle, et s'était laissé gagner
par l'angoisse du Guetteur pour sa filleule. Il était donc heureux de la revoir
en bonne santé. Mais le changement intervenu chez Lee-Ann l'inquiétait au plus
haut point. La femme farouche et déterminée qu'il avait revu ce soir n'avait
plus rien à voir avec la jeune doctorante en droit timide et réservée qu'il
avait connu auparavant. Certes il avait toujours perçu chez elle, derrière
cette façade instinctive, une nature forte et passionnée, mais la nouvelle
Lee-Ann et surtout ses projets de vengeance lui faisaient craindre le pire. Il
comprenait aisément les raisons et les sentiments qui animaient la jeune femme
pour les avoir ressentis à maintes reprises au cours de sa vie, mais il savait
cette entreprise vouée à l'échec.
Il avait lui-même croisé une
fois Karl Hermlin à la fin des années 80, et n'avait pu échapper à ses chiens
de mort qu'en déployant ses meilleures ruses et ses plus belles techniques de
fuite. Cet homme sans foi ni loi n'était certes pas le premier qu'il croisait,
mais ce qu'il avait fait endurer à Lee-Ann impliquait Methos malgré lui et le
poussait à tenter coûte que coûte de la faire changer d'avis.
Une autre chose préoccupait
Methos.
MacLeod.
Cet
idiot de Highlander était à l'évidence tombé amoureux de Lee-Ann, et il
apparaissait clair au plus vieil Immortel que Duncan allait rapidement tenter
de vaincre Karl pour éviter le combat à la jeune femme. Ce qui le contrariait
au plus haut point. Hermlin devait à l'évidence être éliminé, mais les
honorables et surtout stupides méthodes du Highlander le mèneraient à sa perte,
et Methos avait encore trop besoin de MacLeod pour prendre un tel risque. Il
devait donc à la fois convaincre Lee-Ann et Duncan d'abandonner leur projet
qu'ils ignoraient commun. La solution s'imposa soudain à son esprit de façon si
claire qu'il en rit tout haut tandis qu'il s'affalait sur son sofa, une bière à
la main. C'était pourtant évident !
Il
prendrait les mesures nécessaires dès le lendemain. Il ne doutait pas que sa
manœuvre fonctionnerait à merveille, elle était si simple, et permettrait
probablement de dissuader Lee-Ann d'agir encore quelques mois, tout en
l'éloignant du Highlander.
Un
large sourire sur son visage, Methos attrapa la télécommande pour allumer la
télévision et regarder les rediffusions de Code Quantum.
* * *
Chapitre
6
Avec le mois de mai les jours se firent
plus chaud et plus longs. Les bourgeons éclataient au soleil, habillant les
arbres d'un vert tendre tandis que les fleurs écloses se paraient de couleurs
et de senteurs nouvelles. Mais Lee-Ann n'y prêtait pas attention. Casquette
vissée sur la tête, lunettes de soleil protégeant ses yeux, elle courait le
long des trottoirs de Seacouver.
Le son de ses pas sur le bitume résonnait
au rythme de sa course tandis qu'elle allongeait ses foulées pour les derniers
mètres en direction du dojo. Ses joggings matinaux lui permettaient de se
retrouver un peu seule avec elle-même pendant une à deux heures, pour penser et
réfléchir. Elle avait eu peur de sortir au début, peur de croiser un des sbires
de Karl au détour d'une rue, de tomber sur Hans venu la chercher pour la
ramener auprès de son maître. Mais la casquette et les lunettes la protégeaient
autant des regards que du soleil, et elle s'était fait violence pour se risquer
à l'extérieur. De plus, Joe lui avait confirmé que Karl n'avait pas quitté
l'Allemagne depuis deux mois, se terrant dans sa propriété près de Stuttgart.
Mais la peur était toujours là. La peur et la haine. Ces semaines auprès de
MacLeod, et son entraînement, lui avaient permis d'apprendre à maîtriser ces
émotions. Elle savait qu'elle ne pourrait se risquer à défier Karl avant encore
longtemps. Elle savait qu'elle ne serait pas prête à l'affronter avant
plusieurs mois. Mais elle gardait en elle cette étincelle de rage qui l'animait,
enfoui sous un calme apparent et une application sans faille aux exercices du
Highlander.
