QUATRIEME PARTIE


"Quelle solitude de se dire que la morsure du temps n'est rien."
Mylène Farmer








         Après sa fuite Laura a couru longtemps, d’une vitesse surhumaine encore amplifiée par la panique, avant de trouver – enfin ! – un jardin isolé et désert à cette heure avancée. Luttant avec ses dernières forces, elle se traîne à l’abri des regards sous des buissons et s’apprête à affronter les terribles démons du sevrage. Quand la drogue se dissipe, que le corps retombe dans ses limites et l’esprit dans ses contraintes ; c’est la chute, sans fin, tourbillonnante, atroce. Cette fois pas de quickening pour l’amplifier, mais c’est la seconde prise ; même Immortel son corps a gardé le souvenir de sa dose précédente distante de plusieurs mois, les effets se cumulent.
         Ce soir-là, les riverains inquiets entendent, en plus des chats en maraude et des merles moqueurs, un long hululement macabre, un cri d’agonie qui n’en fini pas de mourir, une plainte de souffrance infinie qui ne s’achève que lorsque qu’un arrêt du coeur emporte la jeune femme.


         Lorsque Laura revient à elle, le jour est sur le point de se lever. Tous ses muscles lui font encore mal de l’effort démesuré qu’ils ont fourni la veille, et son pouvoir de cicatrisation n’y change rien, surtout qu’il est encore un peu ralenti par la rémanence du produit de vieillissement dont elle a trouvé la formule dans la grotte de Sebastiao. Un déguisement parfait, indétectable... A se demander pourquoi le Brésilien ne s'en servait pas lui-même, sans doute par peur d'être handicapé en cas de duel. Il a vraiment fallut un concours de circonstances des plus malvenus pour la mettre à jour. Bien sûr, justement la fois où elle omet de renouveler son stock... Et si peu de temps après avoir commencé, quel dommage !
         Une substance étonnante, concoctée à base de curare, d’arsenic et de venins divers, au départ conçue comme un redoutable poison qui brûle et épuise les cellules, donnant l’impression d’un vieillissement accéléré jusqu’à la mort. Un Immortel ainsi visé par un sorcier indien au dix-huitième siècle en a découvert les effets surprenants sur son organisme indestructible. Depuis, dans un secret jalousement gardé, cette formule est activement recherchée par les très rares Immortels qui en connaissent l’existence. Lequel n’en voudrait pas ? En contrôlant son dosage, ils peuvent parfaitement se camoufler au milieu des mortels, éliminant les seuls détails qui peuvent les trahir. En augmentant progressivement les doses, ils peuvent même donner l’illusion de vieillir au fil des ans !
         D’après les tests que Laura a mené pour sa corpulence, chaque dose de 8 mg répartie en 2 deux injections par jour fait prendre environ dix ans et diminue de 30% la vitesse de cicatrisation, et les effets s’estompent de moitié à chaque vingt-quatre heures sans renouveler. Bien sûr, cela n’est pas sans risque : si un combat se profile alors que l’Immortel est « sous traitement », cela peut s’avérer un grave handicap. Mais que ne donneraient-ils pas pour avoir droit à une vie normale au milieu des mortels ?

         Un gargouillis de son ventre vide rappelle à Laura qu’elle n’a rien avalé depuis trois jours, et qu’il serait grand temps d’y remédier. Comme elle n’a plus son parapluie ni même de manteau pour cacher son épée, elle en enveloppe la lame dans de vieux journaux et la glisse dans son pantalon. Cela lui fait une démarche un peu raide, mais rien de trop louche, elle peut toujours prétendre s’être fait une entorse si on lui pose la question. Après un arrêt bienvenu dans une boulangerie dont elle vide le stand de sandwiches, elle essaye de faire le point. Malheureusement, le nombre de solutions qui s’offre à elle est fort restreint. Sans aucun doute activement recherchée par les Guetteurs en plus de la police, elle doit se faire oublier quelque temps. Et encore, si les flics ne pensent plus à elle, les Guetteurs seront autrement plus tenaces. Ils ont sa photo, savent presque tout d’elle et ont la patience pour la traquer des siècles s’il le faut. Un jour ou l’autre, ils la retrouveront, quoi qu’elle fasse. A moins de perdre la tête seule à l’abri des regards, mais cette alternative n’a rien de réjouissant. Refusant de se laisser aller au désespoir, elle remet les choses dans l’ordre. Ses possessions les plus précieuses sont en lieu sûr : la composition du produit de vieillissement, ses seringues « booster » comme elle les appelle, un pactole obtenu en vendant une partie de l’or de Sebastiao, tout cela est entreposé dans le coffre d’un compte numéroté qu’elle a ouvert pour l’occasion. Le reste ? Son épée et sa tête, et elle les a toujours avec elle.

