CINQUIEME PARTIE


"La vie est un voyageur qui laisse traîner son manteau derrière lui pour effacer les traces."
Aragon








         Seize années se sont écoulées. Le vent souffle puissamment sur la cime enneigée, le petit cheval renâcle un peu, mais la main qui le tient par la bride ne se laisse pas amadouer et le guide fermement sur le sentier. Enveloppée dans une épaisse parka, chaussée de pataugas ferrés, une femme chemine, seule dans l’immensité désertique du Tadjikistan.
         Il n’y a pas si longtemps, deux décennies à peine, elle était historienne et bibliothécaire à temps partiel dans une ville tranquille d’occident. Elle aurait pu y vivre heureuse, ou du moins paisiblement, jusqu’à devenir âgée et s’auréoler de blanc ; mais son destin n’était pas si simple. Elle a bien changé à présent, ses anciennes connaissances ne la reconnaîtraient sans doute pas. Elle n’a pas vieilli – comment le pourrait-elle ? – mais son visage s’est creusé, ses yeux durcis, sa peau tannée par le vent, la neige, le sable, par mille nuits sous les étoiles dans un désert glacé, par mille jours sous le soleil dans un désert brûlant.
         Son épopée solitaire a débuté un soir de juin, alors qu’elle venait d’échapper une fois de plus in extremis à ses poursuivants. MacLeod avait tenu sa promesse, elle obtint un excellent faux passeport au nom de Dominique Larousse. Ce prénom mixte lui donna l’idée parfaite pour dérouter encore plus ceux qui la cherchait, et c’est sous les traits d’un jeune homme qu’elle se présenta au hasard à l’embarquement du premier vol en partance pour... loin. La seule condition pour la destination était qu’elle ne connaisse pas le lieu, n’y ait aucune attache, rien qui puisse guider quelqu’un sur ses traces.
         Loin, c’était la Birmanie. Depuis elle parcourt l’Asie à pied, fuyant les villes, toujours plus haut, toujours plus solitaire, au mieux accompagnée selon le terrain d’un cheval ou d’un chameau. Au début ce fut un cauchemar, elle est morte de faim, de soif, de maladies foudroyantes, d’empoisonnement pour n’avoir pas su choisir les bonnes baies, s’est perdue dans une montagne et a mis quatre mois à en sortir, a mal réagi devant des paysans dont elle venait d’enfreindre un tabou et s’est fait rouer de coups avant d’être jetée au bas de la vallée avec armes et bagages... Mais à chaque résurrection la leçon était apprise, l’erreur plus jamais commise. Elle a passé quelques saisons avec une tribu de nomades Kirghizes, sans toutefois parvenir à créer assez de liens pour l’inciter à y rester.
         Puis, peu à peu, à force de difficultés surmontées seule et de victoires sur l’adversité, Laura a pris goût à cette vie d’aventure. Son seul lien avec sa vie passée est l’argent qu’elle retire parfois de son compte secret, au cours des rares occasions où elle passe dans les capitales, mais elle n’a besoin que de très peu, apprenant à chasser pour se nourrir, à trouver des fruits sauvages et des sources d’eau fraîches dans la nature. L’esprit est mis de côté, seul compte l’instinct. Son cerveau, autrefois habitué à corréler des citations d’auteurs médiévaux et à décrypter des écritures anciennes, travaille désormais à suivre la piste d’un gibier, à anticiper les tempêtes pour trouver un abri à temps, à estimer la quantité d’eau nécessaire pour rallier le prochain village, à y échanger un petit paquet de sel et quelques cartouches de fusil contre une nuit à l’abri et des morceaux de viande séchée...

         Le retour à la civilisation ? Elle sait bien qu’il faudra y venir un jour, mais ne l’envisage pas pour l’instant. Elle se sent bien ici avec son cheval, seuls êtres vivants à sang chaud à cent kilomètres à la ronde. Encore quelques années, et les mortels occidentaux qui veulent sa tête disparaîtront tous. Ils auront des successeurs, bien sûr, mais elle ne sera plus qu’une sorte de légende pour eux. L’Immortelle qui vieillissait. La jeune fille fluette qui d’un coup brisa ses liens. La femme qui s’échappa d’une base de la police en commettant un atroce carnage (elle avait découvert avant de partir que la responsabilité lui en avait été attribuée, personne n’ayant survécu pour accuser Morton Kyser). Ils la chercheront par habitude, sans la rage de ceux qu’elle a provoqués directement, ils seront moins motivés. Restent les autres Immortels, bien sûr. Dans ces régions peu peuplées, elle n’a pas ressenti de buzz depuis des mois, mais fait régulièrement ses katas le soir auprès du feu et son corps tanné et sculpté par la rude vie du désert est plus que jamais adapté au combat. Le temps s’écoule, le paysage aussi immuable qu’elle la rassure. Les saisons passent et passent les années, chaque printemps la trouve plus forte, chaque hiver plus déterminée.

         Et puis un soir, alors qu’elle est assise à l’abri d’un roc en surplomb en faisant rôtir le lièvre capturé dans l’après midi, qu’à ses pieds s’étend la haute vallée de Karakoul, avec le mont Lénine ponctuant l’Horizon comme un phare, elle repense à tout cela. Les embouteillages autour de Paris. Une bibliothèque encombrée de manuscrits. La terrasse d’un café bondé. Une soirée à jouer au Pictionnary entre amis. Une tartiflette dans un excellent restaurant de province. Un bon film au cinéma avec pop-corn et soda en prime. Un petit ami prévenant et attentif. Une vague de nostalgie et de solitude la submerge, elle ferme les yeux, s’accroche à ces images qui la hantent mais deviennent floues, s’espacent à mesure qu’elle vit loin de tout cela.
         Lorsqu’elle ouvre enfin les paupières, son regard sur le monde minéral qui l’entoure a changé. Malgré l’habitude, le sol lui semble atrocement dur, le lièvre grillé sec et fade, l’eau de son outre tiède et amère, le vent froid et humide. Elle ne regrette pas ces années mais a trouvé ce qu’elle est venue chercher dans ces montagnes isolées ; son voyage initiatique est terminé, il est temps maintenant de passer à autre chose. Sa décision est prise, elle ne passera pas une saison de plus dans ces hauteurs désolées. Sans même attendre la venue de l’aube, Laura disperse le foyer, charge son matériel sur le cheval et prend la direction de l’aéroport de Douchanbe, la capitale, qu’elle atteindra dans une quinzaine de jours.







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         - Muchas gracias !
         Le serveur opine du menton, passe à la table suivante. Les rues encombrées de Buenos Aires bourdonnent d’une joyeuse animation, et la terrasse de ce café n’est pas des plus calme, mais qu’importe ! Laura a fait le plein d’assez d’isolement et de silence pour le siècle à venir. Les jambes croisées, ses lunettes de soleil sur les yeux, elle déguste un cocktail glacé en lisant le journal. Rien dans sa coiffure ou dans son tailleur saumon ne la différencie des femmes d’Argentine, même son accent a eu le temps de disparaître depuis les dix années qu’elle vit ici en immersion totale, ce qu’elle n’avait jamais pu réussir en russe et en tadjik. Il faut dire aussi que ses nuits solitaires au pied de l’Himalaya n’étaient pas meublées de longues discussions philosophiques qui auraient pu l’aider à progresser.

