SIXIEME PARTIE


"J’ai appris qu’une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie."
André Malraux








         - Tu y crois, toi ?
         - Pas un mot. Mais d’un autre côté... Je ne vois pas ce qui pourrait influencer Mac à ce point.
         Richie et Amanda sont perplexes. Ils viennent de recevoir un coup de téléphone de Duncan les assurant qu’il va bien et n’a absolument pas besoin d’aide. Son ton était un peu froid, mais il ne semblait pas parler sous une quelconque contrainte ni n’a glissé de phrase codée dans la conversation.
         - On s’était mis d’accord il y a quelques années, il doit m’appeler « Richard » si quelque chose ne va pas ; or il n’en a rien fait.
         - Mais cela n'a pas de sens. Si les gens avec qui il est sont vraiment des amis à lui, pourquoi cette mise en scène pour le faire venir ? Je te concède que personne n'a perdu la tête dans cette incartade, mais il y a des méthodes plus simples et moins douloureuses pour lancer une invitation, non ?
         - Je ne sais pas, je ne sais plus. Des fois j'ai du mal à suivre Mac.
         - Oh oui ! Je vois ce que c’est, cela fait des siècles que je connais ce bougre d'Ecossais avec sa morale de boy-scout et ses principes médiévaux. Tu crois tout savoir de lui en quelques mois, et trois cents ans après il peut encore t'étonner. En l'occurrence, s'il nous assure que ça va et que rien ne prouve le contraire... On ne peut pas l'aider contre son gré.
         - Mouais. Pas convaincu. J'ai quand même avancé sur la boîte noire. J'ai trouvé sur l'Ultranet la procédure pour la faire parler. Laura a volé d'un trait, tout droit à pleine vitesse sur 4052 Km, avant de freiner et de repartir aussi sec vers ici. Je ne sais même pas comment elle a fait l'échange pour son mystérieux pilote du retour, mais il est clair qu'elle savait parfaitement où aller.
         - C'est à dire ?
         - Je ne sais pas, c'est là le problème ! Mais je vais trouver. Tiens, regarde, c'est une liste de toutes les villes, villages et monuments se trouvant précisément à 4052 Km d'ici. Je sais que cela fait beaucoup, mais vois si tu en connais qui seraient en rapport avec Mac ou un autre Immortel...







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         Les lumières sont crues et les murs dépouillés dans la salle de réunion numéro trois. Ce n'est pas celle que les Guetteurs utilisent pour les cérémonies, mais au contraire celle des remontrances et des procès internes. D'un côté, assis à une table en forme de U, les responsables et les gradés de l'organisation, austères figures nimbées de blanc, monitorent en continu sur leurs écrans individuels l'activité de leurs secteurs respectifs. En face d'eux, un homme d'âge intermédiaire et de silhouette sportive est assis sur une chaise, les mains crispées sur ses genoux et la tête basse. Le superviseur général d'Europe se lève et annonce le résultat de leurs délibérations.
         - Steven Johnson, vous êtes officiellement relevé de tout service actif pour les Guetteurs. Rendez-moi votre localisateur, et estimez-vous heureux que nous ne vous ôtions pas la vie par la même occasion.
         - Mais monsieur... Je n'avais pas le choix, j'avais une épée contre les côtes !
         - Alors il fallait vous tuer ou vous laisser tuer ! J’admets comme circonstance atténuante – et c'est à cela que vous devez la vie sauve – qu'en échange vous avez retrouvé la piste de Laura Desrieux.
         - Uniquement parce qu'elle l'a bien voulu ! intervient un autre Guetteur, un homme plus âgé encore que ses confrères. Elle s'est une fois de plus servi de nous. Cela fait bien longtemps que nous aurions dû nous en débarrasser, depuis le tout début. J'étais là le jour où nous l'avons découverte. J’étais gamin alors, je venais juste d'entrer dans l'organisation, mais je porte encore des traces de brûlure de son premier quickening. Depuis un demi-siècle elle est une menace pour nous. C'est une règle fondamentale, et d'autant plus importante depuis notre Réforme : en aucun cas les Immortels ne doivent nous connaître, nous avons eu assez d'exemples des difficultés que cela entraîne. Et maintenant, celle qui nous connaît le mieux est aux mains de Morton Kyser. Vous savez ce que cela signifie ! C'est un miracle que feu Sabina Eneiro ne lui ait rien avoué, mais c'est uniquement parce qu'il n'avait alors aucune raison de suspecter quoi que ce soit. Cette fois c'est différent, il va vouloir comprendre comment Desrieux a retrouvé la trace de MacLeod, et il peut la torturer bien plus qu'une mortelle pour le savoir. C'est grave ! Il faut agir.
         Les Guetteurs baissent les yeux. Ils savent que le doyen à raison, mais ce n'est jamais de bon cœur qu'ils prennent la décision d'éliminer un Immortel du Jeu, même si aucun ne pense que Laura a de réelles chances de gagner le Prix de toute façon. Et la problématique est plus complexe encore, puisque pour atteindre la jeune femme, peut-être devront-ils éliminer Kyser et sa bande, et cela ne pourra qu'être une énorme interférence sur le gathering final...
         Une petite voix se fait entendre dans le silence qui est tombé sur la salle alors que chacun médite la conduite à adopter. Une jeune femme se lève dans le coin de la salle où elle contrôlait l'enregistrement de la séance.
         - Permission de parler librement ?
         - Catherine ? Que voulez-vous ?
         - Sauf votre respect, mesdames et messieurs, il y a une solution pour arranger les choses au mieux, en tout cas au moins mal.
         Le doyen se lève à son tour, indigné.
         - Il n'y a pas d'autre solution, nous n'avons déjà que bien trop tergiversé !
         Son voisin le superviseur d'Europe pose une main apaisante sur le bras du vieillard hargneux.
         - Laissons-la parler, pourquoi pas ? Catherine, quelle est votre idée ?
         - En fait, ce n'est pas la mienne. C'est celle de Laura Desrieux..
         Elle lève un bras pour faire taire les protestations qui n'ont pas manqué de s'élever, et avance au milieu de la pièce avant de continuer.
         - Laura n'a pas de localisateur ou de micros sur elle, mais les hommes de Kyser et lui-même sont tous marqués, alors j'ai passé la journée à compiler toutes ces données et à les recouper pour en extrapoler les événements de la nuit dernière. J'ai ainsi appris qu'elle a réussi à s'introduire au cœur de la forteresse, elle a même tué temporairement l'Albinos en personne !
         - En effet ce n'est pas mal du tout pour quelqu'un de son âge. Pourtant malgré ses efforts elle s'est fait prendre, alors où voulez-vous en venir ?
         - Je n'explique pas encore le revirement de Duncan MacLeod qui a ruiné son plan d'évasion, mais j'ai des équipes qui travaillent là-dessus. L'important est que Laura s'est donné beaucoup de mal pour ne prendre aucun quickening.
         - Evidemment, c'était sa seule chance de ne pas se faire repérer ! Nous avons déjà analysé tout cela.
         - Oui, mais c'était aussi un moyen de tenir la promesse qu'elle nous a faite à la fin du XXème siècle - et qu'elle a tout récemment réitérée à Steven ici présent - de ne PAS utiliser sa connaissance acquise par les Guetteurs pour changer les règles du Jeu. Voilà ce que je veux dire. En clair, nous devons agir vite et bien, sans prendre de tête inutilement. Nous devons envoyer un groupe d'intervention armé, tuer Kyser et ses hommes assez longtemps pour sortir Desrieux de là et disparaître.
         Le silence se fait un moment dans la salle de réunion tandis que chacun réfléchit à cette méthode pour le moins expéditive. Puis les objections fusent, une à une dans un premier temps, puis en feu continu. Qui envoyer ? Les Guetteurs ne sont pas des commandos militaires. Comment minimiser les risques ? Comment s'assurer que les Immortels restent entiers mais hors d'état assez longtemps ? Et avant tout cela, comment être absolument certain que Laura a encore sa tête ? Aucun Immortel du château n'a perdu brutalement d'espions électroniques - ce qui indiquerait qu'il a pris un quickening – mais cela ne veut rien dire, celui de la jeune Laura a pu être assez faible pour les épargner. C'est difficile à savoir, car les micro-capteurs ne peuvent émettre depuis les entrailles de la forteresse. Les Guetteurs sont dans le flou et ils ont horreur de cela.