         Pourtant malgré l’urgence, elle ne peut partir comme cela au bout du monde sans un minimum de préparation, ce serait reporter les problèmes sans les résoudre. Première étape, il lui faut une nouvelle identité ; or un faux passeport, un faux permis de conduire de bonne qualité, cela ne se trouve pas en pharmacie ! Un homme peut l’aider, le Highlander, mais l’approcher sans se faire repérer par les Guetteurs ni dévoiler leur secret qu’elle a de nouveau juré de garder est un véritable challenge. Il est peu probable que Dawson lui ait parlé de la réforme. Non qu’il craigne pour sa propre vie, mais pour celle de MacLeod lui-même. Les nouveaux Guetteurs ont juré de se montrer intraitables, ils n’hésiteront plus à présent à prendre la tête des Immortels qui les connaissent.







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         En rentrant chez lui ce soir-là, Duncan a la surprise de trouver un télégramme glissé sous sa porte.
         « Mac, retrouve-moi ce soir au bar Metropolis à 22 heures. C’est très important. Amanda. »
         L’Ecossais fronce les sourcils. Ce message ne ressemble guère à Amanda, plutôt du style à l’attendre à l’improviste nue dans son lit, de préférence quand il rentre déjà en galante compagnie. Et pourquoi un télégramme, si ce n’est pour maquiller une écriture et une voix ? Cela ressemble tellement à un piège qu’il est probable que ce n’en est pas un, c’est beaucoup trop grossier, un débutant ne s’y laisserait pas prendre. Curieux. Quoi qu’il en soit, le Highlander sait bien qu’il se rendra malgré tout à ce rendez-vous mystérieux, tout de même sur ses gardes mais ne serait-ce que pour satisfaire sa curiosité.

         A l’heure dite, il entre dans le pub, s’installe au comptoir, commande un demi et parcourt la salle des yeux. Comme il s’y attendait, nulle trace d’Amanda, mais il ressent bien la présence de l’un des siens. L’Immortel attend tranquillement qu’il ou elle veuille bien se montrer. La musique est trop forte, la bière pas fraîche et le barman désagréable, mais MacLeod n’est pas là pour apprécier l’endroit. Une voix féminine se fait entendre tout bas à son oreille, c’est à peine s’il en saisit les paroles avec le bruit ambiant.
         - Bonjour Duncan, merci d’être venu. Désolé pour ce stratagème, mais je n’ai pas le choix. Non, ne vous retournez pas. Je suis en grand danger, vous seul pouvez m’aider, mais il faudra faire exactement ce que je dis. Si vous avez compris et êtes d’accord, hochez la tête mais ne parlez pas.
         Intrigué au plus haut point, il s’exécute et attend la suite des instructions.
         - Il y a un petit hôtel au dessus. Nous allons y monter ensemble. Prenez une chambre, agissez comme vous feriez dans ce cas-là, mais surtout ne dites pas mon nom, rien de compromettant. En cas de besoin, j’ai un bloc-notes et un crayon, nous communiquerons par écrit. Vous pouvez vous retourner maintenant, mais pas un mot sur moi, je vous en prie.
         Un fin sourire sur les lèvres, Duncan pivote et se retrouve face à face avec une adorable brunette un peu effarouchée, Laura. Il paye sa consommation et, sans attendre la monnaie, prend la jeune femme par la taille et l’entraîne vers une porte au fond du bar qui communique avec la réception de l’hôtel. Il demande une chambre, attend quelques instants pendant que Laura parle à son tour au gérant, puis ils montent ensemble et verrouillent la porte.

         La chambre n’est pas des plus reluisantes. Même au temps de sa jeunesse, ce lieu n’a jamais été un palace, alors maintenant que le papier pèle des murs et que l’humidité suinte du plafond, il mérite à peine de figurer dans le guide du Routard. Mais qu’importe, il est discret et le patron ne pose jamais de question, c’est l’essentiel.
         Laura allume l’ancien poste de télévision sur une chaîne musicale, en monte le volume presque au maximum et pousse MacLeod vers le lit en gardant un doigt sur ses lèvres. Elle le fait asseoir, recule d’un pas et sort son épée de son nouveau manteau. Le Highander sur la défensive a déjà la main sur la garde, mais elle se contente de poser son arme sur la télévision. Revenant vers lui, elle écarte un pan de son imperméable et en tire le katana. Une fois de plus, l’Ecossais réagit et lui bloque le poignet, mais elle insiste doucement, ses yeux parlant pour elle. L’homme relâche son étreinte et le katana va rejoindre l’épée. Le symbole est fort, les épées d’un côté, les corps de l’autre... Toujours sans dire un mot, Laura entreprend de faire glisser le manteau des larges épaules de l’Ecossais qui se laisse faire. Quand elle se met à déboutonner sa chemise, il sourit de plus belle et, la prenant par la taille, il retourne Laura sur le lit et l’embrasse.
         Contrairement à ce qu’il attendait, elle résiste et se redresse, mais continue malgré tout à le déshabiller ! Un jeu ? Duncan aime bien ça, il s’y prête complaisamment. Bientôt, son pantalon va rejoindre le reste de ses vêtements sur la chaise. Laura a un objectif précis, mais il lui est difficile de se concentrer ! Rouge de confusion, elle soutient avec difficulté le regard de braise, soigneusement travaillé, qui la déshabille bien plus que ce qu’elle l’a dévêtit, lui. Il est allongé en caleçon sur le lit, affichant la même assurance tranquille qu’il arborait à leur première rencontre, l’épée à la main. Laura ferme les yeux, se forçant à ne pas fixer ce corps parfait, sculpté par quatre cents ans de combats, de quêtes et de romances. De toute façon, il est beaucoup trop musclé à son goût. Enfin, c’est ce dont elle tente de se persuader. Elle sursaute quand il lui prend la taille et l’attire à lui, essaye encore de résister. Il ne faut pas céder, il ne faut pas, elle n’est pas là pour ça... Certes, mais elle est seule depuis de longs mois, et le Highlander est un tel sex-symbol... Elle frémit en sentant une main large et puissante passer sous son chemisier et lui caresser la poitrine doucement, tout doucement. Laura perd pied, la chambre commence à chavirer. Sa jupe semble s’ouvrir d’elle-même et tombe à ses pieds, suivie du chemisier. Les doigts et la langue experte de Duncan la font frissonner, sa raison lui échappe.
         Avant de céder complètement toutefois, elle se relève, fuyant un moment encore les baisers du Highlander. Elle le prend par la main et l’entraîne dans la chambre voisine, directement communicante et dont elle a demandé la clé avant de monter. S’y retrouver aussi nue que lui ne faisait pas partie de son plan, mais il est trop tard pour faire machine arrière. Et puis, cela n’a pas que des inconvénients... Remettant tous ses soucis à plus tard, Laura s’abandonne avec délice aux étreintes expertes de l’un des Immortels les plus rompus aux arts de l’amour.