Sam ne s'était pas trompé sur lui. Duncan
était un chevalier, un homme d'un autre temps, d'une autre essence, qui
prodiguait son savoir à une inconnue, une mortelle qui plus est; et lui livrait
les secrets de la survie sans aucune autre raison que la satisfaction d'aider
un être tendant la main. Elle était reconnaissante au Highlander de tout ce
qu'il lui apportait, plus qu'il ne se l'imaginait. Il la guidait sur les
sentiers de la vengeance en prenant garde à lui en montrer les dangers, mais
sans tenter de la dissuader d'emprunter cette voie. Il parcourait cette route
avec elle pour mieux lui faire comprendre que le bout du chemin n'était pas la
finalité du parcours, et que beaucoup d'autres itinéraires méritaient encore
d'être explorés. Il était là quand la douleur ressurgissait tel un diable
sortit de sa boîte pour la submerger, quand les cauchemars troublaient son
sommeil, quand la haine l'aveuglait pour prendre le pas sur la maîtrise.
Maintenant qu'il savait qui elle était,
qu'il connaissait son passé et comprenait la mission qu'elle s'était assignée,
maintenant qu'aucun secret ne subsistait entre eux, Lee-Ann acceptait plus
volontiers de partager ses angoisses et ses réflexions avec lui. Elle était
bien sûr consciente des sentiments que MacLeod lui portait, même s'il prenait
garde à les dissimuler, mais elle savait que le Highlander respecterait ses
engagements sans faire quoi que ce soit qui la troublerait. Elle lui était
également reconnaissante pour cela. Entre Duncan et Lee-Ann se tissait au fil
des jours une relation plus forte, empreinte de respect et de complicité, non
dénuée d'une certaine tendresse. Au même titre que l'amour filial qui
l'unissait à Joe, l'amitié que Lee-Ann portait à celui qui était devenu son
mentor devenait une nouvelle raison de continuer à vivre malgré la peur et la
haine.
Tournant au coin d'une rue, Lee-Ann
arriva au square qu'elle traversait tous les jours. En cette matinée de samedi
printanier, le petit parc ombragé résonnait déjà des cris des enfants jouant au
ballon sur les pelouses ou glissant sur le toboggan à la peinture verte
émaillée. De jeunes mères côtoyaient sur les bancs alentours des personnes
âgées jetant du pain aux pigeons. Des amoureux assis sur l'herbe tendre
laissaient les rayons du soleil caresser leurs visages sereins ou
s'embrassaient sans pudeur sous les rires amusés des enfants qui les épiaient
derrière les bosquets.
Prise d'un vertige soudain, Lee-Ann
ralentit sa course et s'appuya contre un arbre. Elle respira profondément,
tentant de chasser le malaise. Retirant ses lunettes, elle passa une main sur
son visage, essuyant la sueur qui perlait à son front, mais la tête lui
tournait toujours. Elle fit quelques pas en direction du banc le plus proche et
s'y assit avec soulagement. Elle ferma les yeux et pris de grandes
inspirations. Le vertige se dissipa peu à peu. "Voilà ce qui arrive quand
on court trop longtemps au soleil !" s'admonesta-t-elle intérieurement
tandis qu'elle relevait la tête et jetait un coup d'œil alentour. Un petit
garçon d'environ trois ans arriva alors en courant dans sa direction, tenant
une pâquerette dans sa petite main tendue devant lui, et l'offrit fièrement à
la jeune femme assise auprès d'elle et que Lee-Ann n'avait même pas remarquée.
Après un baiser maternel, le gamin accepta d'enfiler le gilet que lui tendait
sa mère et cette dernière se leva, rassemblant ses affaires. La promenade était
terminée. La jeune femme, enceinte de plusieurs mois, sourit à Lee-Ann en
accrochant la fleur à ses cheveux blonds retenus en nattes sur ses épaules.
"Vous
verrez, le vôtre aussi vous offrira des fleurs dans quelques années !"
Comme Lee-Ann haussait les sourcils,
perplexe, la jeune femme poursuivit :
"Ne
vous inquiétez pas, les premiers mois sont les plus difficiles, mais après tout
va pour le mieux vous verrez !"