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         Claquement de la serrure que l'on tourne, grincement des gonds que l'on tire, craquements de la porte que l'on ouvre. Les sons arrivent de très loin, déformés, leur écho résonne longuement dans la tête de Laura avant qu'elle parvienne à les analyser. Sans pouvoir s'empêcher de gémir, l'Immortelle relève péniblement la tête. Sa mâchoire a eu le temps de se réparer, mais elle a complètement perdu la notion du temps. Ses poignets et ses chevilles sont entaillés jusqu'à l'os par les chaînes cruelles qui la retiennent, ses joues sont creuses, son teint hâve et son regard vague. Pour ce qu'elle en sait, elle peut aussi bien avoir été enfermée dans ce cachot depuis trois jours ou trois ans.
         Un homme pénètre dans la cellule, grand, blond, la gorge entaillée d'une curieuse cicatrice transversale. Au prix d'un terrible effort, la prisonnière empoigne ses chaînes et se relève à la force des bras. Pas question qu'elle reste à genoux devant ces lâches, quelle que soit sa condition.
         - Tiens, ce cher Karl. C'est bien toi qu'on appelle "l'homme à la voix cassée", non ?
         L'Allemand pâlit et serre les dents. Quand il répond, sa voix n'est en effet qu'un souffle, pas même un murmure. Ses lèvres et sa langue forment les sons, mais ses cordes vocales sont définitivement hors d'usage.
         - Tu vas payer ton insolence, le maître saura bien s'occuper de toi.
         - Le "Maître", hein. Pourtant à ce que l'on m'a dit; c'est lui qui t'a décoré le cou de cette façon...
         - Co... comment savez-vous cela ?
         Laura part d'un petit rire sans joie, ses yeux sont rivés dans ceux de Karl.
         - Je ne le savais pas. "Wild guess" comme on dit, mais ça ne m'étonne pas de Kyser. Pourquoi rester avec lui, Karl ? Tu t’épuises à ses ordres pendant des siècles, tu te tapes tout le sale boulot, espérant juste qu'au prochain accès de mauvaise humeur l'albinos prenne une autre tête que la tienne pour se calmer... Ce n'est pas une vie !
         - C'est ridicule, qu'essayez-vous de faire ? Vous ne savez absolument pas de quoi vous parlez, peut-être que vous comprendrez plus tard – mais vu ce que cela implique je ne vous le souhaite pas. Assez parlé, Maître Kyser voulait juste savoir comment vous alliez.
         - C'est bien aimable de sa part. Mais pourquoi ne vient-il pas s'enquérir en personne de ma petite santé ?
         Une lueur de souffrance passe dans les yeux du blond.
         - Ne soyez donc pas si pressée de le revoir.
         Il se dirige vers la porte quand Laura l'interpelle au dernier moment.
         - Karl ! Je veux parler à ce fumier de MacLeod.
         Il se retourne, pince les lèvres et s'en va en verrouillant le cachot. Laura se retrouve à nouveau seule dans le noir, désespérée. Le temps s'embrouille à nouveau, il se dilate et se contracte sans qu'aucun point de repère ne vienne ponctuer son cours.