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         - Sacré MacLeod... Regarde ça...
         Le jeune guetteur assis au poste de contrôle des émetteurs du Highlander, entre autres, donne des coups de coude à son voisin.
         - Comme s’il n’avait pas assez de filles qui viennent à domicile, le voilà qui fréquente les hôtels de passe !
         - Tu n’es pas censé porter de jugements sur ce que font les Immortels. C’est leur vie, c’est leur droit. Et comment connais-tu cet endroit d’ailleurs...
         - Bah, euh...
         - Tu vois, tu n’aimes pas que l’on rie de ce que tu fais de tes soirées. Laisse-le meubler les siennes à sa guise. De plus, il ne dit rien d’intéressant. Tiens, concentre-toi plutôt sur Grégoire Vendran, là, regarde. Il vient de prendre un Quickening. C’est ça notre job, ne t’égare pas.







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         Epuisée, Laura gît sans force sur le lit. Whoua. C’est donc cela un amant avec quatre siècles de pratique intensive ? Il lui semble en avoir besoin d’au moins autant pour tenir la cadence ! Duncan, assis à ses côtés, sourit béatement, les yeux dans le vague. Il lui tient gentiment la main, perdu dans ses pensées, un flash-back de son passé mouvementé. A quoi songe-t-il... L’une des autres peut-être ? L’une des centaines de conquêtes qui sont passées dans ses bras puissants avant elle. Etait-ce une mortelle de trente ans, une Immortelle de trente siècles ? Pourtant Laura n’éprouve aucune forme de jalousie. C’était pour ainsi dire la première fois qu’elle s’abandonnait ainsi à un homme qu’elle connaît à peine, et elle n’a pas l’intention d’en faire une habitude, même si l’expérience était des plus agréables.
         - On se revoit quand ?
         Il est revenu dans le présent et la fixe dans les yeux. Embarrassée, Laura remonte le drap sur sa poitrine dénudée.
         - Je ne sais pas. En fait Duncan je... Je n’étais vraiment pas venue pour... ça.
         - C’est toujours ce qu’on dit après.
         - Non, je suis sérieuse !
         - Tu regrettes ? Il fallait dire si tu ne voulais pas.
         - Non, ce n’est pas ça. Il n’y a aucun problème mais... je ne promets pas que nous recommencerons. Tu vois ce que je veux dire ?
         - Ne t’en fais pas. Inutile de se poser trop de questions, on verra bien ce que l’avenir nous apporte. Qu’on se revoit demain ou dans mille ans, il sera toujours temps d’aviser. Mais pourquoi tous ces stratagèmes ? Si tu voulais me voir, il suffisait de me passer un coup de fil.
         - Non, justement. J’ai de gros soucis et je ne veux pas t’en attirer. Il me faut des papiers d’identité corrects, qui résistent à une vérification un peu poussée. Je dois partir au plus vite. Peux-tu m’aider ?
         - Je pense, oui. Viens à la maison le temps que ça se fasse, je te protégerai.
         - Non, merci. Il ne vaut mieux pas. Combien de temps faut-il ?
         - Environ une semaine si tout se passe bien. Le plus sûr est d’«emprunter» l’identité d’une vraie personne récemment décédée.
         - Ou encore vivante mais qui ne risque pas de se plaindre.
         - Pardon ?
         - Je disais « vivante », j’y ai eu recours récemment, mais sans avoir besoin de ses papiers. Enfin, c’est comme tu pourras, mais ma vie en dépend.
         - Ok, je t’appelle où pour te prévenir ?
         - Je te laisserai un mot comme hier soir. Une chose encore, en sortant de cette pièce, ne prononce jamais plus mon nom et ne parle de ma demande à personne, je t’en prie.
         - Pourquoi donc ?
         - Superstition. Je vais changer d’identité, tout ça. Ce nom doit mourir pour de bon. C’est bête, mais j’y tiens vraiment beaucoup.
         - Comme tu voudras.







