Eglises du Tigré


Le Tigré est la région la plus au nord du pays, et de loin la plus riche. On nous dit que ce serait en partie sous l'influence du premier ministre qui en est originaire et y consacrerait le plus gros des investissements, au détriment des autres. On y trouve notamment des centaines d'églises, certaines récentes, d'autres remontant au tout début de la chrétienté : en plaine, sur un monticule, ou perchées sur d'improbables pitons, ainsi cachées et protégées des invasions juives (et oui, la reine guerrière Judith ravagea la région) et plus tard musulmanes.



Si la guerre est terminée officiellement depuis quelques années, il en reste des traces, outre les camps de réfugiés : notamment la télé locale qui semble absolument obsédée par ça ! On a eu l'impression qu'elle ne passait en boucle QUE des chants et des reportages va-t-en guerre, glorifiant les armes, pas franchement de quoi apaiser les esprits et permettre de tourner la page. Il faut dire que la région est également fameuse pour avoir été le siège d'une autre grande bataille : celle d'Adoua, du nom de ces montagnes, où les Ethiopiens sous-équipés ont botté le derrière de l'armée italienne le 1er mars 1896, permettant au pays d'être le seul d'Afrique à avoir échappé à la colonisation européenne.



Dès qu'on quitte la route principale, les infrastructures se font rares, et c'est par une simple piste de sable bordée d'impressionnants cactus et de fermes anciennes que nous gagnons le pied des montagnes. En laissant la voiture à l'ombre d'un arbre, il faut encore grimper un petit quart d'heure sur une pente glissante mais modérée. Sur le moment, ça semble impressionnant, mais après coup, ça s'est avéré un simple échauffement. En tous cas de là-haut, on a déjà une bien belle vue.



En chemin, on remarque des gravures rupestres, et encore un awalé. Suggestion : tant qu'à faire, sachant que les fidèles font ce chemin depuis des siècles, tailler des marches ? Mais ce serait trop facile, il faut que ça reste une pénitence.



L'objectif de cette balade, c'est Mehdane Alem Kesho, une église troglodyte du Xème siècle, qu'on atteint après avoir traversé d'autres chapelles moins anciennes. On retrouve le schéma des églises éthiopiennes avec une première enceinte décorée, mais tout est creusé dans la montagne, y compris les très beaux plafonds à caissons - noircis par les feux des prêtres qui préparent leur tambouille ici.



La porte dispose d'un système très futé, un genre de cadenas à code traditionnel (photo ci-dessus à gauche) : pour ouvrir, il faut connaître la manip exacte à faire avec deux bâtons reliés par une ficelle, à manipuler à travers un petit trou. Impossible à deviner, et très efficace !



L'intérieur de cette église-ci n'est pas peint, mais finement ouvragé, tous les murs, pilliers et plafonds sont ornés de motifs géométriques qui répondent aux strates géologiques.



L'étape du soir se fait à Hawzein, une ville plutôt basique, sans bitume, éclairage ni eau chaude, avec un hôtel vraiment très simple et un unique resto à plat unique. Mais bon, c'est juste pour dormir. Ah si, au retour on a testé juste pour déjeuner le superbe Gheralta lodge tenu par des Italiens, à quelques kilomètres. A refaire, ça aurait vraiment valu le coup de s'offrir UNE étape un peu classe ici, le décor et la prestation étaient fort tentants !





Ci-dessous à droite, l'agriculture semble n'avoir guère changé depuis les temps bibliques : deux boeufs, un soc en bois... et beaucoup de sueur et d'effort pour retourner cette terre sèche.



Ci-dessus à gauche, cette petite mosquée a été fondée par Mahomet en personne pendant son exil, c'est donc un lieu hautement saint, comparable à la Mecque. Ci-contre, on a pu suivre à la télé la progression de ce groupe de jeunes gens croisés sur la route : partis à pied d'Addis-Abeba pour rallier le site de la bataille d'Adoua à temps pour les festivités, ils ont fait une promenade de 1000 km sous le cagnard. Motivés !



Décidément, la région nous rappelle l'Ouest américain dans ce qu'il a de plus grandiose, avec même les micro-villes frontières egrenées le long de la route. Notre objectif : le gros caillou droit devant. Le chauffeur nous annonce que nous allons l'escalader. Ah ah, très drôle. Mais ce n'était pas une blague.



Au-début, ça va. Il y a un sentier raide, puis un genre d'escalier naturel, puis une fissure presque aussi large que Frédéric, ça tire sur les jambes - et le souffle, on est déjà en altitude en commençant la grimpette - mais on avance. Mais au bout d'une demi-heure, alors qu'on atteint une petite grotte, le guide qui nous accompagne (en montrant où placer ses pieds, ou en donnant littéralement un coup de main) explique que maintenant, on va attaquer la partie raide, plus difficile. Les genoux de Liliane criant déjà grâce, elle décide sagement d'attendre à l'ombre, comme une partie des voyageurs qui arrivent jusque ici. Heureusement pour elle...



Le guide n'avait pas tort... si on n'appelle pas cette ascension de l'escalade, c'est surtout parce qu'on n'avait pas de cordes. Parfois on suit un sentier presque praticable, d'autres fois c'est à flanc de montagne, en cherchant des appuis dans les traces laissées par l'érosion et les dizaines de générations de pélerins nous ayant précédés sur cette paroi glissante, ou le long de ces éboulis traîtres. Même sans avoir la prétention d'être un grand sportif, ça fait quand même curieux de galérer autant tout en voyant un pépé avec sa canne et sa barbe blanche monter d'un pas aussi leste et précis... Mais il est vrai que les prêtres et les guides font ce chemin impossible plusieurs fois par jour.