         Dans la rue en face, une voiture flambant neuve prend son envol. Les aérocars étant encore très rares, les passants s’arrêtent un instant pour la regarder, certains la filment depuis leur montre ou leur téléphone. Mis à part ce genre de prouesses technologiques, preuves que le monde n’a pas cessé de tourner en l’absence de Laura, il n’a pas tant changé que cela. Son retour à la civilisation fut moins difficile qu’elle l’avait craint un moment. L’Amérique du sud, au développement intermédiaire, lui a paru un bon compromis pour se réhabituer progressivement à la vie occidentale. En tout cas, il fut par exemple bien plus aisé de retrouver le confort de l’eau chaude à volonté que d’appendre à s’en passer. Certaines habitudes tenaces ont mis du temps à se perdre, et il lui est souvent arrivé au début de se réveiller par terre sur le tapis à côté de son lit moelleux, dont la texture et la souplesse la troublaient.
         Ne pouvant vivre éternellement sur son pactole et souhaitant en garder en réserve, elle a cherché un travail et commencé comme serveuse, un job que même étudiante elle n’avait pas pratiqué mais qui lui permit de progresser très vite en espagnol. Puis à mesure que sa maîtrise de la langue s’est améliorée, elle a trouvé un emploi plus à son goût dans un centre de documentation. Parallèlement à cela, elle s’est inscrite à l’université et suit activement des classes du soir en sciences et tout particulièrement en chimie et en médecine, jusqu’à obtenir des diplômes et assez de connaissance pour exercer au besoin. A présent, sa nouvelle vie est bien en place. Un appartement, une voiture en cours d’achat et même un petit ami, Francisco. Le jeune homme est peu bavard mais travailleur, un brin rustre, récemment arrivé de la Pampa pour d’obscures raisons ; Laura soupçonne même un meurtre accidentel dans son village, mais elle ne lui pose aucune question, appréciant qu’il en fasse de même.
         Elle a au sens propre pris un nouveau départ. Autre pays, autre langue, autres habitudes. Autre Laura. Quand elle ressent un buzz, ce qui arrive parfois, elle tourne les talons. Ce n’est pas vraiment une fuite et si elle se retrouve acculée elle n’hésitera pas à dégainer l’épée qui ne la quitte jamais, mais tant qu’elle peut éviter les confrontations ce n’en est que mieux. Elle croise parfois une autre Immortelle de la région, Elena, mais ne la fréquente pas assez pour qu’elles deviennent vraiment amies. Son ancienne existence lui revient de temps en temps par flashes. Un son, une odeur, une réflexion ou un objet la plonge dans un souvenir précis, nostalgie de ce qui fut et ne sera plus.

         Un soir, Francisco l’attend avec une bouteille de vin et l’offrande d’une broche argentée.
         - En quel honneur ?
         - C’est toi qui choisis. Un cadeau de bienvenue ou un présent d’adieu. Je dois rentrer à San Raulito. Bienvenue si tu souhaites venir, adieu si tu préfères rester, ce que je comprendrais.
         Laura le fixe dans les yeux, soutient longtemps son regard, détaille chaque angle de son beau visage brun. Depuis qu’ils sont ensemble, ils ne se sont jamais beaucoup parlé, c’est à peine s’ils se connaissent ; mais qu’à-t-elle à perdre ? Puisque son destin est de se laisser porter par la vie, autant profiter des occasions de le faire pleinement plutôt que s’enfermer dans la routine monotone du quotidien, d’autant que son apparence inchangée depuis son arrivée commence à soulever des questions. A vrai dire, elle a même semblé rajeunir en revenant au doux mode de vie occidental.
         - Quand partons-nous ?
         Un rare sourire éclaire un instant le visage mat du jeune homme.
         - Dans trois jours. Je te préviens, ce ne sera pas aussi confortable que Buenos Aires...
         - Cela ne risque pas de m’effrayer, crois-moi.
         - Et il te faudra une nouvelle identité. Ta voix peut passer pour une native à présent mais il faut te faire des papiers chiliens pour éviter les questions. Je peux en trouver.
         - Cela tombe on ne peut mieux. Mes papiers européens sont périmés depuis longtemps de toute façon, heureusement que personne n’y a prêté trop attention.
         - Il y aura du danger, je suis ravi que tu m’accompagnes, mais je veux aussi que tu comprennes les risques.
         - Regarde-moi Francisco. Tu ne sais pas grand’chose sur moi, mais saches que l’inconfort, le danger, rien de tout cela ne me fait peur. J’ai vu pire.


         Laura repensera souvent à cette petite phrase par la suite. Non, elle n’avait pas vu pire. Ni ses aventures, ni la traque dont elle fut l’objet, ni sa rude vie dans les déserts asiatiques ne l’avaient préparée à cela. Comme elle le découvrit bientôt, Francisco était en fait un Chilien infiltré dans les milieux politico-mafieux de Buenos Aires, faisant passer illégalement des renseignements de l’autre côté de la frontière et participant à des réseaux d’immigration clandestine.
         Un mois plus tard éclate la courte mais terrible guerre entre l’Argentine et le Chili, qui laissera les deux pays exsangues. Prise entre les deux feux, Laura est rapidement séparée de son amant. Guerrière d’un combat qui ne sera jamais le sien, elle se retrouve pour la première fois de sa vie avec le sang de mortels sur les mains. Une fois de plus écoeurée de la folie des hommes, elle déserte le front fratricide et s’envole pour un autre ailleurs.







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         Autre continent, autres manières, autres dangers, Laura se retrouve cette fois-ci en Afrique. Elle apprend à résister à la chaleur comme elle avait appris à vivre avec le froid, à oublier la foule oppressante comme elle savait supporter la solitude totale. Selon les pays, elle parle français, anglais, apprend un peu d’arabe, mais ne se sent jamais vraiment à l’aise ici. Elle travaille quelques temps comme guide touristique en Egypte, monte un hôtel au Ghana qu’une autre guerre détruit à peine achevé, devient l’interprète et la maîtresse d’un ambassadeur canadien en Namibie et sort de cette relation avec une nouvelle nationalité. Aux yeux du monde elle est désormais Anne-Marie Bouchard, de Trois-Rivières au Québec. Comme elle n’y est jamais allée il serait facile de la démasquer, mais ce passeport diplomatique authentique lui permet de passer sans encombre ni question toutes les frontières de sa route.