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         Amanda repousse la tablette en soupirant.          - Tout cela ne rime à rien, Richie ! Cela fait des centaines de noms que je parcours, il y a bien des lieux que je connais, mais de là à extrapoler celui où se trouve Mac...          - Il y a bien la solution de faire tout le tour en se concentrant sur les buzz, précisément sur la circonférence en partant d’ici, mais outre qu’ils ont pu bouger depuis le temps, nous en avons pour des jours ! De plus je viens de penser qu’ils ne sont même pas forcément sur terre. Si Laura a pris le risque de voler au dessus de la mer pour rejoindre un bateau par exemple, on n’a aucune chance. Et cela expliquerait qu’elle ne se soit pas posée.          Découragés, les deux Immortels rejettent la tête en arrière et soupirent. Malgré son appel rassurant, ils sont persuadés que le Highlander est en danger, mais comment le trouver ? Ils continuent de réfléchir en vain quand le téléphone sonne. Richie et Amanda se regardent, intrigués, puis le jeune homme décroche. Il écoute silencieusement pendant quelques instants puis raccroche en poussant un soupir de soulagement.          - C'était Methos. Il sait où est Duncan.          - Comment ?          - Je ne sais pas, je n'ai pas demandé. Je suppose que Mac le lui a dit mais il est aussi inquiet que nous à son sujet. Il dit qu'il est en Estonie chez un certain Morton Kyser, ça t'évoque quelque chose ?          Amanda pâlit, porte une main à sa bouche et s'assoit en se retenant à l'accoudoir de son fauteuil. Inquiet, Richie s'agenouille devant elle et lui tapote la paume.          - Amanda ? Qu'est ce qui t'arrive ?          - Duncan ami de Kyser c'est comme... comme... enfin ce n'est tout simplement PAS possible ! Tu n'as jamais entendu parler de ce type ? Il faut VITE aller sortir Duncan de là-bas, je ne sais pas ce qu'il y fait, mais c'est grave.          - Methos a dit de ne surtout pas y aller.          - Qu'il aille au diable. Il ne fallait pas nous donner cette info s'il ne voulait pas que l'on s'en serve. Pourquoi crois-tu qu'il nous aurait dit ça autrement ? C'est tout lui cette méthode ; il veut aider MacLeod mais il a trop peur pour risquer sa vieille tête, alors il nous envoie à l'abattoir.          - Mais...          Richie s'apprête à objecter mais il doit bien admettre que cela ne l'étonnerait pas plus que cela du Really Old Guy. Malgré ses doutes, il se lève, empoigne son épée et les clés de la Jaguar puis sort d'un pas déterminé, suivit d'Amanda. Le jour n'est pas venu où il laissera tomber son mentor et ami.







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         - Tu voulais me parler ?
         Laura relève la tête vers MacLeod qui vient d'entrer et plisse les yeux sous la faible lueur venue du couloir qui lui semble éblouissante comparée à la totale obscurité de son cachot. Kyser ne s'est pas encore "occupé" d'elle, mais il a laissé des ordres stricts pour qu'elle soit préparée à le recevoir, c'est à dire aussi affaiblie que possible physiquement comme psychologiquement. Toutefois la femme qu'elle est devenue après des décennies de désert et de guérilla n'a plus grand chose à voir avec la frêle historienne qu'elle était auparavant, et elle résiste à leur traitement de choc avec une surprenante âpreté. Malgré sa condition et un violent tremblement qu'elle ne peut réprimer, sa voix est forte et claire quand elle parle.
         - Tiens, le vaillant MacLeod... Je suis surprise que tu aies eu le courage de venir me voir alors que ton maître Kyser a sans doute donné des consignes pour qu'on me laisse seule.
         - Tu ne sauras jamais à quel point je suis désolé pour toi, Laura. Il ne fallait pas venir me chercher, je n'ai aucune idée de la façon dont tu m'as trouvée, mais c'était une grave erreur. C'est toi qui t'es mise dans cette situation, et je ne peux rien faire pour t'aider.
         - Oh, non, bien sûr, je comprends tout à fait. Tes "amis" ne veulent pas que tu bouges, alors tu vas me laisser torturer pendant mille ans si ça se trouve. Et ce n'est même pas cela le pire ! C'est que tu es l'un des très rares Immortels en qui j'avais confiance, que je considérais comme un ami et...
         - Tais-toi ! Si tu savais... Chaque supplice qui t’est infligé ici, je le ressens au quintuple, chaque minute que tu passes dans ce cachot, je la revivrai cent fois. Mais ne peux pas, tu m'entends, je ne PEUX PAS faire autrement.
         Perdant son contrôle, Laura s'effondre en larmes.
         - Mais pourquoi enfin ! Pourquoi m'as-tu trahie à ce point ?!
         - Kyser est fou à lier, mais il a les moyens de sa folie. Il n'aime rien tant que torturer les nôtres, et comme il sait qu'il ne peut pas vraiment nous blesser dans notre chair à long terme, il se délecte de la torture morale qui, elle, est indélébile. Je suis une cible de choix pour lui, et s'en prendre à mes amis n'est ni drôle ni original, alors il a trouvé plus vicieux encore. Si je ne lui obéis pas, si je l'affronte, si je te libère, bref, si je ne suis pas sa volonté à la lettre, des MILLIONS de gens en paieront le prix. Il a volé une ogive nucléaire chinoise, l'a cachée quelque part dans une grande ville, j'ignore laquelle. Cette bombe EST armée, la seule chose qui l'empêche de sauter est le réajustement régulier de sa minuterie, que seul Kyser en personne peut faire. Comme tu vois Laura, j'ai beau tenir beaucoup à toi, je ne vais pas risquer de provoquer une telle catastrophe. Et je sais que Kyser est assez malade pour que cela ne soit pas du bluff.
         Laura ne pleure plus mais elle baisse la tête et ferme les yeux.
         - Il n'y a plus aucun espoir alors.
         - Je ne vois hélas pas comment. Et le pire est que je sais très bien que de toute façon, un jour ou l'autre, Kyser ne résistera pas à la tentation, pour le simple plaisir de la destruction. Même lui ne trouve pas si facilement des bombes de cette puissance, il doit probablement s'en servir pour plusieurs chantages à la fois. Ou alors il la fera sauter pour l'exemple, ou parce qu’il s'ennuie ou qu'il est de mauvaise humeur... Je sais tout cela, et j'en suis malade de ne rien pouvoir faire. Pourtant je donnerais ma vie pour éviter cela...
         Laura relève soudain les yeux.
         - Alors j'ai une idée. Nous y perdrons la tête tous les deux, mais nous pouvons peut-être arrêter Kyser une bonne fois pour toute. Ecoute-moi bien...