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         Sabina rend les clés de sa chambre d’hôtel et empoigne ses sacs, puis elle sort et hèle un taxi. Dans sa poche, son appareil est en marche, comme toujours, prêt à lui signaler l’approche d’Immortels malveillants. Hélàs, il ne dit rien tandis que deux paires de bras musclés la saisissent par les aisselles.
         - Pas besoin de tacot mademoiselle, nous avons déjà une voiture.
         Le canon d’un revolver pressé entre ses côtes la dissuade de faire un esclandre en public, et elle est ainsi entraînée, ses pieds touchant à peine le sol, vers une grande berline noire stationnée à quelques pas. La voiture aux vitres teintées démarre en trombe, il ne reste plus de la Guetteuse que deux valises abandonnées sur le trottoir.

         Visiblement, ses ravisseurs ne comptent pas lui faire la conversation. Sitôt à l’abri des regards, un tampon de chloroforme appliqué contre le nez lui fait perdre connaissance.

         Lorsqu’elle revient à elle, les tempes douloureuses, elle est enfermée dans une pièce qui doit être un boudoir ou un petit salon. Une grande fenêtre donne sur un paysage qu’elle ne reconnaît pas, il n’y a pas de barreaux mais un à-pic impressionnant dissuade de s’échapper par là. Quelques meubles luxueux, probablement anciens, et des tableaux originaux forment la décoration. Au fond de sa poche, le localisateur s’affole. Trois Immortels sont dans les parages immédiats ! Karl et Vlad, encore eux, ainsi que Morton Kyser en personne. La Brésilienne frissonne. Elle n’ignore pas sa macabre réputation... Elle doit faire quelque chose en priorité, car s’ils n’ont pas encore pris le temps de la fouiller, cela ne saurait tarder. Prestement, elle active le système d’urgence qui grille les circuits de son localisateur et vide sa mémoire, puis elle pose l’appareil sur la dalle en marbre de la cheminée et, empoignant une chaise Louis-Philippe, en assène de toutes ses forces un coup sur le capot de plastique. Il se fend, laisse échapper quelques étincelles, un crépitement. Quelques coups plus tard, il est définitivement hors d’usage. Elle dissimule une partie des débris sous les cendres du foyer et jette l’autre par la fenêtre, où la rivière qui passe au pied du château se chargera de les faire disparaître.
         Elle vient à peine de finir que la porte s’ouvre avec fracas et qu’il entre dans la pièce. Morton Kyser. Une vague de froid l’accompagne, faisant frissonner la Guetteuse. Il est vêtu d’un costume noir, élégant mais simple, qui contraste violement avec sa peau d’une blancheur parfaite et ses cheveux de lait. Seul point de couleur dans toute sa personne, au milieu d’un visage maigre aux angles agressifs brûlent deux yeux rouges, rubis de haine et de violence, propres à effrayer le plus endurci des guerriers. Kyser est souvent mort sur des bûchers ou écartelé à cause de ce regard que d’autres siècles croyaient directement issu de l’enfer.
         Il s’approche à pas lents de la Brésilienne, savourant la frayeur qu’il lui inspire et dont il joue comme d’autres utilisent leur charme. Levant une main décharnée, aussi pâle que celle d’une statue de marbre, il lui soulève le menton, l’obligeant à soutenir son regard.
         - J’ignore ce que tu sais exactement, petite, mais quoi que ce soit je peux te promettre que d’ici ce soir tu m’auras tout avoué et que tu me supplieras de t’achever.







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         Une semaine. Cela n’a l’air de rien, mais se sachant traquée de tous côtés, cela semble une éternité à Laura. Elle patiente dans des hôtels d’aéroport où il n’y a même plus d’employés pour se souvenir de son passage, règle tous ses achats en liquide, continue plus que jamais son manège de changer de vêtements, de coiffure et même d’âge tous les jours pour brouiller les pistes. Elle tue le temps en lisant, en regardant la télé, s’offre quelques séances de cinéma, mais le cœur n’y est pas. Elle refuse pourtant de passer ses journées à l’hôtel, car c’est un comportement louche... Triste et malheureuse, elle se sent plus perdue que jamais. Excepté MacLeod, et encore, elle n’a vraiment plus personne à qui se confier, pas même un ancien ami. Sabina qu’elle considérait comme sa plus proche confidente lui a menti pendant des années, elle l’a découvert dans les archives des Guetteurs. La Brésilienne savait depuis le début que Sebastiao était Immortel, puisqu’il était sa mission ! Mission sincère certes, elle l’aimait vraiment, de même qu’elle se sentait réellement l’amie de Laura, mais que cela signifie-t-il si cela ne l’empêche pas de mentir de façon aussi éhontée ? Même Idriss... Ils se sont bien moqués de Laura, avec toute cette mise en scène uniquement destinée à attirer sa confiance et sa sympathie. Bien sûr, c’est tellement plus facile de guetter de près quelqu’un qui ne soupçonne rien...