         Un jour qu’elle change un pneu crevé sur une piste du Cameroun, près de Kribi, elle sent que quelqu’un approche dans son dos. Passant ses outils dans une seule main, elle empoigne son épée de l’autre. L’avantage de l’Afrique, c’est qu’il n’est pas rare de porter une machette ou un coupe-coupe à la ceinture, et son arme peut passer pour telle. Si c’est encore un voleur ou un kidnappeur, qu’il passe son chemin !
         Ce n’est ni l’un ni l’autre, mais un vieillard dignement appuyé sur un long bâton de marche, vêtu d’un jean et d’un T-shirt blanc contrastant violemment avec la noirceur de sa peau. Il s’exprime dans un français dénué de tout accent africain.
         - Puis-je vous aider mademoiselle ? Vous semblez en difficulté.
         Laura se retourne, dissimulant sa lame sous la jeep pour ne pas l’effrayer, et décline la proposition avec un sourire. En la voyant, le vieil homme ouvre grande la bouche, recule d’un pas vacillant.
         - Laura, c’est toi ?
         - Nous sommes-nous déjà rencontrés ?
         - Oh oui ma chère, nous sommes même sortis ensemble quand tu te croyais encore mortelle.
         L’Immortelle incrédule s’approche de son ancien ami. Pas de doute c’est bien lui, mais il a tellement changé !
         - Ce n’est pas possible ! Idriss N’Tonga. Je... je ne t’avais pas reconnu.
         - Et moi je n’osais pas te reconnaître. Tu es classée comme morte depuis près de trente ans, puisque la dernière fois que l’on t’a vu c’était avec Morton Kyser. Je suis content de te revoir.
         - J’espère pouvoir en dire autant.
         - Oh, tu n’as rien à craindre, je suis à la retraite depuis longtemps déjà. Tu veux que je te dise... Ne le prends pas mal, mais tu as changé toi aussi. Oh rien d’aussi terrible que moi, mais quelque chose, je ne sais pas. Tu dois avoir beaucoup à me raconter.
         - Non, désolée mais n’y compte pas. Tu n’as pas toujours été franc avec moi, je suis peut-être rancunière mais c’est comme ça. Nous pouvons redevenir les amis que nous étions mais les Guetteurs et moi sommes fâchés, et si tu en étais un tu le reste toujours. A vrai dire...
         D’un geste étonnamment rapide, elle ramasse son épée et la pointe vers le cœur d’Idriss.
         - Tu vas me promettre sur ce que tu as de plus cher que tu ne diras à personne que tu m’as vue en vie. Sinon je te jure que...
         - Que quoi ? Tu as en effet beaucoup changé, où est passée la douce jeune femme que je fréquentais ? Des menaces maintenant... Enfin, Laura, j’ai plus de quatre-vingts ans et il reste à peine assez de sang dans ma vieille carcasse pour tacher ton épée. Si j’avais vraiment voulu remettre des Guetteurs sur ta trace, crois-tu que je me serais montré ainsi ? Allez, baisse ton arme. Me tuer te fera plus de mal qu’à moi.
         - N’en sois pas si sûr, Idriss. Celle que tu connaissais est morte. J’ai mûri depuis que nous nous sommes quitté. J’ai vécu, j’ai tué, je peux recommencer. Mais pas ce soir.
         Elle replace dans la lame dans son étui de cuir à la ceinture et enserre chaleureusement le vieux Camerounais dans ses bras. Malgré ce qu’il a pu faire dans le passé il est le seul ami qu’elle ait gardé de cette époque, et c’est sans doute ce qui lui a le plus manqué ces dernières années.







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         Sa femme est un peu surprise de découvrir qu’Idriss a une amie blanche aussi jeune, cette femme ayant du naître après qu’il soit rentré de France, mais elle se garde de tout commentaire. Pendant le dîner, le Camerounais fait la conversation presque seul. Laura écoute, tantôt opine, tantôt infirme d’un signe de tête, mais ne prend guère la parole. Elle en a perdu l’habitude au bout de trente années d’errances solitaire.
         En citant une anecdote, Idriss mentionne Sabina et Laura l’interrompt pour savoir ce qu’elle est devenue.
         - Tu l’ignores ? Kyser l’a enlevée alors qu’elle partait enfin se mettre vraiment à l’abri. C’est grâce à elle qu’il a pu te trouver, mais ne lui en tient pas rigueur. La pauvre n’avait pas le choix, n’importe qui aurait parlé à sa place.
         - Oui, j’ai entendu parler de ses méthodes. Il vous connaît alors ?
         - Non, par miracle. Ne se doutant de rien à ce sujet, il ne l’a pas questionnée là-dessus. Heureusement, sans quoi c’était perdu. Et, grâce lui soit rendue, Sabina a trouvé la force de ne pas le confesser en plus pour abréger ses souffrances.
         - Cela n’aurait rien changé de toute façon.
         - Non en effet, et elle le savait.
         - L’avez-vous aidée à mourir ?
         Idriss regarde longuement Laura. C’est précisément cela qui a changé en elle. A l’époque, elle lui aurait plutôt demandé s’ils avaient fait quelque chose pour la sortir de là. D’un signe de tête, il demande à sa femme de les laisser seuls. Elle parle peu le français et est un peu sourde à présent, mais il ne veut pas prendre de risque avec ce qui va suivre.
         - Non. Trop dangereux de s’introduire dans le château de Kyser. Il ne s’entoure que d’Immortels et de quelques serviteurs mortels qu’il a élevés lui-même et qui mourraient sur son ordre, pas moyen de l’infiltrer.
         - Je comprends. Combien de temps a-t-elle survécu ?
         - Trois semaines d’après nos estimations, mais je ne sais pas si on peut vraiment compter la dernière comme étant en vie. Nous n’avions pas d’autre choix que la laisser.
         - Non en effet. Mais il va payer. Cela prendra le temps qu’il faudra, mais je l’aurai.
         - Voyons... Tu connais sa réputation et son tableau de chasse, ce type a pris des têtes millénaires !
         - Et ?
         - Il a tué Sabina que j’aimais beaucoup, toi aussi sans doute, mais c’était il y a trente ans ! Ne te mets pas sur la route de l’Albinos, je t’en prie. Il va te tuer.
         - Nous mourrons tous un jour.
         - Non, pas toi ! Pourquoi cet acharnement ? Je ne comprends pas. Tu deviens aussi psychopathe que les autres, ma parole ! Qu’est ce que vous avez tous à vouloir vous battre coûte que coûte...
         - L’instinct, la folie ? Tous les Immortels sont fondamentalement déséquilibrés, comment en serait-il autrement ? Nous réunissons toutes les conditions freudiennes et lacaniennes pour cela. Même avec une enfance heureuse, nous ne connaissons pas nos vrais parents. Même extravertis, nous devons vivre cachés. Même pacifiques, nous sommes forcés de nous battre. Même sociaux nous ne pouvons nous faire beaucoup d’amis. Même compatissants, nous ne pouvons rien faire pour protéger les mortels du temps qui passe. Même repentants, nous accumulons la mémoire de siècles d’actions néfastes. Le résultat ? Culpabilité, sentiment d’anormalité, agressivité, violence et tout le tintouin. J’ai eu le temps d’y penser, à défaut de voir un psy. Chez certains, cette folie tourne au meurtre systématique, on les appelle alors les « mauvais » Immortels. Chez d’autres, cela vire à l’héroïsme et à la chevalerie exacerbée, c’est mieux, mais tout de même pas très sain comme rigueur mentale. Très rares sont ceux qui trouvent l’équilibre, et en y parvenant ils peuvent quand même perdre la tête au hasard d’une rencontre. Pas très motivant comme programme, si c’est de toute façon la fin ultime...
         - Mais il y a un but tout de même, le Prix. Non ?
         - Tu y crois, toi, à ce Prix ? Moi je n’en sais rien. On peut l’espérer, le rechercher, mais sans savoir ce que c’est, comment s’y consacrer ? Et puis contrairement à ce que tu crois, je ne me fais pas d’illusions. Je sais que je ne tiendrai pas longtemps face à un MacLeod en colère ou un Kurgan. Comment puis-je sérieusement envisager d’être la dernière ? Ai-je seulement envie de l’être ?
         - Pourquoi vis-tu en ce cas... C’est assez déprimant comme point de vue.
         - Voilà, tu as mis le doigt dessus. Et c’est avec cela que je me débats depuis quelques décennies. Quand tu es mortel, ton objectif est d’arriver à faire quelque chose avant de mourir. Que tu y parviennes ou pas est autre chose, mais au moins tu essaies, c’est un challenge. Tu as des enfants et t’en occupes, tu montes une société, réalises un chef-d’œuvre...
         - Excepté avoir une descendance, tu peux en faire autant !
         - Ce n’est pas pareil. C’est comme faire la course tout seul, un tirage au sort où seul ton ticket est en jeu. Tu peux accomplir quelque chose, mais si ce n’est pas maintenant, ce sera plus tard, qu’importe... La ligne de temps est perturbée, tu peux aussi bien mourir demain que dans dix mille ans, comment prévoir en fonction de cela ?
         - Vous dites tous ça, vous autres, mais c’est absurde. Et nous, on ne peut pas mourir demain peut-être ? Pas dans dix mille ans, c’est sûr, mais il nous suffit de si peu pour que ce soit fini à jamais. Vous avez la possibilité de tout recommencer, une nouvelle chance à chaque mort ! Les chasseurs de têtes sont un inconvénient majeur, soit, mais qui peut prévoir sa vie de toute façon ? Que ton plan de carrière s’étende sur cinquante ans ou cinquante siècles, de toute façon on ne peut savoir de quoi demain sera fait. Tu peux tomber sur un adversaire trop fort pour toi juste en sortant d’ici. Je peux malgré mon âge me traîner encore quarante ans, pourquoi pas. Nous n’avons que quelques années d’écart, Laura, et si mon corps est moins tolérant que le tien, je n’en continue pas moins à faire des projets. Je sais que je ne pourrai pas les achever, mais tant pis. Le bateau que je construis depuis dix ans ne sera sans doute pas terminé avant ma mort, et alors ? C’est toute la beauté de l’être humain. Quand je ne serai plus, peut-être les villageois le débiteront-ils pour en faire du feu. Mais peut-être un homme passera par là et le prendra pour lui. Il sera pêcheur, fera vivre sa famille avec et sera heureux. Pas aujourd’hui, mais le jour d’après. Pas moi mais un autre, tout aussi méritant si ce n’est plus. Tu vois ce que je veux dire ? De plus même si tu meurs, une part de toi survivra à travers ton quickening, tout ne sera pas perdu et à défaut d’avoir une descendance, tu seras en quelque sorte ta propre fille. Ne t’empêche pas de vivre sous prétexte que tu peux mourir ; nous en sommes tous là, jeunes ou vieux, mortels ou Immortels. Au contraire, c’est d’autant plus une raison pour en profiter tant que tu peux.
         Laura ne répond pas. Elle fixe les flammes crépitantes du foyer, hoche à peine la tête quand Idriss finalement lui souhaite une bonne nuit et monte se coucher. Dans le ciel la lune avance, puis redescend, le soleil revient sur l’horizon. Quand le Camerounais se lève, il trouve l’Immortelle dans le salon exactement dans la même position que lorsqu’il l’a laissée la veille, à un détail près. Elle sourit.