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         - Nom de Dieu !
         Samuel bondit de sa chaise si vite qu'il en arrache la prise de son casque. Il se jette dans le couloir en bousculant deux autres Guetteurs au passage et se rue dans la salle de réunion où le Haut Conseil est encore en train de discuter de ce qu'il convient de faire de Laura Desrieux. Le doyen se lève, indigné.
         - Mais que...
         - Désolé d'interrompre, mais c'est d'une urgence absolue, écoutez cela, c'est le flux audio de Duncan MacLeod en direct "live", il est seul sur les remparts de la forteresse de Kyser.
         Il se précipite sur la console générale de la salle de conférence et lance quelques commandes hâtives avant de brancher les haut-parleurs. La voix grave et déterminée du Highlander s'élève et tous font silence pour l'écouter.
         "...que vous m'entendez. Je répète, Guetteurs, c'est spécifiquement à vous que je parle. Il parait que vous enregistrez tout, sauf l'essentiel apparemment. J'ai appris de la bouche même de Morton Kyser - et j'ai toutes les raisons de le croire - qu'il dispose d'une bombe atomique prête à exploser à tout moment au cœur d'une grande ville. Vous êtes les seuls à pouvoir l'arrêter, au nom de la vie de millions de personnes, vous devez agir, vous êtes les seuls à pouvoir le faire. Je sais que vous voudrez m'éliminer pour savoir que vous existez toujours, mais je compte sur vous pour intervenir et arrêter ce malade pendant qu'il est temps.
         L'Ecossais se tait alors et son traceur indique qu'il descend rejoindre les autres dans le château. Un des superviseurs prend la parole.
         - Desrieux a failli à sa parole, je savais que ce jour viendrait tôt ou tard, maintenant nous avons au moins deux têtes à prendre pour préserver le secret, et celle de MacLeod va avoir la plus haute influence sur le Gathering. Je vous avais dit qu'il fallait éliminer Laura à l'époque, mais personne ne m'a écouté.
         Samuel s'avance d'un pas et toussote pour attirer l'attention. Théoriquement, son grade ne l’autorise pas à parler devant le Conseil sans y avoir été invité, mais en l'occurrence il lui semble bien que ses supérieurs omettent un point important.
         - Euh, pardonnez-moi mesdames et messieurs, mais que fait-on pour la bombe ?
         - La bombe ? Rien. Nous sommes au courant depuis des mois.
         - Mais il faut la désamorcer, au moins avertir la police, quelque chose...
         - Non. Business d'Immortel, pas nos affaires. Nous n'avons aucun bureau à moins de deux cents kilomètres de son emplacement, et vu le luxe de précautions dont Kyser s'entoure, ce serait trop risqué de lui laisser entendre que quelqu'un d'extérieur à son organisation a eu vent de l'affaire.
         - Mais...
         - Cette conversation est terminée, merci pour votre réaction rapide, mais maintenant je vous prie de retourner à votre table d'écoute et de ne plus vous mêler des décisions du Conseil.
         - Mais...
         - Ce sera tout, au revoir jeune homme.