La mère et l'enfant s'éloignèrent
aussitôt. Lee-Ann resta interdite sur le banc, puis elle se leva et repris sa
course vers le dojo. A vive allure cette fois.
Ralentissant le pas pour parcourir les
derniers mètres, Lee-Ann arriva au dojo. Elle remarqua immédiatement qu'un
intrus avait pénétré dans le loft au moment où elle sortit du monte-charge.
Elle saisit son épée d'entraînement sur la cheminée et se dirigea
silencieusement vers le fond de l'appartement. La porte de la salle de bains
s'ouvrit alors sur une silhouette sombre qui esquiva de justesse le coup que
Lee-Ann lui porta en direction de l'abdomen. Levant les mains devant elle, Amanda
éclata de rire.
"Hé
bien hé bien, on m'avait dit que vous étiez douée, mais pas à ce point ! Vous
avez bien failli m'embrocher !"
Médusée, Lee-Ann abaissa sa garde et
recula de quelques pas.
"Amanda
? Mais qu'est-ce que vous faites ici ?"
"Tiens,
tiens, je vois que vous me connaissez", répondit Amanda en souriant.
"Je parie que vous êtes Lee-Ann n'est-ce pas ?"
L'Immortelle fit quelques pas dans
la pièce pour prendre place nonchalamment sur le sofa. Lee-Ann reposa son arme
sur le manteau de la cheminée et vint s'asseoir dans le fauteuil faisant face à
Amanda.
"C'est
MacLeod qui vous a parlé de moi ?", demanda-t-elle, un peu méfiante.
Elle connaissait bien Amanda pour
avoir été son guetteur pendant quelques mois deux ans auparavant. C'est même au
cours de cette période qu'elle avait rencontré Sam, alors que les routes de
MacLeod et Amanda se croisaient de nouveau. Mais elle ne tenait pas à se
révéler à l'Immortelle, pas encore du moins. Lee-Ann sourit nerveusement,
attendant la réponse d'Amanda, et espérant que l'Immortelle allait bientôt la
laisser seule. Elle arrivait à grand peine à contenir son émotion tout en se
répétant que c’était impossible. La jeune femme s'était sûrement trompée. Et
pourtant…
"Oh
non !", répondit Amanda, "Duncan ne sait pas encore que je suis là…
"
Elle s'interrompit une seconde,
penchant la tête légèrement, et son sourire s'agrandit.
"…
Mais quelque chose me dit qu'il ne va pas tarder à le savoir !"
Elle se leva avec grâce et
accueillit MacLeod qui entrait par la porte de l'escalier, katana à la main, et
un air d'inquiétude bien visible sur son visage.
"Duncan
!", s'écria Amanda en s'approchant de lui. Ecartant la lame d'un geste
désinvolte, elle prit Duncan dans ses bras et colla sa bouche à la sienne dans
un baiser sensuel et provocant. MacLeod la repoussa gentiment en protestant.
"Amanda
! Mais enfin qu'est ce que tu fais là ?"
La gêne du Highlander n'échappa pas à
Amanda qui lui décocha un sourire mutin. "Methos a vu juste"
pensa-t-elle. Lee-Ann observait la scène, amusée, mais toujours troublée.
"Tu
n'es pas heureux de me voir ?" demanda l'Immortelle prenant un air
faussement vexé.
"Si
bien sûr, mais …"
"Alors
tant mieux ! J'étais justement en train de faire connaissance avec ton amie. Ou
plutôt ton élève. D'ailleurs je dois te dire qu'elle se débrouille plutôt bien
: elle a failli m'embrocher voici à peine quelques minutes… !" reprit
Amanda en se tournant vers Lee-Ann qui sourit furtivement.
"Bien,
je vois que vous avez donc fait les présentations", grommela le Highlander
en posant son katana.
"Oh
à peine tu sais", repris Amanda en prenant place nonchalamment sur le
divan. "Mais nous aurons tout le temps pour cela puisque je reste quelques
temps !", ajouta-t-elle avec un sourire angélique.
"Ah
? Et où es-tu descendue ?", lui demanda Duncan innocemment en déposant ses
provisions sur le plan de travail.