         En l’entendant approcher elle tourne la tête vers lui et sourit de plus belle. Son visage tout entier s’illumine comme il ne l’a pas fait depuis presque un demi-siècle qu’elle est Immortelle. Elle se lève, plaque deux grosses bises sur les joues creusées du vieil Idriss qui en a les larmes aux yeux.
         - Merci mon ami, merci. Et adieu.
         - Attends, tu ne veux pas un petit déjeuner, et...
         - Pas le temps, je dois vivre, j’ai beaucoup à faire ! Embrasse Malika de ma part et porte-toi bien...
         La porte n’est pas encore refermée sur elle qu’Idriss entend la jeep de Laura démarrer et partir en dérapant sur le sable. Ses lèvres se relèvent tristement. Il sait qu’il ne la reverra pas de son vivant, mais est heureux d’avoir su l’aider à combattre les terribles démons du doute.







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         Abasourdie, Laura pose ses sacs et ôte ses lunettes de soleil pour mieux contempler la ville qu’elle croyait sienne mais ne reconnaît plus. A de rares exceptions près, les vieux quartiers ont disparus pour céder la place à d’affolantes tours de verre et d’acier, qui ne se contentent pas de gratter le ciel mais semblent le percer jusqu’aux étoiles, tandis qu’un immense chantier commence à recouvrir la Seine pour en récupérer l’espace, aboutissement d’un projet lancé presque deux siècles auparavant.
         Il n’y a presque plus d’embouteillages à Paris depuis que les aérocars y ont rencontré un franc succès et que des milliers d’entre elles décollent et atterrissent de toutes part dans un scintillement continu, insectes de métal récoltant un pollen de gens sur des fleurs de pierre. Il n’est plus un passant qui ne marche sans discuter activement avec un correspondant tout aussi invisible que son téléphone ; on ne trouve plus un magasin qui accepte l’argent liquide, plus un kiosque vendant des livres ou des journaux sur papier. La capitale s’est laissée portée par le courant technologique, une frénésie de modernité à outrance qui décourage un peu Laura, déconnectée depuis si longtemps. Elle se sent dépassée par tout cela. Qui aurait cru que la vie changerait autant en trente-cinq ans ? Elle qui ne se sentait déjà pas très à l’aise avec les ordinateurs du tout début du vingt-et-unième siècle, c’est à peine si elle parvient à interroger le plan de la ville sur l’une des innombrables tablettes interactives publiques, libres d’accès mais délaissées au profit d’appareils personnels. Elle imagine quelle eût été sa réaction si elle était partie plus tôt ou plus longtemps et repense à cet homme qu’elle a rencontré en Inde, Saabravatpa. En quatre mille ans d’existence, il n’a jamais quitté sa province, jamais touché une arme. Et sans doute jamais pris de bain non plus d’ailleurs, la Mousson lui servant de seule douche. Mais il est révéré comme un saint, en est sans doute un à sa façon. Laura a passé quelques semaines réconfortantes à ses côtés, tendant une oreille attentive à ses enseignements, mais sans pouvoir vraiment adhérer à sa philosophie qui laisse absolument tout aux mains du destin, sans le moindre libre arbitre aux hommes.

         Ses pas ont porté l’Immortelle vers les quais de Paris, seule partie avec le quartier des Champs Elysées encore épargnées par la rénovation à outrance de la capitale. En arrivant devant Notre-Dame, elle aperçoit déjà la fin du fleuve qui se rapproche. Il ne s’en faut plus que quelques décennies pour que la Seine devienne entièrement souterraine. Tous les bateaux ont disparu, et avec eux la péniche de MacLeod qu’elle espérait trouver ici. Continuant son chemin au hasard, Laura perçoit un buzz provenant d’une église, a envie de parler à quelqu’un qui puisse la comprendre et la renseigner, et quoi de mieux qu’une terre sacrée pour discuter en paix ?
         Elle pénètre silencieusement dans la chapelle déserte et trouve un prêtre à genoux devant l’autel. Inutile qu’elle s’annonce, il sait forcément qu’elle est là et qu’il ne risque rien, aussi s’assoit-elle en retrait et le laisse finir sa méditation. Il prend son temps, puis se lève et la rejoint. Il a le visage serein de ceux qui sont en paix avec eux-mêmes, malgré le regard tourmenté qu’on souvent les Immortels.
         - Bonjour, bienvenue dans la maison du Seigneur. Cela fait plaisir d’avoir un peu de visite, cela devient si rare... Je suis le père Liam Riley. En quoi puis-je vous aider ?
         - Je ne peux hélas pas vous dire mon nom et... je ne sais pas trop, je voulais juste... parler.
         - Une confession anonyme ? Si vous préférez, je suis prêt à vous entendre.
         - Pas vraiment... Je n’ai jamais pratiqué.
         - Il n’est jamais trop tard, eussiez-vous deux mille ans. Mais si vous préférez que nous causions de façon moins formelle, cela me va aussi...
         - Je préfère, oui, merci. Et je suis encore loin d’être si âgée !