         Samuel quitte la pièce en grommelant et va rejoindre ses collègues. Il a du mal à se concentrer sur sa tâche, d'autant que MacLeod qu'il supervise est redescendu dans les étages inférieurs du château où les émetteurs passent mal. Dès que son remplaçant arrive en poste, le Guetteur se rend aux archives et s'installe devant une console. De là, il mène une recherche minutieuse sur ce que la base de données de Morton Kyser contient à propos de la bombe. Considérant ces informations comme de simples entrées de chroniques, le responsable n'a pas jugé utile de les classifier ou d'en restreindre d'accès, aussi Samuel fait-il une copie de tout ce dossier. Il remonte ensuite vers le bureau du dispacheur et s'enquiert de la situation actuelle de l'équipe d'intervention en route vers l'Estonie ; puis il réunit discrètement quelques-un des Guetteurs qu'il connaît le mieux en salle de pause dont il verrouille la porte. Avant de prendre la parole, il leur montre les résultats objectifs de son étude.
         - J'ai contacté la police, mais ils ne m'ont pas pris au sérieux. Ils ne veulent pas croire un indicateur anonyme sur un engin aussi puissant et exceptionnel qu'une bombe atomique. Bon sang, ça leur semblera moins un canular quand toute l'agglomération lyonnaise sera rayée de la carte.
         - Et les superviseurs ne veulent rien faire ?!
         - Ils ont perdu les pédales et le sens commun. Ils disent que nous devons raisonner comme les Immortels que nous surveillons dans le temps, à long terme et non pas en s'occupant d'événements ponctuels. Un peu comme les clergés réguliers et séculiers, tout ce baratin, mais il n'en est pas question ! Toute ma famille est là-bas, et quoi qu'il en soit, nous ne pouvons pas laisser faire cela. Vous êtes-vous déjà posé la question de savoir pourquoi nous existons ? Fondamentalement, c'est pour protéger l'humanité du danger potentiel que représentera le dernier Immortel en recevant le prix. Par extension, n'est-il pas aussi de notre devoir d'intervenir dans ces cas-là ? D'autant que je ne parle même pas d'éliminer l'un d'entre eux ou quoi que ce soit, juste de désamorcer une saleté de bombe en faisant passer cela pour une défaillance technique. Nous ne devons pas en parler aux superviseurs, mais nous débrouiller entre nous pour résoudre cette situation de crise. Quelqu'un a une suggestion ?
         - On appelle tous la police. Avec de nombreuses ces sources, ils essaieront peut-être au moins de vérifier.
         - Non, je n'y crois pas. De plus d'après ce que Kyser laisse entendre sa bombe est très spéciale, un démineur ordinaire risquerait de la faire sauter en voulant la désamorcer. Jean-Marc, penses-tu que Marie pourrait...
         Le Guetteur interpellé pâlit. Sa femme est ingénieur au laboratoire national de physique nucléaire, une spécialiste en la matière.
         - Elle est physicienne, pas démineuse. Et puis comment pourrais-je justifier que j'ai entendu parler d'une bombe comme ça, elle me croit agent d'assurance !
         - Si ce n'est que ça, on va trouver quelque chose, et au pire une telle urgence vaut bien de la mettre dans la confidence. Daniel, j'ai besoin de pouvoir parler à MacLeod. Je ne pourrai pas empêcher le conseil de le décapiter après, mais il peut encore nous aider. Tu crois que tu peux convertir ses microphones en haut-parleurs ?
         - Théoriquement, oui, mais ça va vider leurs batteries à grande vitesse et - même en se servant simultanément de tous ses capteurs - le volume sera ridicule.
         - Alors espérons qu'il a de bonnes oreilles. Ecoutez les gars, l'heure est grave. Des millions de gens qui ne se doutent de rien comptent sur nous pour continuer à vivre, et on ne peut même pas en parler à nos supérieurs qui ont semble-t-il perdu tout contact avec la réalité. Si nous réussissons, personne n'en saura rien ; sinon, vous connaissez les conséquences. Mais c'est valable pour l'ensemble de notre activité de Guetteurs. Allez, au boulot, et pas un mot à quiconque qui ne soit indispensable à l'opération.







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         Nathalia frappe à la porte et entre dans le bureau où Kyser est en grande discussion avec le Highlander.
         - Pardon maître, mais une voiture est en approche, elle correspond à celle que nous avions repérée l'autre jour.
         - Arrêtez-la cette fois, et ramenez-moi les corps de ses occupants.
         - Bien monsieur.
         Duncan tend le cou pour tenter de voir l'image du véhicule qui s'affiche sur le moniteur de Kyser mais l'albinos le fait pivoter hors de sa vue. Se fendant d'un sourire carnassier, il renvoie MacLeod dans ses quartiers et descend comme tous les jours depuis quelques temps s'occuper de sa prisonnière. Une fois de plus, en ce soir de mai dans le château sinistre, pas un Immortel ne peut dormir tant la nuit est déchirée d'effroyables cris d'agonie montant des cachots, qui font même trembler les guerriers centenaires. Et le Highlander a beau enfouir sa tête sous les oreillers, ils résonnent dans son crâne avec toute la violence inhumaine que recherche justement Morton Kyser.

         Le lendemain matin, Nathalia informe Morton Kyser que les corps récupérés dans la Jaguar capturée en plein vol on été rapatriés selon ses ordres, et elle pose deux épées sur la table. Kyser lève un sourcil étonné et les examine, tout en jetant un œil à MacLeod qui a blêmi en reconnaissant la rapière et la courte épée médiévale à garde bleue.
         - Mon cher Duncan, vous avez des amis exceptionnellement têtus. Si vous n'avez pas su les convaincre de ne pas venir, c'est sans doute ma faute, je n'ai pas été assez clair avec vous. Nous allons remédier à cela de ce pas. Nathalia, Karl, Arkham et Vlad, amenez-moi nos nouveaux prisonniers.







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         Intriguée, Marie suit son époux et trois de ses collègues à travers le dédale de bureaux et de couloirs d'un grand immeuble du cœur de Lyon. Depuis que son mari l'a tirée du lit en pleine nuit pour la faire monter en voiture avant de filer vers le sud, il n'a pas voulu répondre à ses questions de plus en plus angoissées. Lui-même semble très nerveux et ne cesse de s'excuser de l'avoir amenée ici. Leur petit groupe s'arrête enfin devant un bureau anonyme fermé à clé. Samuel enfonce la porte d'un coup d'épaule tandis que ses collègues font le guet. Marie est stupéfaite, mais elle se retient de parler, se doutant bien qu'ils n'agissent pas sans raison. La pièce est banale, au point que les Guetteurs se demandent si leurs capteurs sont assez précis pour leur indiquer que c'est exactement là que Vlad et Karl ont déposé l'engin. Samuel crochète la serrure de l'armoire métallique du fond du bureau et recule soudain en portant la main à sa bouche et en laissant échapper un petit cri. Les autres font silence et reculent, sauf Marie qui au contraire s'avance d'un pas.
         - Je comprends. Ne me dites pas comment de simples assureurs parisiens ont eu connaissance de cet engin à Lyon, ni qui l'a placé là ou pourquoi les officiels ne sont pas sur l'affaire. Je veux juste savoir une chose. Avez-vous la moindre idée de la puissance de ce monstre ?
         Les Guetteurs baissent la tête. Jean-Marc prend la main de sa femme.
         - Tu auras toutes les réponses plus tard, je te promets. Tu peux... arrêter cette chose ?
         - Je... je ne sais pas. Théoriquement, oui ; mais je suis dans le civil, moi, et ceci est un engin militaire. Si je me trompe, je risque de le faire sauter. Il faut quelqu'un de plus compétent, je ne peux pas prendre un tel risque !
         - Il y a tellement eu de fausses alertes ces dernières années que nous n'avons pas réussi à faire se déplacer un expert du Bomb Squad. Et pour faire évacuer six millions de personnes sans autorité et sans preuve...
         La sonnerie d'un communicateur vient l'interrompre. Samuel prend l'appel, écoute quelques instants d'un air grave et raccroche.
         - Mauvaise nouvelle. D'après nos analystes, le risque à propos de la bombe augmente exponentiellement en ce moment même. Il se passe des choses pas nettes chez Kyser. Il faut agir, et vite. Si MacLeod se rebelle contre ses exigences... Le central estime qu'il y a 83% de chance que la minuterie ne soit pas repoussée à temps cette fois-ci, et le risque augmente.