Amanda éclata de rire à nouveau. Duncan
était vraiment tombé amoureux de l'Irlandaise, cela ne faisait aucun doute.
Amanda n'était pas jalouse, l'amour qui existait entre elle et le Highlander
était singulier et intemporel, et n'empêchait pas l'un ou l'autre de tomber
amoureux par ailleurs. Comme cela avait été le cas pour Tessa. Amanda était au
contraire plutôt heureuse pour MacLeod, malgré les révélations de Methos.
Duncan avait besoin d'amitiés et d'amours mortelles pour conserver son
équilibre et sa personnalité, et les années qui avaient suivi la mort de Tessa
avaient été bien sombres. Mais Amanda n'oubliait pas ce que lui avait dit
Methos, et ce pourquoi elle était venue. Duncan devrait attendre…
"Ne
t'inquiète pas pour ça, tu sais que je suis pleine de ressources… ",
répondit-elle avec un sourire malicieux. Elle se tourna vers Lee-Ann qui avait
prit place auprès d'elle sur le divan.
"Alors
comme ça vous apprenez à manier la lame ? Vous participez aux championnats du
monde d'escrime ?", demanda-t-elle d'un air enjoué. Lee-Ann dévisagea
Amanda un instant, soutenant son regard sans broncher.
"Oui,
quelque chose comme ça", répondit-elle en fixant toujours l'Immortelle
dans les yeux.
Amanda fronça les sourcils, jaugeant
l'irlandaise, puis son adorable nez se plissa et elle éclata de rire. Il ne
servirait à rien de manœuvrer avec Lee-Ann, pas plus qu'avec MacLeod. Quoiqu'en
dise Methos, il était plus judicieux de jouer franc-jeu avec eux. Duncan serait
beaucoup plus enclin à écouter la voix de la raison sans détours ni mensonges,
et sa protégée semblait assez sensée et volontaire pour y voir son intérêt.
Amanda sentait qu'elle allait apprécier Lee-Ann et avait hâte de faire plus
ample connaissance avec elle. Mieux valait donc leur dire la vérité - du moins,
en partie. Mais pas aujourd'hui. Elle en parlerait avec Duncan d'abord.
"Bien,
alors, que diriez-vous si je vous invitais à déjeuner ?", reprit Amanda.
"Comme ça nous aurions tout le temps de faire connaissance et de discuter
technique !"
"Toi
? Nous inviter ?", demanda Duncan en riant. "Tu as encore braqué une
banque ou bien tu fais chanter le cuisinier ?"
"Allons
Duncan, pourquoi me prêtes-tu toujours des intentions douteuses ? Il ne s'agit
que d'un déjeuner ! Allez vous préparer ", lança-t-elle à Lee-Ann en la
prenant par le bras pour la diriger gentiment vers la salle de bains.
"J'ai réservé chez Tony pour midi, et il est hors de question d'arriver en
retard pour qu'ils attribuent notre table à d'autres personnes !"
"Oh,
eh bien, je suis un peu fatiguée ce matin", balbutia Lee-Ann en se
dégageant doucement de l'étreinte d'Amanda. "Pourquoi n'iriez-vous pas
tous les deux ? Je suis certaine que vous avez beaucoup de choses à vous
dire…"
"Ca
ne va pas Lee-Ann ?" demanda MacLeod visiblement inquiet.
"Oh
si si, ça va très bien", répondit la jeune femme avec un grand sourire.
"J'ai juste envie de prendre une douche et de me reposer un peu. J'espère
que vous ne m'en voulez pas ?", demanda-t-elle à l'adresse d'Amanda.
Celle-ci prit un air faussement
chiffonné puis sourit.
"Pas
le moins du monde, Duncan et moi avons effectivement beaucoup de choses à nous
dire !"
Sans laisser le temps au Highlander
de répliquer, Amanda le poussa vers le monte-charge et adressa un signe de la
main à Lee-Ann tandis que l'ascenseur les emportait vers le bas.
* * *
"Et
si tu me disais enfin la véritable raison de ta venue Amanda ?"
Duncan remplit le verre d'Amanda et le
sien avant de le porter à ses lèvres. Amanda l'imita en souriant. Le serveur
arriva alors pour débarrasser leurs assiettes, et Amanda attendit qu'il soit
reparti pour répondre.