         Pendant des heures, Laura parle avec cet homme qu’elle ne connaît pas, se soulage de ses appréhensions et de ses angoisses d’Immortelles tout comme Idriss l’a aidée à triompher de ses peurs mortelles. Elle se rend compte que ce n’est pas plus facile pour les autres de sa race, même pour ce doux prêtre tricentenaire. Elle a beau savoir que les Guetteurs n'ont rien perdu de la conversation, elle a pris soin de ne jamais rien dire qui permette de l'identifier. Elle repart rassérénée et emporte en prime les nouvelles coordonnées de Duncan et l’amitié de Liam, présence rassurante à travers les siècles.







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         La luxueuse résidence florentine diffère tant de ce Laura connaît des goûts simple du Highlander qu’elle pense avoir une mauvaise adresse, mais les trois buzz qui la saisissent alors qu’elle carillonne tendent à prouver le contraire. Tandis qu’elle attend que l’on vienne lui ouvrir, elle place dans un buisson une balise de son invention qui brouille les fréquences d'émission des micros des Guetteurs d'une façon qui peut passer pour une simple perturbation, et admire la parfaite organisation des jardins, les grandes fenêtres ouvragées, la façade du XVIIIème siècle. Elle comprend que MacLeod préfère la beauté classique de cette campagne italienne à la modernité froide qui s’empare inéluctablement de Paris.
         Un mortel en grande tenue de maître d’hôtel vient lui ouvrir et la conduit à un salon richement décoré. Duncan est appuyé à la cheminée, dos à la pièce, une belle femme à la coiffure multicolore est assise sur le tabouret du piano à queue et le troisième, un jeune homme aux yeux d’un bleu étonnant, est étalé sur un sofa. Laura a nettement l’impression d’interrompre une importante conversation. Après un instant de flottement, MacLeod se redresse et vient la saluer en lui faisant la bise.
         - Content de te revoir, Laura. Ca fait longtemps...
         - Je dérange ?
         - Non non, aucunement. Laisse-moi te présenter Richie Ryan...
         - Mam’zelle.
         - Et Amanda.
         - Enchantée, darling.
         - J’ai beaucoup entendu parler de vous.
         - En bien, évidemment ?
         - Cela va sans dire.
         Le ton est léger mais l’atmosphère tendue. Le Highlander est retourné à son tête-à-tête avec le foyer, plus personne ne dit rien et Laura est plutôt mal à l’aise.
         - Quelqu’un m’explique ?
         Amanda cherche le regard de Duncan qui lui confirme d’un signe qu’elle peut parler en confiance.
         - Il se trouve que ce bougre d’Ecossais va se battre avec un Polonais ce soir, or nous savons tous pertinemment que c’est un piège.
         - Mais il va s’en prendre à vous si je ne l’affronte pas ! Enfin, tu connais ce genre de chantage, ils font tous ça !
         - Bien sûr, mais Richie et moi sommes de taille à nous défendre. S’il n’y avait que ce type encore, ça irait, je te fais confiance. Mais il n’est pas seul. Les autres, ceux que l’on ressent mais ne voyons pas, ceux qui sont là mais ne se montrent pas... Cela fait des mois qu’ils nous surveillent. Ils nous préparent un sale coup et nous séparer est vraiment la dernière des choses à faire, ils n’attendent que cela.

         Ce soir là, en regardant partir MacLeod qu’il fut impossible de raisonner, ses amis s’inquiètent à l’unisson. Presque au même instant et sans s’être concertés, ils empoignent leurs épées et leurs manteaux et se lancent derrière lui.
         - Nous n’interviendrons pas dans un combat loyal, prévient Amanda, mais s’ils tentent le coup auquel je m’attends, nous ne serons pas loin.

         Se tenant à une distante prudente, suffisante pour garder un œil sur l’Ecossais sans dévoiler leurs buzz, surtout celui d’Amanda que l’âge, à défaut de très nombreuses victoires rend puissant, les trois Immortels observent le Highlander s’avancer dans un nuage bleuté surgi de nulle part, son katana à la main, scène éternelle rejouée sans fin, annoncer son nom à sa façon, suffisante à lancer le défi. Un homme sort de la brume en face de lui, sabre au clair, salue. Toutefois, au lieu d’attaquer Duncan relève la tête. Au même instant, plusieurs buzz arrivent de droite et de gauche, trop nombreux pour pouvoir les compter.
         - J’en étais sûre, peste Amanda.
         Raffermissant sa prise sur sa lame, elle s’éloigne dans l’ombre, imitée par Richie. Laura n’hésite qu’un instant avant de se joindre à la partie. Les nouveaux venus, perturbés par leurs buzz respectifs, ne peuvent les sentir arriver. MacLeod est à présent cerné par cinq Immortels armés, mais personne ne dit un mot. C’est dans ce silence oppressant que fuse le premier cri. Un hurlement terrible de douleur et de mort, tandis qu’un des Immortels s’écroule. Les autres n’ont que le temps de se retourner vers leurs adversaires inattendus avant qu’un autre subisse le même sort. Duncan ne perd pas de temps et engage la lutte avec les deux plus proches de lui. Visiblement, ces hommes ne sont pas de taille à affronter à la loyale un guerrier comme lui, et à eux deux ils ont bien du mal à le repousser. Richie jaillit à son côté pour l’aider, tandis qu’Amanda s’occupe d’un autre. Laura a trop hésité, les combats sont encore loin de lui être naturels. Pourtant quand une femme cagoulée lui entaille le bras, elle n’a pas d’autre choix que de parer et de se battre. Heureusement pour elle son adversaire n’est guère plus expérimentée et le duel avance curieusement, sans technique rodée ni botte secrète, au hasard de la relative maladresse des combattantes.
         Un nouveau buzz suspend un instant la bataille, assez puissant pour se faire sentir malgré tous ceux déjà présents. Sans lui laisser le temps de se défendre, le nouveau-venu empale Amanda et la rejette au loin sans plus s’occuper d’elle. Richie sur jette sur lui en hurlant, mais son épée ricoche sur sa cuirasse sans l’atteindre. Avant qu’il se redresse, son adversaire précédent l’attaque à nouveau. Déstabilisée, Laura reçoit un coup d’épée dans le flanc, un autre dans le dos. Une voix s’élève, terrible, énorme, elle s’impose par-dessus les cris et les coups.
         - N’oubliez pas, PAS de décapitation en groupe !