         A défaut d’avoir la technologie nécessaire pour détecter les microémetteurs qu’elle pourrait transporter à son insu, Laura n’a pas gardé de sa vie d’avant «Morgane» la moindre pièce de vêtement, le moindre objet - sauf son épée qu’elle n’abandonnerait sous aucun prétexte mais qu’elle a passée au feu et électrocutée tant et plus. Si elle contenait un mouchard, il n’a pas pu résister à ce traitement.

         Plus que deux jours à tenir, deux jours avant de partir. Il lui reste une dernière chose à faire. Une visite qu’elle rend environ une fois par an depuis son entrée en Immortalité, avec un énorme luxe de précautions. Y aller maintenant est très risqué, mais il est hors de question qu’elle s’y soustraie.


         Le petit pavillon de banlieue n’a guère changé en quinze ans. Toujours plus d’immeubles autour et de pollution sur sa façade, des arbres plus grands et plus vieux dans le jardin, mais fondamentalement c’est bien elle ; la maison, sa maison. Elle n’y a pas vraiment grandi, mais y a passé toute son adolescence, c’est d’ici que tous ses souvenirs débutent.
         Les cheveux remontés sous une casquette, un blouson rouge vif sur le dos et un carton de pizza dans les mains, Laura sonne au portail de fer forgé et recule un peu. Au bout d’un moment, la porte s’ouvre en grinçant, une dame assez âgée se montre sur le seuil.
         - Oui ?
         - Bonjour Madame, livraison Pizza Hut.
         - Mais je n’ai pas...
         Laura relève la tête, fixe la femme dans les yeux. Celle-ci blêmit, puis se reprend.
         - Si, bien sûr. Je suis seule, entrez donc.
         Sitôt la porte d’entrée refermée sur elle, Laura se blottit dans ses bras en pleurant.
         - Maman...

         Tandis que sa mère adoptive sirote un thé, Laura avale par petites gorgées un verre de rhum. Ce n’est pas son habitude, mais il lui faut bien cela en ce moment. Son père est absent, elle a soigneusement attendu qu’il parte à son club de bridge. Cela fait huit ans qu’elle ne le voit plus. Il commençait à remarquer qu’elle avait cessé de vieillir et ses questions avaient attiré des soucis à sa fille lorsqu’il avait cherché à savoir pourquoi. Depuis, il la croit disparue lors d’une mission au bout du monde. Ce n’est pas un homme qui renonce facilement, il ne se serait pas contenté d’un vague prétexte de lifting et aurait fouillé jusqu’à mettre le secret en danger en le partageant comme à son habitude avec ses anciens collègues, son coiffeur, son médecin...
         - Alors, comment allez-vous ?
         - Doucement, mais ça va. Ton père a fêté ses quatre-vingts ans avec ses amis le mois dernier. Il aurait aimé avoir sa fille à ses côtés... Il a récemment invité à dîner un homme qui prétendait t’avoir connue avant ta... disparition. Je ne pense pas qu’il ait cru ce qu’il lui racontait, mais ça lui faisait plaisir d’entendre parler de toi, et ce type a gagné un repas chaud... Rien de méchant.
         - Ne crois-tu pas qu’il serait temps de...
         - Non. Il n’est pas prêt, je doute qu’il le soit jamais. Te savoir en vie – et quelle vie ! – après toutes ces années lui ferait plus de mal que de bien. Tu sais comment il réagit face à ce qu’il ne peut expliquer. J’ai... j’ai peur que ça le tue, son cœur est devenu si fragile ! Mais assez parlé de nous, nous sommes vieux, rien de très intéressant. Toi, alors ?
         - Et bien la santé va, comment pourrait-il en être autrement ? Le moral par contre ce n’est pas vraiment terrible en ce moment.
         - Tu as encore dû tuer quelqu’un, n’est-ce pas ?
         - Rien ne t’échappe à toi, ça n’a pas changé. Oui je me suis battue, j’ai survécu et pour cela dû tuer un homme. Ce sont les Règles. Tu n’y peux rien, moi non plus. Mais il y a plus grave encore, je ne peux même pas t’en parler sans te mettre toi-même en danger. Je vais partir, Maman.
         - Déjà ! Tu viens à peine d’arriver.
         - Non partir vraiment, pour de bon, loin. Je ne viendrai plus jamais te voir. Ca me fend le cœur mais c’est vraiment trop risqué. Je suis en train de jouer ma tête rien que pour venir te dire aurevoir.
         - Alors tu n’aurais pas dû. Dieu sait à quel point te voir me fait plaisir, mais je ne veux pas que cela te cause du tort.
         - L’immortalité m’a privée de ma vie, de ma tranquillité, de la maternité, de mes amis, de mon père, elle ne va pas en plus me prendre ma mère. Je pars, mais j’écrirai au moins une fois l’an. Je ne te dirai pas où je suis ni comment je m’appelle, mais tu sauras que c’est moi et que je vais bien.
         La vieille femme ouvre les bras et Laura, les yeux embués, s’agenouille devant elle et lui fait un long câlin triste, le dernier qui lui est accordé avec celle qu’elle a toujours considérée comme sa mère.