"Je
me demandais quand tu allais enfin me poser la question. C'est Methos qui m'a
contactée."
"Methos
? Qu'est-ce que vous mijotez tous les deux ?"
"Mais
rien, je te l'assure", se défendit Amanda en riant. "Disons qu'il a
pensé que je pouvais, éventuellement, être utile…"
"Comment
ça ?" demanda MacLeod, un peu méfiant.
"Il
a pensé que je pourrais moi aussi faire bénéficier Lee-Ann de mon expérience
pour, comment dire ?, ajouter une touche féminine à son entraînement... "
"Ah
oui, vraiment ? "
MacLeod dévisagea Amanda
silencieusement, essayant de percer le masque de totale innocence qu'elle
affichait et de déchiffrer ses véritables intentions. Il s'apprêtait à ajouter
que Methos ferait mieux de s'occuper de ses propres affaires lorsqu'il réalisa
que c'était probablement le cas. Que cela lui plaise ou non, Methos connaissait
Lee-Ann depuis longtemps, et ils étaient apparemment amis. De quel droit
pouvait-il critiquer l'attention que le plus vieil Immortel portait à la jeune
femme ? L'idée de Methos avait peut être du bon, il était possible que
l'entraînement d'Amanda conjugué au sien soit plus profitable à la jeune femme.
Mais il ne pourrait alors pas continuer de tenter de la dissuader en douceur,
comme il le faisait depuis près de trois mois maintenant, si par ailleurs son
entraînement se voyait renforcé ainsi.
MacLeod eu soudain peur. Et si
Amanda et Methos tentaient d'éloigner la jeune femme ? Si Lee-Ann acceptait de
partir avec Amanda ? Le cœur de MacLeod se serra à l'idée de perdre son élève,
et pour la première fois depuis son arrivée au dojo, MacLeod s'avoua enfin les
sentiments qu'il éprouvait pour Lee-Ann. Il fut pris de panique. Après la mort
de Tessa, Duncan s'était promis de ne plus tomber amoureux de mortelles. Leur
existence était si fragile, si brève, leur perte trop douloureuse. Il avait eu
quelques aventures sans lendemain, sans sentiments, ou si peu. Mais il avait
soigneusement évité de concevoir plus qu'une attirance physique, voire un peu
de tendresse, pour ses maîtresses de passage. Et puis Amanda était là, comme
toujours, belle, séduisante, amusante - et immortelle. Amanda, son amour de
toujours, son port d'ancrage, sa lueur dans le soir. Et pourtant. Il ne pouvait
le nier plus longtemps. En quatre cents ans, il avait appris qu'il ne servait à
rien de se mentir à soi-même – ce qu'il faisait depuis quelques mois. Il était
amoureux de Lee-Ann.
Et il sembla au Highlander qu'on lui
arrachait le cœur lorsqu'il réalisa que Methos et Amanda avaient probablement
raison. Il devait s'éloigner d'elle. Car elle ne l'aimait pas. Elle ne pourrait
jamais l'aimer. Elle n'était venue le trouver que pour se préparer à venger
l'homme qu'elle aimait, l'homme qu'elle avait perdu, l'homme qui était toute sa
vie. Et comment aurait-elle pu aimer un autre Immortel après ce que Karl lui
avait fait ? Les pensées se bousculaient dans la tête de Duncan, et il se leva
soudain, balbutiant quelque excuse à Amanda, pour se diriger vers les
toilettes.
Amanda avait lut aussi facilement
que dans un livre ouvert les pensées du Highlander sur son visage pourtant
impassible. Elle eu de la peine pour son amant de toujours, mais comprit que
Methos avait vu juste. C'était la seule solution pour à la fois sauver Lee-Ann
de ses plans suicidaires, et préserver Duncan d'un amour impossible.
Lorsque MacLeod réapparut quelques
minutes plus tard, il semblait avoir retrouvé ses esprits, et Amanda reprit la
conversation sur un mode enjoué, expliquant à Duncan qu'elle aimerait dans un
premier temps participer à leurs entraînements s'il n'y voyait pas
d'inconvénient. Duncan sourit et trouva l'idée excellente. Ils n'étaient pas
dupes l'un de l'autre, mais c'était plus facile ainsi.