         Quelques instants plus tard, tout est terminé, le champ de bataille est à nouveau calme et silencieux. Laura lutte pour garder les yeux ouverts, son dos et son ventre la font terriblement souffrir. Richie est auprès d’elle, il la soutient tandis qu’elle grimace de douleur.
         - Là, ça va passer. Vous voulez que je vous tue pour ne pas sentir la cicatrisation ?
         - Non, ça va aller. Enfin, il faudra bien. Où sont les autres ?
         - Amanda est un peu plus loin. Elle mettra du temps à revenir à la vie, cette brute l’a complètement éventrée. Mac... a disparu.
         - Pourquoi ne nous ont-ils pas décapités ?
         - Qui que soient ces Immortels et quoi qu’ils veuillent à Duncan, ils semblent conserver un certain sens de l’honneur et du respect des Règles.
         - Nous devons le retrouver, Richie.
         - Oh ce n’est pas moi qu’il faut convaincre, mais nous ne pouvons rien faire dans cet état, sans même savoir où ils l’ont emmené !
         - Je peux le trouver, mais va me falloir du temps, du matériel et quelqu'un de compétent. Hélas, nous n'avons rien de tout cela sous la main. A moins que... Si, j'ai une idée, mais je dois travailler absolument seule sur ce coup-la.
         - Ca va être long ? Parce que pendant ce temps, Mac est en danger !
         - Je ne m'en fais pas trop pour lui. S'ils avaient voulu le tuer et nous avec, ils pouvaient s'en charger tout à l'heure, nous étions à leur merci. Je vais faire aussi vite que possible, c'est tout ce que je peux promettre...







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         Steven avance à pas de loup. Il est sur de lui, mais on ne pénètre jamais impunément dans la demeure d'un Ancien. Son job est dangereux, mais il le fait bien, il est le meilleur des rares Guetteurs de terrain, envoyé pour placer les tous premiers émetteurs des nouveaux Immortels – ou en l'occurrence de ceux dont ils viennent de trouver la trace. Si leurs analyses sont correctes, la personne à qui parlaient Amanda et Richie Ryan quand la perturbation à cessé d'affecter leurs micros n'est autre que Laura Desrieux, qu'ils ont perdue depuis plus de trente ans. Mission délicate s'il en est. De tous les Immortels, elle est celle qui en sait le plus sur eux, et les Guetteurs ont longuement discuté pour savoir s'ils devaient l'éliminer comme le souhaitait la génération précédente ou – considérant qu'elle a toujours respecté sa parole de ne parler des Guetteurs à personne – de la suivre comme une Immortelle ordinaire. En fin de compte, ils ont opté pour la seconde solution, pour l'instant tout du moins.          La grande maison est silencieuse, tout est calme. Les domestiques ne dorment pas dans ce bâtiment et le traceur de Steven lui indique en continu l'emplacement d'Amanda et de Richie dans leurs chambres respectives, probablement endormis. Il ne reste que Laura qu’il voit du coin de l'œil, elle aussi est immobile dans son lit. Traversant sa chambre en évitant le moindre bruit, il se glisse dans la pièce voisine où sont rangées les affaires de Laura et entreprend de glisser de minuscules espions électroniques dans la doublure des vêtements, sous la semelle des chaussures, dans le fond des sacs...          Steven s'interrompt soudain tandis qu'un frisson glacé lui parcourt l'échine. D'un coup d'œil, il vérifie son localisateur mais les Immortels n'ont pas bougé, pas plus que la silhouette étrangement inerte dans le lit voisin... A qui donc est l'épée plaquée contre sa gorge qui le force à se relever ?          - Bonjour, monsieur du Guetteur. Que vous êtes rapide, que vous me semblez pro... Sur les lieux en quelques heures à peine, bravo je n'en demandais pas tant, mais cela tombe à point.          - Lau... Laura Desrieux ?          - Bingo. Ecoute-moi bien, Guetteur, car je n'ai pas beaucoup de temps. Tu n'étais visiblement pas là pour me tuer, je t'épargne donc. Je n'ai jamais parlé de vous, jamais utilisé ce que je sais contre vous ou contre d'autres Immortels. Mais aujourd'hui, j'ai une faveur à vous demander.          - Mais je...          - Ne m’interromps pas. Je dois savoir où est MacLeod. Quelle est la portée maximale de ton localisateur ?          - Et pourquoi je vous répondrais, mmmh ?          - Parce que je suis pressée, de mauvaise humeur, et que j'ai soixante-dix centimètres de métal prêts à traverser ton ventre. Cela te va comme raison ? Ce n'est pas comme si j'avais t'intention de tuer Duncan, bon sang, je veux le sauver ! C'est nous les gentils, Guetteurs, pas ceux qui l’ont enlevé. De plus je te promets de continuer à ne rien dire aux autres.          - Bon, bon, on ne s'énerve pas. Mon localisateur est de la huitième génération, il est relié directement à notre essaim de satellites.          - Ce qui veut dire ? Je n'ai pas suivi la technique ces dernières décennies.          - Ben... couverture mondiale en temps réel.          - Parfait. Je le garde jusqu'à nouvel ordre.          - Non, vous ne pouvez pas.          - Tiens donc. Tu as oublié de dire "désolé". Ecoute gamin, l'un de mes seuls amis est aux mains de celui que je suspecte être Morton Kyser, je ne vais pas rester sans rien faire.          - Ce n'est pas ça... Pour éviter qu'ils soient utilisés en cas de perte ou de vol, tous les nouveaux localisateurs sont verrouillés de façon à ne fonctionner qu'avec leur propriétaire, et c'est inscrit en bas niveau dans leur BIOS, pas moyen de les reprogrammer sans la console du central. Je vous jure que c'est vrai.          - Je te crois, j'en aurais fait autant, mais voilà qui est fâcheux et qui change mes plans si je veux concilier toutes mes promesses... Bon, tant pis, laissons les autres dormir. Ce sera toi et moi. Comment t’appelles-tu ?          - Steven.          - Et bien félicitations Steven, tu étais déjà homme de terrain, te voilà promu homme d’action.







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         Au volant de la voiture d’Amanda - qui s’est récemment offert cette superbe aéro-Jaguar - et suivant les instructions de Laura, le Guetteur conduit au ras du sol. Il ne tarde pas à deviner la direction qu’ils prennent et blêmit.
         - Vous n’allez quand même pas me dire que vous allez seule envahir la forteresse de Kyser ?
         - Et pourquoi pas ? D’ailleurs je ne suis pas seule, tu es avec moi.
         - Ah non, pas question. Déjà que je risque ma vie et la vôtre avec en vous parlant et en vous prêtant mon localisateur, alors pénétrer chez ce psychopathe cinglé et sa bande de fidèles, non merci !
         - Ne t’en fais pas, vas. Tu n’auras pas à me suivre jusqu’au bout. Et je sais ce que je fais. En tout cas j’espère. Où en sommes-nous ?
         - En approche de la Pologne.
         - Bon sang, je ne m'habitue pas à la vitesse de ces nouveaux véhicules. D'après ton localisateur, ils sont tout de même huit là-dedans.
         - Vous changez toutes les règles avec ces informations ! Remarquez, je ne sais pas pourquoi je m'en fais, je ne vois même pas comment vous pourrez entrer.
         - Je vais y entrer, en ressortir avec MacLeod, et tout sans tuer personne hors des règles du Jeu.
         Le Guetteur se contente de hausser les épaules en guise de réponse. Après tout si l'Immortelle a perdu la tête au sens figuré, il n'est pas étonnant qu'elle finisse par le faire au sens propre. Mais de là à le chercher à ce point !
         La lame de Laura pressée contre ses côtes incite le Guetteur à voler plus bas encore, au point que les buissons et les arbrisseaux frottent le châssis de la Jaguar. Quelques minutes plus tard, ils arrivent en Estonie, en vue du château d'où partent tous les signaux du localisateur, une grande bâtisse sombre du treizième ou quatorzième siècle, entretenue mais jamais rénové depuis, isolée dans une forêt d'épineux tout aussi sombre et isolée.