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         Les expressions sont aussi variées que les visages dans la grande salle du château. Ligotés chacun à un pilier, Richie hésite entre le défi et l'abattement tandis qu'Amanda est curieusement amorphe depuis sa sortie de la cellule. Kyser, arborant son sourire sadique, tripote un boîtier noir muni d'une antenne. Ses quelques élèves présents observent, ne sachant trop à quoi s'attendre. Et Duncan... Pâle, crispé, une profonde détresse dans les yeux, son katana tremble dans sa main glacée. L'albinos se délecte de sa trouvaille : si le Highlander refuse de prendre le quickening d'Amanda, la bombe saute ! Simple, plus diabolique encore que simplement le garder ici en le dissuadant de se battre... Un plan ignoble comme Kyser les aime.
         - Allons, cher Duncan... Le temps passe. Il vous reste sept minutes pour me donner une bonne raison de repousser la minuterie.







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         - Marie, il faut faire quelque chose !
         - Bon, commençons par ôter le capot. Attention, il n'est pas vissé mais ce capteur de mouvement peut tout faire sauter, alors faisons tout doucement. Go !
         Aidée de son mari et de Samuel, la physicienne fait basculer la lourde plaque métallique qui recouvre la bombe et étudie attentivement l'engin. Dans sa structure générale, il lui est assez familier. Chambre de confinement, panneau réflecteur, en gros un mini-réacteur de centrale à l'ancienne. Ce qui diffère, c'est l'écran qui surmonte le tout, relié à l'alimentation du champ de force qui empêche l'amorce de polonium de bombarder le détonateur de rayons alpha, ce qui provoquerait la fission de la masse critique de matière nucléaire et – accessoirement – l'anéantissement total de la ville et de ses alentours. Luisant de façon sinistre, les chiffres du compteur régressent régulièrement, et à moins que la minuterie ne soit interrompue ou au moins repoussée dans les six minutes qui viennent...







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         - Je ne peux pas, je ne peux pas !
         Duncan a le bras levé devant la gorge offerte d'Amanda qui garde un étrange regard vague et détaché et n’ouvre pas la bouche.
         - Kyser vous êtes un monstre.
         - Oui je sais, on me l'a toujours dit, on m'a même souvent brûlé ou écartelé pour ça. Cinq minutes.







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         Samuel rempoche son téléphone.
         - Les analystes et les psys s'inquiètent de plus en plus. Ils doutent que MacLeod accepte le chantage de Kyser, ça risque de mal tourner. Où en êtes-vous ?
         Marie se gratte la tête et repose le dossier que vient de lui confier son mari.
         - Je manque cruellement de temps. Mon premier réflexe aurait été de retirer le combustible du caisson avant que la fission commence, malgré la terrible dose de radiations que nous libérerions, mais d'après ce transcript de conversation c'est justement ce qu'il faut éviter car la chambre est piégée.
         - Alors il faut trouver une autre solution, et vite. Il nous reste quatre minutes.







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         Le Highlander tremble de façon de plus en plus incontrôlée. Sa vue se brouille et son bras faiblit à mesure qu'il réalise l'atroce vérité. Quoi qu'il fasse, quoi qu'il dise, il ne peut pas arrêter Kyser. Tous les scenarii tournent à la catastrophe et il n'y a aucune raison pour que cela cesse. Même s'il accepte de tuer Amanda, rien n'empêchera ensuite l'albinos de le pousser à prendre la tête de Richie, puis des autres... Tout ceci doit finir. L'idée lui vient, il la prépare d'un simple mouvement des doigts qui passe inaperçu de tous. Le changement ? Simple et discret. La lame de l'Ecossais s'est inversée et pointe maintenant vers son propre cou. Kyser n'y prend pas garde, tout concentré qu'il est sur sa télécommande. Son sourire s'accentue encore lorsqu'il annonce le temps restant.
         - Trois minutes.







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         - Il n'y aurait pas juste un fil à couper, un truc comme ça ?
         - Qu’est-ce que tu crois ? On n’est pas dans une fiction !
         Les Guetteurs font cercle autour de Marie et de la bombe. La physicienne est au comble de la nervosité et son front est couvert de sueur, mais ses gestes restent parfaitement précis tandis qu'elle démonte patiemment les parois de l'engin pour atteindre le combustible sans passer par la chambre de détonation piégée. Elle utilise les gants et les outils que son mari a apportés tandis qu'il vérifie sur ses appareils le niveau de radiation dont il lit les résultats au fur et à mesure. Penché au dessus de son épaule, Samuel énonce d'une voix de plus en plus tendue les chiffres du compteur.
         - Deux minutes.