         L’Immortelle relève soudain la tête, prise d’une sensation oppressante de danger. Une portière de voiture claque dans la rue, une autre tout de suite après. Des bruits de pas précipités, le portail du jardin qui grince. Laura se relève, regarde sa mère au fond des yeux d’un air suspicieux mais, non, ça ne peut pas être elle qui l’a dénoncée. Son esprit fonctionne à toute vitesse. Elle court verrouiller la porte d’entrée et revient dans le salon.
         - L’homme que Papa a invité à dîner a-t-il laissé quelque chose ici ?
         - Oui, il a insisté pour nous offrir ce cadre photo en remerciement... J’y ai mis ton portrait, mais...
         Laura saute sur le bibelot, en arrache le socle et brise la vitre. Là, incrusté à la place d’un nœud du bois, un minuscule émetteur transmet tout ce qui se dit dans la pièce au QG des Guetteurs. La jeune femme hurle dedans, de quoi en faire sauter le casque de celui qui l’écoute à l’autre bout.
         - Laissez-moi tranquille ! LAISSEZ-MOI TRANQUILLE !!!
         Puis elle jette le micro à terre et le pulvérise d’un coup de talon. Des gens tambourinent à la porte.
         - Adieu Maman... Tu leur diras que ce n’est plus la peine qu’ils vous espionnent, ils ont gagné, je ne reviendrai plus jamais te voir.
         Un dernier baiser précipité, et Laura décroche au dessus de la cheminée le fusil de chasse de son père, s’empare de quelques cartouches à sanglier dans le tiroir du vaisselier et le charge tout en se dirigeant vers l’arrière de la maison. Elle devine à leurs ombres deux Guetteurs embusqués derrière la porte du jardin. Délaissant cette issue, elle se précipite vers le premier étage, d’où elle passe par la fenêtre de son ancienne chambre et saute dans le hêtre qu’elle a tant escaladé enfant. Mais l’arbre a vieilli et elle a bien grandi... Encombré de son épée sous le manteau et du fusil dans un bras, elle ne peut se retenir quand la branche cède sous son poids et qu’elle s’écroule lourdement jusqu’au sol. Son coccyx produit un son curieux en percutant une racine affleurante et la douleur fuse jusque dans son crâne, mais elle a autre chose de plus préoccupant en tête.
         Cinq silhouettes austères l’encerclent, l’une d’elle fait sauter d’un coup de pied l’arme à feu hors de sa portée, une autre la débarrasse de sa lame, trois canons de revolvers sont pointés vers son visage. Surprise, Laura constate que ces hommes ne sont pas des Guetteurs.
         - Police des stups, vous êtes en état d’arrestation.
         L’Immortelle ferme les yeux et pousse un long soupir de consternation tandis que les menottes se referment autour de ses poignets. Pour ne rien arranger, un buzz lointain la perturbe tandis qu’on la fait monter dans la fourgonnette de police. Vraiment, il ne manquait plus que cela !