         Steven ralentit brusquement à un kilomètre de la forteresse et laisse Laura sauter à terre avant de faire demi-tour et de repartir vers l'Italie. L'Immortelle avance courbée, se dissimulant autant que possible dans les replis du terrain. Elle est encore à distance respectable quand elle commence à ressentir un buzz diffus, comme semblant venir du château lui-même. Comme elle l'avait espéré, le nombre d'Immortels dans la place les empêchera de la détecter prématurément. Un véhicule décolle sur les remparts et se lance à la poursuite de la Jaguar qu'ils ont repérée. Avec de la chance, la voiture de sport d'Amanda sera assez rapide pour leur échapper sans problème.
         Approchant du château par l'arrière, Laura s'arrête un instant devant l'évacuation des eaux usées qu'elle s'attendait à y trouver et se remémore une citation d'un film sorti peu avant son premier quickening : "Neo, nobody has ever done this before." "I know. That's why it is going to work".
         Elle tapote une énième fois la poche intérieure de sa veste où se trouve son arme la plus puissante, un assortiment de seringues emplies de mixtures diverses de sa composition, créées lors de ses années d'études de médecine et de chimie en Amérique du sud. A sa ceinture un holster supporte deux revolvers, un Beretta 8mm silencieux et un pistolet vétérinaire prêt à tirer ses seringues. Avec son épée, voilà tout son armement pour faire face à une petite armée d'Immortels.
         Elle prend une dernière grande respiration et s'enfonce jusqu'à la taille dans le conduit boueux où elle lutte contre le courant pour pénétrer dans la forteresse médiévale. Le passage n'est guère protégé, il est impossible à un guerrier en armure ou même un homme bien bâti de passer par là, mais la fine Laura parvient à se glisser derrière la grille et se retrouve dans l'enceinte, au fond de la grande cour. La partie sera serrée, ses chances de s'en sortir, infimes. Mais après tout, who wants to live forever ?







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         - Comment ça elle est partie ? Et avec ma voiture en plus !
         Amanda marche de long en large dans la pièce en fulminant.
         - Ah non, ta voiture est là.
         - Elle n'y était pas quand je me suis levée. C'était bien la peine de faire des grandes promesses si c'est pour nous lâcher si vite.
         - Non, je ne crois pas qu'elle ait laissé tombé Mac. Je ne sais pas, je lui fais confiance.
         - Elle t'a surtout tourné la tête avec ses beaux yeux, Richie. Ce que je vois, c'est que pour l'instant elle nous a laissés tomber.
         - Es-tu sûre que tu voiture est partie cette nuit ?
         - Oui, j'ai vérifié la cellule énergétique, elle a volé presque cinq heures.
         - Tu veux mon avis ? Laura est sur une piste.
         - Pourquoi ne nous avoir rien dit, alors ?
         - Je n'en sais rien, elle doit préférer la jouer solitaire.
         - Ce n'est pas pour la critiquer, mais tu as vu comme moi comment elle se bat. Que veux-tu qu'elle fasse seule contre tant d'Immortels ?
         - Je l'ignore, mais si elle est partie risquer sa vie pour sauver Duncan, on ne peut que lui prêter main-forte. Le seul problème... Où est-elle ?
         - Amanda, très chère, de tous tes larcins tu ne t'es jamais beaucoup penchée sur le vol de voiture, n'est-ce pas ? Tu es bien trop classe pour quelque chose d'aussi vil, mais il se trouve que moi, je me suis un peu tenu au courant des nouvelles méthodes. Le problème maintenant, ce n'est plus de savoir quels fils relier pour la faire démarrer mais que demander à l'ordinateur de bord pour qu'il t'obéisse.
         - Inutile, les clés sont dessus !
         - Je le sais, mais ta Jag' n'est pas rentrée par l'opération du Saint-Esprit, Laura a dû programmer le chemin de retour pour te la renvoyer en pilote automatique, donc nous pouvons retrouver son point de départ.

         Après quelques minutes de travail, Richie lève des yeux surpris vers Amanda.
         - Non, la voiture n'est pas rentrée en toute seule. Quelqu'un la conduisait en personne, mais...
         - ...si c'était la petite Laura nous aurions perçu son retour à défaut d'avoir pu la sentir partir. Qu'est-ce que cela signifie ? Aurait-elle des alliés inconnus ?







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         Arkham porte soudain la main à sa nuque. Un moustique, à cette époque de l'année ? Il ne remarque pas le minuscule tube de verre qui se détache et tombe à ses pieds. Quelques minutes passent ; un long frisson le parcourt de la tête aux pieds et il constate avec horreur que son bras ne bouge plus. Il tombe, paralysé, raide comme une planche, incapable du moindre mouvement. Même crier ou fermer les yeux lui est impossible ! Une forme se penche au dessus de lui à contre-jour et l'examine brièvement avant de le tirer par les pieds et de le cacher dans un recoin. Laura vient de lui injecter un petit cocktail de venins et de poisons divers dérivés de son produit de vieillissement, qui tétanise totalement les muscles et épuise les terminaisons nerveuses pendant une bonne dizaine d'heures. Celui-ci ne sera plus un problème.

         Nathalia vient de finir son tour de garde, elle achève de se déshabiller, se couche et vient de fermer les yeux lorsqu'un buzz particulièrement proche la fait se redresser. Si c'est encore Vlad qui tente son numéro de séducteur, elle va le recevoir à coup d'épée cette fois ! Mais au lieu de son prétendant, elle se retrouve nez à nez avec l'amie de MacLeod contre laquelle elle s'est battue la veille ! Elle n'a pas le temps de crier avant de sentir sur son épaule la piqûre d'une seringue et de retomber sans force sur le lit. Son esprit s'embrume, tout son corps est mou et refuse de lui répondre. Laura s'assoit à son chevet et lui relève doucement la tête.
         - Où est MacLeod ?
         Nathalia lutte pour se redresser mais n'y parvient pas. Garder les yeux ouverts lui est pénible, et quand elle parle sa voix n'est qu'un souffle à peine audible.
         - Si tu crois que je vais cafter...
         - Oh oui, je crois que tu vas tout me dire. Penthotal, morphine, pas mal d'antidépresseurs et quelques euphorisants... Tu vas être une gentille petite Immortelle coopérative. Alors, MacLeod ? J'attends...
         Ecumante de rage au fond d'elle-même, Nathalia n'a pas d'autre choix que révéler à Laura tout ce qu'elle sait de la forteresse et des autres Immortels présents. Mais rapidement, elle lâche le fil, ses propos deviennent incohérents, elle se noie dans les souvenirs de ses cinquante années d'Immortalité puis finit par perdre complètement connaissance. Laura la quitte après avoir vérifié son pouls. Une mortelle aurait déjà rendu l'âme à ce stade, mais Laura sait d'expérience que le corps immortel de Nathalia va lutter contre les produits pendant quelques heures avant de parvenir à rétablir sa chimie interne. Tout ce qu'elle espère, c'est que la jeune femme ne meure pas pendant ce temps. Il est important dans son plan que les Immortels qu'elle met hors d'état de nuire restent en vie malgré tout, sans quoi la disparition de leurs buzz alerterait les autres.