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         - Pourquoi moi, Kyser, que vous ai-je fait ? Nous ne nous sommes même jamais affrontés ! Si vous voulez vous battre, je suis votre homme, mais cette mascarade ne rime à rien. Laissez partir mes amis et je vous offre ma tête.
         L'Immortel albinos rejette la tête en arrière et part d'un long rire sinistre.
         - Mon cher Duncan, si j'avais vraiment voulu votre célèbre tête, il y a longtemps que nous aurions réglé cela lame contre lame. Vous êtes encore un peu jeune, il faut croire, pour vous rendre compte que l'on se lasse de couper des cous après quelques siècles et des centaines de quickenings. Il faut alors trouver d'autres occupations.
         - Et c'est la raison ultime de toute cette mise en scène ? Vous me torturez ainsi et risquez la vie de millions de mortels... pour vous distraire ?! Je ne peux pas y croire, vous bluffez.
         - Tiens donc, vous êtes prêt à parier là-dessus ? Remarquez, c'est facile à vérifier, nous seront fixés très bientôt. Dans une minute.







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         - Ce n'est pas pour vous mettre la pression, mais il n'y a plus que deux chiffres sur le compteur. Tu en es où, Marie ?
         - J'ai fini de retirer la coque extérieure, cela va considérablement affaiblir la puissance de l'explosion.
         Samuel pousse un léger soupir de soulagement, que Marie interrompt bien vite sans même lever les yeux de sa tâche.
         - C'est à dire que tout sera annihilé dans un diamètre de deux kilomètres au lieu de dix.
         Les Guetteurs déglutissent péniblement tandis qu'un long frisson leur remonte le long de la colonne vertébrale. En soupirant, Marie repose son outil et tourne un regard grave vers eux.
         - C'est tout ce que je peux faire. Même avec mon labo complet et toute l'équipe je ne sais pas pénétrer plus loin si rapidement sans faire sauter le cœur... C'est une bombe, pas une centrale ! Au moins nous aurons essayé. Sans doute avec un peu de temps en plus...
         Elle se blottit dans les bras de son mari tandis que les autres se serrent gravement la main en fixant le compteur qui régresse inexorablement. Samuel empoigne son communicateur. Il ne leur reste que trente secondes.







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         Duncan est littéralement déchiré. De trois têtes il doit en choisir une. Celle d'Amanda, la sienne, ou tenter celle de Kyser ? Une petite voix se fait alors entendre dans le silence pour le moins tendu de la pièce, mais si faible et si ténue que c'est à peine si elle parvient aux oreilles du Highlander. En fait, elle semble provenir de sa manche, de son col, de la garde de son épée, bref de sa propre personne, étrange sensation. Malgré les circonstances, malgré la peur et le doute, il parvient à se focaliser sur cette voix mystérieuse.
         "MacLeod, MacLeod ! Ce sont les Guetteurs, nous sommes en train de désamorcer la bombe, mais il nous faut plus de temps, gagnez-en par tous les moyens !"
         Il prend une profonde inspiration et se tourne vers Kyser.
         - OK, ça va, vous avez gagné. Repoussez la minuterie et je fais ce que vous avez demandé.
         - C'est moi qui édicte les règles et qui donne les délais, pas le contraire. A ce propos, il reste quinze secondes. Quatorze. Treize. Douze.
         La respiration de Duncan se fait courte, sa gorge est desséchée. Il n'a plus le choix et doit tuer Amanda pour gagner du temps, au moins cela devrait permettre aux Guetteur de supprimer la menace. Alors il pourra agir, alors il pourra se venger. Et la mort d'Amanda va se payer très, très cher. Il lève le bras, ajuste la lame. Neuf. Huit. Sept.







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         Marie et les hommes sont prostrés, ils attendent leur fin qui approche inexorablement pour eux, toute la ville et une bonne partie de sa banlieue, sans parler de la vague de radiations. Six. Cinq. Quatre.
         Soudain la physicienne bondit sur le compteur Geiger puis sur le communicateur que Samuel a laissé branché sur la fréquence de MacLeod.







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         - Il serait temps de vous dépêcher, très cher. Il ne reste que trois secondes.
         L'albinos doit se retenir pour ne pas éclater d'autosatisfaction. MacLeod ne peut s'offrir le luxe d'hésiter plus longuement en refusant le geste souple souvent répété - mais jamais contre une amie sans défense... L'air siffle sur la lame, Amanda ne bronche pas. Duncan ferme les yeux, il ne peut pas voir cela. Deux secondes. Le temps est comme suspendu à cet instant d'éternité. Bientôt treize siècles d'existence mouvementée vont prendre fin de la façon la plus absurde qui soit. Puis soudain, le Highlander se met à crier de toute la force de ses poumons tandis que le katana poursuit son œuvre meurtrière. Une seconde. Un tintement de métal, un choc sourd, puis plus rien, le silence est retombé provisoirement. Zéro. Morton Kyser n'a pas appuyé sur son bouton. Richie ne bouge pas, mais Duncan ne peut retenir ses larmes tandis que la tête d'Amanda roule jusqu'aux pieds de l'albinos qui éclate de rire.