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         Une fois de plus, Laura se retrouve immobilisée sur une chaise, cela devient une mauvaise habitude. Les policiers ne l’ont pas emmenée dans un commissariat, mais dans un bâtiment désaffecté qui devait être une école autrefois. Elle n’essaye même pas de tirer sur ses mains ; se libérer d’entraves de fortune sous l’emprise de la drogue est une chose, briser des menottes d’acier dans son état normal en est une autre. Sa mère a peut-être été arrêtée elle aussi, mais elle ne sait absolument rien de compromettant et ne court donc aucun danger. Sa date de naissance risque de soulever quelques questions, mais rien d’illégal à cela : c’est bien celle indiquée sur ses vrais papiers d’identité et aucune loi n’interdit de paraître quinze ans de moins que son âge véritable, sans quoi bien des actrices se feraient arrêter. Tant qu’elle n’est pas confrontée à son père adoptif, ça ira. La porte s’ouvre, un policier en uniforme entre et pose sur la table le fusil de chasse et l’épée qu’ils lui ont pris, ainsi que sa boîte de seringues. Chaque objet porte une petite étiquette grise, ce sont maintenant des pièces à conviction... L’officier s’efface et salue au passage un homme en civil, puis il sort et referme la porte derrière lui.
         L’homme prend une chaise d’une pile montée près de la sortie, la traîne jusque devant Laura et s’y assoit à l’envers.
         - Laura, Laura, Laura... Qu’as-tu fait ? D’abord tu cherches à me convaincre de ton innocence, puis tu t’enfuis et disparais de la circulation plusieurs mois, avoue que c’est louche, et quand on te retrouve tu es armée jusqu’aux dents et en possession de deux doses de « Potion Magique » made in Big Louis ainsi qu’un autre produit pas net, un genre de poison encore au labo pour analyse. Où est passée la Laura que je chérissais et que je voulais épouser ? Si j’avais su... Tu m’as même menti sur ton âge à ce qu’on m’a dit.
         L’Immortelle ne répond pas tout de suite, mais fixe son ancien fiancé droit dans les yeux jusqu’à ce qu’il détourne le regard.
         - Je ne t’ai pas menti, Paolo... Tu es parti de l’idée que j’avais vingt-huit ans et tu m’as demandé ma date d’anniversaire, pas l’année. Donc ce que je t’ai dit était vrai ! Mais d’un certain point de vue.
         - D’un certain point de vue ?
         - Paolo, tu découvriras que beaucoup de vérités auxquelles nous tenons dépendent avant tout de notre propre point de vue. Tu étais un grand ami. Lorsque j’ai fait ta connaissance, tu étais déjà un bon flic, mais ce qui m’a fascinée était de voir à quel point tu arrivais à me faire oublier mes soucis. Alors j’ai pris sur moi de tenter de mener une vie normale à tes côtés. Je pensais pouvoir le faire aussi bien que par le passé... Je me trompais.
         - C’est curieux, ce que nous venons de dire me rappelle un autre dialogue... Qu’importe. Mais tu me dis ça du haut de ta longue expérience ? Putain Laura, tu as quarante-cinq berges ! Je n’arrive pas à y croire. Et comment expliques-tu que tu sois en possession de l’une des pires drogues qui circulent actuellement, en même temps que d’une somme conséquente en liquide ?
         Saisissant bien la délicatesse de sa situation, Laura s’enferme dans le mutisme. Elle ne croyait pas que les événements pouvaient tourner plus en sa défaveur que lorsque les Guetteurs l’avaient découverte, mais il semble que si. La tristement célèbre loi de Murphy n’épargne pas les Immortels... Pendant quelques instants encore Paolo tente en vain de la faire parler. Il s’apprête à renoncer quand elle ouvre une dernière fois la bouche.
         - N’empêche, aller jusqu’à espionner mes parents... C’est très bas.
         - Espionner tes vieux ? Non... Qu’est ce qui te faire dire ça ? C’est leur voisine - à qui nous avons graissé la patte - qui nous a avertis que tu étais probablement là. Je m’attendais à ce que tu y retournes un jour ou l’autre.
         - Ok, ce n’est pas ce que pensais, mais ce n’est guère mieux comme méthode. La seule chose que je peux te dire, même si je n’espère pas que tu me croiras, est que je n’ai absolument pas à me reprocher la moindre revente de drogue, la moindre intention de nuire à qui que ce soit. Je t’ai en effet caché quelques détails, mais c’était dans ton intérêt. Si tu m’arrêtes et que tu m’enfermes, autant me tirer une balle dans la nuque, le résultat sera le même mais ça ira plus vite. Ils me retrouveront et me tueront si tu m’empêches de fuir.
         - Et à part ça tout est clair dans ton passé ? On ne se met pas dans une telle situation en oubliant simplement de tenir la porte à quelqu’un. De plus nous te protégerons. Tu ne risques rien... Soit tu es aussi innocente que tu le prétends, auquel cas tu seras libre d’aller où tu veux après le procès, soit tu es reconnue coupable et tu iras bien à l’abri en prison.
         - Tout le monde sait qu’être protégé par la police est le meilleur moyen de se faire descendre, c’est dans tous les films ! Ce ne sont pas les murs d’une geôle qui empêcheront ces gens-là de m’atteindre, tu auras ma mort sur la conscience.
         - Allons donc. Je suis curieux de savoir qui est à ce point influent pour intervenir au cœur même de Fresnes, mais je sais que tu ne me le diras pas. D’ailleurs...
         Paolo s’interrompt soudain, il se lève d’un air étonné. Des coups de feu résonnent dans les couloirs de son centre d’opération secret ! Son talkie-walkie crépite.
         - Chef ! Y’a un Terminator qui vient de débarquer... C’est dingue, mais je vous jure que c’est vrai ! Je... Aaaarrrrggh !
         Seul le statique répond aux appels anxieux du commissaire. En d’autres circonstances, il aurait pu croire à une plaisanterie, mais ce n’est franchement pas le genre de ses hommes, surtout ici, en ce moment et alors même qu’il interroge une suspecte. Déglutissant avec peine, il vérifie le chargeur de son revolver et empoigne le fusil de chasse qu’il arme. Tant pis pour la preuve !
         Les décharges se rapprochent, on entend parfois les cris des policiers. Un puissant buzz submerge d’un coup l’esprit de Laura, et il se rapproche ; l’Immortel a dû la suivre depuis chez ses parents. Effrayée et impuissante, elle se recroqueville sur sa chaise.