         Suivant les informations de Nathalia, Laura continue son curieux parcours dans la forteresse de Morton Kyser. Il est encore très tôt, c'est à peine si le jour est levé. L'un après l'autre, elle paralyse trois autres jeunes Immortels sans même leur laisser le temps de se réveiller. Ils sont plus les serviteurs que les élèves de l'albinos et – pris indépendamment – ne représenteraient pas une grande menace, même pour Laura. Le problème, c'est qu'ils ne sont pas seuls.
         Elle se dirige alors vers l'aile Est du bâtiment où se trouverait l'Ecossais, mais s'arrête avant d'y pénétrer. Les buzz des autres y sont assez distants pour que les Immortels proches de MacLeod la sentent arriver, et Laura ne voit pas comment se faire passer pour l'un des jeunes. Elle ignore même quelle langue ils parlent entre eux ! Avisant un petit escalier conduisant à une galerie en surplomb de la grande salle, elle se poste à l'affût. En contrebas, Duncan est assis à une table de bois sombre, il mange lentement un petit déjeuner. En face de lui, faisant de même, Morton Kyser et un grand Immortel blond que Laura ne connaît pas. L'albinos s'impatiente.
         - Mais qu'est ce qu'ils fichent... Karl, va voir ce que font les jeunes. Dis leur de ma part que c'est le premier et dernier retard que je tolère. Le soleil monte depuis plus d'une demi-heure !
         Le blond repousse son assiette et quitte la salle sans un mot. C'est l'occasion ou jamais pour Laura qui dévale le petit escalier et s'approche dans le dos de Kyser. Celui-ci ne se retourne pas, il est trop habitué aux présences multiples d'Immortels autour de lui. Il sursaute à peine en entendant le claquement d'un revolver que l'on arme et en sentant le pression du canon froid contre sa nuque blafarde. C'est un homme qui avait déjà perdu toute autre émotion que la haine avant même sa première mort, la peur ne l'atteint pas plus que le reste. La balle part sans bruit grâce au silencieux et se loge dans son crâne. Il s'effondre le nez dans son assiette qui peu à peu se remplit de son propre sang. MacLeod pousse un long soupir et pose ses couverts.
         - Duncan, viens vite, c'est le moment ou jamais.
         - Tu n'aurais pas du venir, Laura.
         - Oui, et bien je suis là, maintenant. Allez, viens, pas de temps à perdre !
         - Non.
         - Quoi ?!
         Stupéfaite, Laura fait le tour de la table et saisit le Highlander par le bras, le tire vers la sortie.
         - Allez bouge, ils vont revenir d'une minute à l'autre !
         - Je ne peux pas ! Je... je suis désolé.
         - Tu ne peux pas quoi ? Etre secouru par une débutante ? Par une femme ?
         MacLeod se baisse et ramasse son katana avant de se lever. Horrifiée et incrédule, Laura recule lentement en portant la main à sa propre lame.
         - Ils t'ont laissé ton épée ?
         - Je t'ai dit que tu n'aurais pas du venir.
         L'Ecossais fait un signe de la main et Laura hurle tandis qu'une paire de bras musclés la ceinture. Elle a beau se débattre, elle n'est pas de taille à lutter contre le géant Karl. Duncan s'approche et lui tord le poignet jusqu'à lui faire lâcher son arme, qu'il lui confisque de même que ses pistolets.







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         - Cela me rend malade de ne pas savoir, de rester là à ne rien faire... Bon sang !
         Amanda fait les cent pas dans le salon de la villa, tandis que Richie pianote fébrilement sur son ordinateur.
         - Je peux me tromper bien sûr, mais d'après mes calculs, en prenant en compte le fait que tu venais de recharger la voiture et l'énergie qu'il restait ce matin, je dirais que Laura est quelque part dans un rayon de... quatre à cinq mille kilomètres. Mais c'est difficile d'être plus précis sans savoir combien de temps elle a réellement volé.
         - Et la Jag' ne peut pas te le dire ?
         - Non, à moins de... Mais bien sûr ! Quel imbécile de ne pas y avoir pensé plus tôt !
         - Quoi ? Et pas de charabia technique, je t'en prie.
         - La boîte noire ! Ta voiture a enregistré tous les temps de vol et la vitesse de déplacement, pour en informer l'entretien et accessoirement le concessionnaire pour le ciblage de ses campagnes de pub. Si je peux me faire passer pour le centre technique Jaguar...
         - Tu peux ?
         - Ce n'est pas gagné, je ne suis pas un spécialiste, loin s'en faut... Ce n'est plus comme bricoler mes motos de l'époque - mais je peux essayer.







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          Le blond à la gorge saccagée quelques temps avant par son maître raffermit sa prise sur Laura qui commence à s'épuiser à force de lutter en vain. Il émet un grondement rauque auquel MacLeod répond :
         - Oui, c'est clair, il va avoir mal au crâne pendant deux jours et être de sacrément mauvaise humeur. Ce n'était pas une bonne idée d'abattre Morton comme cela, Laura.
         Un autre Immortel fait irruption. Il ne jette qu'un coup d'œil surpris au cadavre temporaire de l'albinos avant d'annoncer
         - J'ignore ce qu'elle a fait aux jeunes, ils sont... Je ne sais pas, ils sont en vie mais ne bougent pas plus que des statues, je n'ai rien pu en tirer.
         Duncan jette un coup d'œil intrigué à l'Immortelle, mais un curieux gargouillis l'interrompt avant qu'il ai le temps de parler. Kyser redresse la tête en gémissant, essuie son visage maculé d'œuf et de sang et se relève en titubant. Laura est effarée de le voir ressusciter si tôt après une telle blessure à la tête ; un Immortel ordinaire aurait mis des heures à s'en remettre. Elle a sans doute sous-estimé sa puissance ou son âge ; après tout, les Guetteurs n'ont jamais pu le vérifier avec certitude.
         Gratifiant le traître Highlander d'une flopée d'insultes en tadjik et en espagnol, Laura impuissante est traînée vers un cachot solitaire dans les entrailles du château. Avant de verrouiller personnellement sa cellule, Morton Kyser lui rend une dernière visite.
         - Eh bien Laura, c'est une surprise de te revoir. Je n'ai t'ai pas reconnue l'autre jour dans le noir, mais notre dernière rencontre, il y a quelques décennies de cela, m'a laissé un assez mauvais souvenir.
         En disant cela l'albinos se frotte légèrement la mâchoire avant de passer un doigt sur la joue de l'Immortelle avec un sourire cruel.
         - Il se trouve que je suis très occupé en ce moment, mais je me ferai une joie de me rendre disponible très bientôt pour remettre les choses au point entre nous. Je te laisse maintenant, j'ai du travail. Juste un petit aperçu, histoire de te donner matière à réflexion en attendant mon retour.
         Sa main qui caressait la joue de Laura force soudain le passage dans sa bouche tandis que de l'autre il lui retient le front pour l'empêcher de mordre, puis il abaisse brutalement le bras, déboîtant ainsi la mâchoire de l'Immortelle et lui brisant les ligaments et les muscles maxillaires. Elle s'écroule en sanglotant, submergée de douleur, retenue uniquement par les chaînes qui la lient au mur.




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