* * *
Une fois
seule dans la salle de bain, Lee-Ann se dévêtit rapidement puis, soudain
hésitante, elle prit une douche brûlante. Elle laissa le jet d'eau couler
longuement sur son visage et son corps, essayant d'endiguer le flot de pensées
et l'émotion qui la submergeaient. Elle sortit enfin, s'emmitouflant dans un
peignoir, puis se planta devant le miroir. Lentement, elle défit le vêtement
qui glissa à ses pieds.
Les
semaines d'entraînement intensif auprès de MacLeod avaient remodelé son corps,
et ses muscles se dessinaient maintenant avec grâce sous la peau diaphane de
ses bras, ses cuisses et ses jambes galbées. Ses seins étaient fermes et haut
placés mais toujours généreux. Ses fesses s'étaient également affermies sous la
cambrure de ses reins. Mais Lee-Ann observait son abdomen, bouleversée. Seul
son ventre semblait avoir échappé à la transformation. Ses muscles abdominaux
saillaient légèrement au-dessus du nombril, mais le bas de son ventre
paraissait au contraire s'être imperceptiblement arrondi.
Ses oreilles se mirent à bourdonner, sa
vision se brouilla et ses jambes se dérobèrent sous elle. Elle faillit tomber
mais se retint de justesse aux bords du lavabo. L'air lui manquait, et elle dut
faire un effort pour reprendre son souffle. "C'est impossible" se
dit-elle. "Oh mon Dieu, Sam…"
* * *
Elle était toujours dans la salle de
bain lorsque Duncan revint une heure plus tard – seul. Elle s'était sans s'en
souvenir revêtue du peignoir et gisait, assise contre le mur, sur l'épais
tapis. Elle n'entendit pas MacLeod rentrer, l'appeler. Lee-Ann ne le vit pas
pénétrer dans la salle de bain, ne remarqua pas la panique sur son visage. Il
s'agenouilla à ses côtés, lui parlant, prononçant son nom encore et encore, lui
demandant ce qui se passait, mais ses mots n'atteignirent pas les oreilles de
Lee-Ann. Il lui semblait que le monde s'était soudain effacé, dissout devant ce
miroir comme une goutte d'encre dans un verre d'eau. Elle ne sentit pas la caresse
inquiète de Duncan dans ses cheveux, sur sa joue, essuyant une larme dont elle
n'avait même pas conscience. Elle fixait sans le voir son propre reflet dans la
glace. Elle se laissa faire sans résistance lorsqu'il la prit dans ses bras
pour la bercer doucement, mais ce geste ne lui apporta aucun réconfort. Comment
ne s'en était-elle pas aperçue ? Les nausées et malaises des premiers jours,
qu'elle croyait dus à la fatigue et aux cauchemars, lui revinrent en mémoire.
Et son aménorrhée qu'elle avait mis sur le compte du choc. Qu'allait-elle faire
maintenant ?
Des pensées sans cohérence
vagabondaient en elle tandis que Duncan la berçait toujours tendrement contre
lui, le cœur déchiré. Que s'était-il passé ? Pourquoi Lee-Ann était-elle dans
un tel état ? Il sentait son corps, rigide et tétanisé, trembler contre le
sien, et en ce moment il aurait tout donné pour que sa souffrance cesse. Mais
il savait qu'il n'avait pas ce pouvoir, et son désespoir s'alourdit. "Oh
Lee-Ann …" souffla-t-il à son oreille. Il déposa un baiser sur ses cheveux
encore humides, caressa son front. Une nouvelle larme coula, silencieuse, le
long de la joue de la jeune femme, et Duncan la serra plus fort contre lui.
Puis il prit son visage, plus pâle que jamais, dans ses grandes mains, et le
tourna vers lui. Le regard de Lee-Ann rencontra le sien, mais ses yeux verts le
fixaient sans le voir. Il plongea au fond des iris émeraude et voulut s'y
fondre, s'y noyer, s'y perdre pour ne plus jamais revenir. Mais ce regard était
vide, et il ne sut si c'était lui qui était devenu invisible, ou Lee-Ann qui
avait disparu.