         La fine porte de contreplaqué se disloque littéralement sur ses gonds, tandis qu’une impressionnante silhouette carrée se détache en contre jour sur les flammes qui commencent à envahir le couloir derrière elle. Elle porte un fusil mitrailleur d’une main, une épée noire dégoulinante de sang de l’autre. Paolo, les yeux écarquillés devant cette apparition démoniaque, fait feu avec le fusil de chasse une fois, deux fois, mais les cartouches ricochent sur la poitrine blindée de la créature dans une gerbe d’étincelles, sans causer de dommage. Il jette alors l’arme déchargée, dégaine son pistolet et, bien campé sur ses jambes, vise plus précisément les cuisses, puis la tête. Mais la cuirasse capable d’arrêter les balles des armes d’assaut ne craint pas les petits calibres. La créature entre dans la pièce et d’un geste souple plante son épée dans le ventre du policier, avant de l’en retirer et de recommencer plusieurs fois, méthodiquement. Paolo, percé de toutes parts, s’effondre dans un râle. Avant de fermer les yeux, il a encore le temps de mieux voir son assaillant qui s’est avancé dans la lumière. C’est un chevalier des ténèbres, au corps entièrement recouvert d’une armure noire comme une nuit constellée d’impacts de balles, la tête protégée d’un heaume ciselé d’argent. Il se penche vers Laura pâle et terrifiée, pose négligemment ses armes et ôte son casque qu’il cale sous un bras. Au bord de la panique, la jeune femme doit se retenir pour ne pas hurler. L’Immortel qu’elle a en face semble n’être jamais tout à fait revenu du pays des morts, sa peau et ses cheveux ont gardé la couleur de la lune d’un soir d’hiver, et ses yeux, ses yeux... Il s’exprime avec un fort accent de l’est, sa voix glaciale ne fait rien pour adoucir son image.
         - Bonjour, petite Laura. Je me présente, Morton Kyser. Ravi de vous rencontrer enfin. Je n’avais pas prévu de devoir venir vous chercher jusque chez les flics, mais qu’importe ! Nous avons... beaucoup à nous dire. Pendant que nous y sommes, que pensez-vous de mon blindage ? C’est du carbone-titane. J’ai porté des armures pendant des siècles, il serait dommage de cesser maintenant que la métallurgie a fait de si grands progrès. Vous allez venir avec moi. L’avantage, c’est que vous ne serez plus aux mains de la police. Les inconvénients... Bah, vous aurez tout le temps de les découvrir.
         Il dit cela d’un ton enjoué mais qui fait courir un frisson glacé de long de la colonne vertébrale de Laura. Il l’ignore sans doute, mais elle en sait long sur lui maintenant, grâce aux documents des Guetteurs. Elle sait aussi que bien peu de mortels ou d’Immortels sont sortis vivants de ses griffes. Il reprend son épée et d’un seul coup brise la chaîne des menottes. Pointant alors sa lame sous la gorge de Laura, il la force à se lever et à se tourner vers la porte. Ils sont presque sortis quand une voix sépulcrale gargouillante, luttant pour sortir de la gorge inondée de sang de Paolo, rappelle Laura. Kyser se retourne, un sourire condescendant sur les lèvres, et pointe le canon de sa mitraillette vers le mourant.
         - Eh bien, il est accroché à la vie celui-là ! Voyons s’il résiste à....
         Bang ! Bang !
         Il n’a le temps d’achever ni sa phrase ni sa victime, car dans un ultime effort le commissaire a tiré ses deux dernières balles vers le visage découvert de l’Immortel. L’une le manque de peu, la seconde plus chanceuse entre par le menton et ressort par la joue droite, éclatant au passage mâchoire et pommette. Ivre de douleur, fou de rage, Morton titube, s’écroule, tandis que son visage disloqué ne lui permet même plus de crier. Laura bondit sur l’occasion et sur son épée restée sur la table, lève le bras prête à prendre ce qui reste de la tête de l’albinos, mais soudain relève les yeux et baisse les épaules en faisant une grimace exaspérée. Deux nouveaux buzz viennent de lui parvenir. C’eût été trop beau, mais bien sûr Kyser ne s’est pas risqué seul au milieu de tant de mortels armés, même avec son armure de titane ; il a prévu une équipe de secours. Qui que soient ces hommes, Laura n’a guère l’intention de rester pour voir s’ils sont assez loyaux pour attendre la fin du quickening de leur chef avant de la décapiter à son tour.
         Elle récupère sa boîte de seringues et jette un dernier regard à Paolo, mais il est trop tard pour l’aider, même si une étincelle de vie brûle encore en lui malgré ses viscères répandues sur le plancher. Elle s’agenouille toutefois à ses côtés et prend le temps de lui murmurer.
         - Je ne sais pas si tu m’entends encore, mais merci Paolo, tu viens de me sauver bien plus que la vie. Sache aussi que malgré les apparences je suis aussi innocente que je le proclamais. Adieu...
         Les autres Immortels se rapprochant rapidement, Laura se rue dans le couloir et bifurque dans la première pièce où elle ne voit pas de barreaux aux fenêtres, avant de sauter à travers la vitre. Elle atterrit en roulant dans un carré de pelouse débouchant sur le parking du centre d’opération. Un motard de gendarmerie a été abattu par Kyser au pied de sa machine, les clés sont encore sur le contact. L’Immortelle bondit en selle et démarre en faisant cirer la roue arrière, manquant de perdre le contrôle de la lourde BMW. Surprise par la puissance de la moto, autrement plus vigoureuse que la vieille 125 cm3 qu’elle utilisait au lycée, elle peine à tenir en selle mais garde l’équilibre, moitié par chance, moitié grâce à sa puissante accélération, et n’a qu’une idée en tête : fuir, encore et toujours. Fuir loin de tous ces gens qui veulent sa disparition alors qu’elle ne souhaite qu’une vie paisible, sans combat, sans violence, sans morts.




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