L'avantage de s'arrêter souvent pour reprendre son souffle, c'est qu'on a le temps d'admirer le paysage et les extraordinaires couleurs des roches ; métamorphisme, sédimentation, volcanisme et tectonique à l'oeuvre pour former de subtiles palettes. Attention, l'une de ces photos est en fait un gros plan sur la planète Jupiter, laquelle ?





Mais pourquoi se donner tout ce mal ? C'est qu'on voudrait voir Maryam Korkor. Si elle ne paye pas de mine de l'extérieur, avec son campanile particulièrement simple et son disgracieux toit de tôle, on découvre dedans des piliers cruciformes, arches et coupoles sculptés dans la roche et couverts de fresques du XVIIème. Mais aussi le plaisir d'être arrivé jusque là, une forme de pélerinage profane.







Notez sur la coupole ci-dessous à droite les svastikas, qui montrent les échanges avec l'Inde ancienne. Les peintures reviennent comme souvent sur les exploits des neuf saints locaux (Za-Mikaél Arègawi, Pantaléon, Garimâ, Aftsé, Goubba, Alef, Yem'ata, Liqanos et Sehma, dont certains auraient été originaires de Constantinople et de Rome). Ils ont notamment fondé les monastères perchés, Abba Aregawi par exemple celui de Debro Damo qu'on a renoncé à visiter, car réservé aux hommes et accessible uniquement en se faisant hisser au bout d'une corde par les moines. On le voit sur la deuxième rangée ci-dessous à gauche, accompagné du python que Dieu lui envoya pour lui permettre de monter (et éviter ainsi un paradoxe : qui était là en premier pour faire monter le premier ?).





Bon, maintenant qu'on est chauds, il reste à aller voir Daniel Korkor, quelques centaines de mètres plus loin. Mais pas des moindres... On est au bord de la falaise, et le sentier est une simple veine de roche moins érodée que les autres. On la voit de profil sur la paroi en face sur la photo ci-dessous, c'est la même que là où marchent le prêtre... et les voyageurs motivés.



La chapelle elle-même est une simple grotte peinte à la chaux, où les saints sont représentés à cheval. La porte est si petite que Frédéric n'a pu que passer le buste, sachant qu'il n'y a guère de marge de manoeuvre pour se contorsionner : quelques centimètres après les chaussures que l'on voit sur la photo, c'est le vide, à la verticale sur des centaines de mètres. Dans le genre "vue imprenable", ça se pose là.





Bon, c'est pas le tout, mais avec ça il se fait tard, on n'a plus d'eau... et il faut descendre, une épreuve encore plus flippante que l'aller. Mais le guide aide de (trop) près, et de toute façon, on ne risque rien : j'ai demandé s'il y avait parfois des accidents, et la réponse est évidemment que non. Comment cela serait-il possible, c'est un lieu saint ! Ah oui, suis-je bête. En attendant, je ne fais pas le malin quand je glisse sur deux mètres et me retiens de justesse à un rebord plus étroit que ma chaussure.
Pour se rassurer, on peut se dire qu'un peu plus loin, il y encore plus difficile d'accès, mais ce ne sera pas pour cette fois !


Ci-dessous sur la route vers le sud, l'église de Wukro Cherkos était elle aussi scultée dans la pierre, mais elle a été renforcée et réhaussée en 1958 par Halié Selassié, de façon peu esthétique mais apte à protéger le précieux intérieur.



Un diacre très inspiré nous fait visiter en montrant notamment les traces d'agressions passées des envahisseurs qui se sont cassé les dents sur ce lieu saint en pierre. La reine Judith a voulu mettre le feu, dommage pour elle la pierre ça brûle mal, mais on voit toujours les voûtes noircies. Ensuite c'est Mahomet en personne qui a voulu la détruire à coups de hache, mais ses outils se sont brisés, et on peut encore voir des bouts de métal plantés dans la roche. Il nous explique aussi longuement la légende locale d'un saint enfant qui a préféré se laisser brûler vif, sachant qu'il serait sauvé par l'archange Gabriel, plutôt que renier sa foi. Cela a converti sa mère et le roi.



On vous met quand même quelques photos des villes que l'on traverse régulièrement, points d'étape pour le midi ou pour dormir, mais sans aucun attrait touristique. C'est pourtant là que se concentrent la vie et le commerce, et la construction va bon train, il y a des chantiers absolument partout. Ici, c'est la ville de Wukro, la seconde plus grande de la région, où on a eu un hôtel quasi-luxueux (mais du coup hyper bruyant, salle de mariage juste en face oblige).



Ci-dessous à droite, ce grand monument en forme de tie de golf célèbre les martyrs de la guerre contre les Italiens.



La route continue vers le sud et doit remonter ensuite au nord-ouest pour rejoindre Lalibela, mais notre chauffeur s'engouffre d'un coup dans un chemin de terre entre deux maisons. Va-t-il dire bonjour à un copain ? Non, c'est un "raccourci" : nous voilà partis pour des heures de piste en terre et de passages à gué, mais qui font effectivement gagner pas mal de temps par rapport à la route principale pas tellement en meilleur état, avec en prime la traversée de paysages arides mais très beaux.








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