En un geste empreint de détresse, mais
presque sans en avoir conscience, il posa ses lèvres sur le front de la jeune
femme qui resta impassible. Il embrassa ensuite avec une infinie douceur ses
yeux, qui se fermèrent sous la caresse, libérant de nouvelles perles de larmes.
Lorsqu'elle les rouvrit, il lui sembla qu'elle le voyait enfin. Avec la même
lenteur et la même tendresse meurtrie, Duncan effleura de sa bouche les
pommettes hautes de Lee-Ann, et le sel de ses larmes mouilla ses lèvres. La
jeune femme le regardait toujours sans bouger, mais son regard avait à présent
perdu sa fixité et elle avait cessé de trembler. L'attirant doucement vers lui,
il goûta sa bouche. Elle demeura immobile, ses yeux rivés sur lui, mais
lorsqu'il l'embrassa à nouveau, il sentit ses lèvres s'ouvrir sous les siennes.
Lee-Ann lui rendit son baiser avec une fougue qui surprit MacLeod. Elle plaça
une main sur sa nuque et l'agrippa dans un geste désespéré tandis que leurs
souffles se mêlaient. Duncan la souleva alors doucement dans ses bras, et, sans
quitter des yeux les iris verts fixés sur lui, la porta jusque dans sa chambre
et la déposa délicatement sur le lit.
Sans un mot, leurs regards suspendus
l'un à l'autre, il défit la ceinture du peignoir. Il embrassa encore ses
lèvres, avec douceur, puis son cou, juste sous l'oreille. Sa bouche parcourut
le long de ses épaules et vint se nicher dans le creux formé par la naissance
de ses seins laiteux. Elle descendit encore pour effleurer son nombril et
l'imperceptible renflement de son ventre dont il ne soupçonnait pas le secret.
Ses lèvres s'attardèrent encore sur ses hanches avant de remonter lentement
vers son visage. Lee-Ann le dévisageait sans un mot. D'une voix rauque, Duncan
prononça son nom, mais elle le fit taire d'une pression de sa bouche sur la
sienne. Elle fit glisser ses mains le long de son dos et dégagea son tee-shirt
avant de le faire passer par-dessus sa tête. Toujours silencieuse, le souffle à
peine court, elle l'aida à défaire son pantalon, et Duncan se sentit mis à nu
par son regard davantage que par ses gestes. Elle observa son corps centenaire,
caressa sa peau mate qui contrastait avec le blanc diaphane de la sienne. Leurs
lèvres, leurs langues et leurs souffles se mêlèrent de nouveau et Lee-Ann
s'abandonna dans les bras de Duncan.
* * *
Lee-Ann observait le corps du
Highlander étendu sur le lit, sa poitrine se soulevant sans bruit au rythme
lent de sa respiration. Il s'était endormi la tête nichée au creux de l'épaule
de la jeune femme, une main posée sur son ventre d'hirondelle, et Lee-Ann avait
dû user de la plus grande douceur pour se dégager sans le réveiller. Elle le
contemplait à présent depuis la porte, pour un hommage silencieux à celui qui
était devenu son mentor pour quelques mois – et plus cette nuit.
Elle n'aurait pas dû. Elle connaissait
les sentiments de Duncan, elle les avait perçus bien avant qu'il ne s'en
aperçoive lui-même, mais elle les avait ignorés - jusqu'à ce soir. Mon Dieu,
pensa-t-elle, était-elle vouée à causer souffrance et malheur autour d'elle ?
Car Duncan allait souffrir, puisqu'elle partait. Aurait-il moins souffert s'ils
n'avaient pas fait l'amour ? Qu'importe. Lee-Ann avait eu besoin que Duncan
l'aime cette nuit, mais elle ne devait pas rester. Elle ne pouvait pas. Et
l'heure n'était plus aux regrets.
Elle n'avait pas le choix. Elle devait
renoncer à son entreprise. Elle portait en elle le souvenir vivant de Sam, son
dernier présent, qui lui était offert comme un espoir, une preuve que sa vie
valait la peine d'être vécue même sans lui. Lee-Ann devait vivre pour que
renaisse Sam. La menace de la mort elle-même n'aurait pas pu la dissuader
d'abandonner sa vengeance, mais c'est la promesse de la vie qui allait l'y
faire renoncer.
Lee-Ann s'approcha sans bruit. Elle
déposa un baiser d'une infinie tendresse sur les lèvres entrouvertes du
Highlander qui gémit dans son sommeil, puis attendit que son souffle redevienne
régulier pour quitter la chambre.
Elle ne lui laissa pas de mot, aucune
excuse ni justification. Elle était partie, simplement.
Et quand Duncan se réveilla ce matin-là
dans la froideur d'une aube sans éclat, il eu l'impression fugitive qu'elle
avait emporté le soleil avec elle.
FIN
***
Epilogue
Le vent balayait quelques feuilles qui
n'avaient survécu jusque là que pour finalement se résigner ce soir. L'homme
les poussait mollement avec son râteau pour tenter de les rassembler. Il
s'appelait M. Bourdier, c'était écrit sur sa blouse. Le cimetière allait bientôt
fermer, dès qu'il aurait ramassé les dernières feuilles et passé la chaîne
autour de la lourde grille. On entendait au loin le bruissement des vagues. La
marée montait. M. Bourdier se dépêcha. Il faisait plutôt froid pour un soir
d'octobre, et il avait hâte de rentrer chez lui pour faire honneur au dîner de
Mme Bourdier.
La jeune femme fit son entrée par la
porte latérale, sans bruit. M. Bourdier allait lui crier qu'il était trop tard
mais il se ravisa. Elle pouvait bien rester le temps qu'il en finisse avec ces
satanées feuilles mortes. Il la vit se diriger vers le fond du cimetière et
monter la petite butte avant de s'arrêter devant une tombe. Il semblait à M.
Bourdier qu'il s'agissait de la tombe du jeune homme qui avait été inhumé en
avril. Il s'en souvenait parce qu'il était le seul de moins de 50 ans qu'ils
avaient enterré cette année. La femme resta immobile, tête baissée, un petit
moment, semblant prier, puis elle se tourna vers l'horizon. M. Bourdier aperçu
alors son ventre gonflé se découper sur le ciel maussade. Il se demanda si
c'était la veuve du jeunot puis réalisa qu'il ne l'avait pas vue à
l'enterrement – il s'en souviendrait, il y avait eu si peu de gens. Cela devait
être une amie, ou une parente éloignée. Il voyait ses cheveux longs (châtains,
roux peut-être, il n'aurait su dire : il faisait déjà trop sombre) voleter
autour de son visage. Elle portait un long manteau dont elle resserra les pans
autour d'elle avant de faire demi-tour pour partir. Elle déposa rapidement
quelque chose sur la tombe et s'en vint comme elle était venue, sans bruit, par
la petite porte latérale.
M. Bourdier n'avait pas bougé. Il se
tenait, appuyé sur son râteau, dans l'ombre du grand aulne près de l'entrée
principale.
Il ne résista pas à l'envie de monter voir
ce qu'elle avait déposé sur la tombe. Il ne s'était pas trompé, il s'agissait
bien de la sépulture de Samuel Robin et de ses parents. 19.. – 20.. était-il
précisé sous le nom du jeune homme. M. Bourdier hocha la tête : trente-deux
ans, c'était bien jeune pour mourir. Il se pencha sur la pierre tombale. Au
milieu des plaques commémoratives ("à ma femme chérie", "à mon
père", "à notre regretté neveu") figurait une simple rose
blanche que la jeune femme venait à l'évidence de déposer. La fleur émut M.
Bourdier sans qu'il ne sache pourquoi. Peut-être était-ce la tristesse qu'il
avait discerné dans la démarche lourde de l'inconnue, il ne saurait le dire.
Avec les années, il lui était de plus en plus difficile de rester détaché et
insensible à ce qui l'entourait pendant ses heures de travail : le chagrin, la
douleur, la mort …
M. Bourdier hocha la tête puis s'éloigna
de la tombe. Il décida de rentrer, les feuilles attendraient bien le lendemain.
Ce soir M. Bourdier avait envie de retourner sans attendre auprès de sa femme.
Peut-être même s'arrêterait-il sur le chemin. Pour lui acheter une rose.
Pendant qu'ils pouvaient tous deux en
sentir encore le parfum…