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         Samuel ouvre un œil incrédule, puis un deuxième. Sur l'écran de la bombe, un quadruple "zéro" lumineux clignote en continu. Marie est déjà debout, elle remballe les outils et s'éponge le front de la manche. Son époux se lève à son tour.
         - Comment as-tu su que c'était une fausse bombe ?
         - En ôtant la seconde coque, le taux de radiation indiqué par le compteur a à peine augmenté. Sur le coup je ne me suis pas inquiétée, c'est normal pour une centrale, mais je me suis rappelé juste à l'instant que c'était le signe que le combustible n'est que faiblement enrichi. C'est de la matière à réacteur, pas suffisamment pure pour une bombe. Elle ne peut pas atteindre la masse critique pour fissionner.
         Les Guetteurs se regardent, interloqués. Il est peu probable que qui que se soit sur terre ait osé livrer au terrible Morton Kyser une fausse bombe atomique, et ils ont de nombreux enregistrements de conversation à ce propos où rien ne leur donne d'indice d'une telle falsification !
         - J'espère que MacLeod a eu le temps d'entendre ton avertissement. Bon sang, qu'est ce que cela veut dire, quel est l'intérêt de Kyser de poser une fausse bombe dont absolument personne n'est au courant ? Ce n'est pas pour provoquer une panique publique, il n'a pas besoin de ça pour faire pression sur MacLeod... Si c'est un leurre à qui était-il destiné, si ce n'est... à nous ?!
         Au bord de la panique, Samuel se jette sur un localisateur. Quatre Immortels sont à prox... sont dans la pièce. Ils viennent d'enfoncer la porte et tiennent les Guetteurs et Marie en joue.







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         Le temps est comme immobile dans la grande salle du château. Aucun Immortel n'a bougé depuis plusieurs longues dizaines de secondes. Tous attendent l'événement que rien ne saurait contrarier mais qui pourtant ne vient pas, aussi improbable que cela soit-il ; il n'y a pas de quickening. Le sourire a disparu de la bouche de Kyser tout comme les larmes des yeux de MacLeod. Les regards intrigués vont du corps toujours attaché au pilier à la tête macabre au sol. L'albinos dégaine sa longue épée et tranche les liens qui retenaient le cadavre, le laissant s'affaisser, puis il se retourne vers l’Ecossais. Par pur réflexe, celui-ci dévie la lame pointée vers lui, et d’un coup le combat s’engage. Il n’est plus question d’otages ou de chantage, juste deux Immortels très puissants en plein combat. Duncan profite néanmoins de passer près de lui pour couper les liens de Richie. Le jeune homme recule vers le fond de la salle où les hommes de Kyser ne songent pas à le reprendre, tout concentrés qu’ils sont sur ce duel au sommet. Toutefois, assez rapidement, les gestes des opposants ralentissent, ils titubent, toussent, puis s’écroulent de concert avec tous les Immortels présents tandis qu’un gaz incolore et inodore envahit la pièce et les réconcilie en les faisant tous sombrer dans l'inconscience.







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         Duncan ouvre les yeux avec peine. Il ne souffre pas mais a bien du mal à se situer. Les derniers souvenirs qui lui reviennent ne correspondent en rien à la chambre décorée dans le style méditerranéen. Par la fenêtre entrouverte, le soleil brille dans un ciel d'un bleu intense et une légère brise au parfum salé fait doucement battre les rideaux blancs. L'Immortel se redresse et regarde autour de lui. Il n'est pas seul, deux autres lits meublent la pièce, et dans chacun une silhouette endormie. Pas de liens, pas de barreaux aux fenêtres, pas de caméra en vue... Il est donc libre, mais où ? Il se lève précautionneusement, la tête lui tourne un instant mais rien d'incapacitant. D'un doigt, il soulève le haut du drap du lit voisin ; c'est Richie, qui dort paisiblement. Le Highlander soupire de soulagement de le savoir en sécurité, si tant est que ce lieu inconnu soit aussi sûr qu'il paraît. Il s'approche alors du lit voisin et manque de s'étouffer, recule d'un pas en chancelant, se rattrape aux montants du lit mais tombe quand même, avant de se relever aussitôt. Amanda, profondément endormie mais vivante, sa jolie tête bien en place sur ses délicates épaules. MacLeod déglutit avec peine. Un nouveau buzz s'ajoute à ceux de ses amis miraculés, très fort, avec une "texture" indéfinissable qui fait qu'il ne peut appartenir qu'à une seule personne. Duncan se retourne et il est bien là, nonchalant et déhanché dans l'embrasure de la porte. Le "Really Old Guy", Methos.
         - Il faut que l'on parle, dit-il en coréen, langue que seuls lui et l'Ecossais maîtrisent ici.
         Ils se rendent ensemble dans un bureau qui fait également office de bibliothèque et dont Methos ferme la porte à clé. Duncan s'assied et attend que son aîné veuille bien lui exposer les faits, mais celui-ci prend le temps de décapsuler deux bières et de s'installer à son tour avant de commencer.
         - Tu as fichu une sacrée pagaille, mon vieux. Oui je sais, tu n'y es pour rien mais admets que tu as l'art d'attirer les problèmes. Jamais tu ne te reposes ? Au moins tant que tu es ici tu devrais être tranquille.
         - "Ici" ?
         - Une maison de vacances, un coin tranquille au nord de la Grèce. Ce terrain m'appartient depuis... Oh oui, au moins. Peut-être même plus longtemps encore. Et quand je dis "tranquille", c'est pour de bon. Je n'ai pas de téléphone mais au contraire un brouilleur et un générateur de champ assez avancé, capable de bloquer toute transmission entrante... ou sortante, si tu vois ce que je veux dire.
         - Les Guetteurs, n'est-ce pas. Tu es retourné avec eux ? C'est eux qui sont intervenus ? Et...
         - Oh la, ne t'emballe pas, chaque chose en son temps. Il y a des "oui", des "non", des "peut-être" et même des "ça ne te regarde pas". Mais patience...
         - OK, juste une question pour commencer alors. Amanda ?
         Methos sourit doucement, il sirote sa bière en fixant son ami dans les yeux.
         - C'était un sacré pari et un gros coup de chance, avec deux doigts d'audace et une bonne dose de technologie. Je ne suis pas sûr que tu veuilles entendre les détails de la recette – et je ne suis pas sûr de vouloir te les donner.
         - Tu me le dois bien, non ?
         - En l'occurrence c'est plutôt toi qui est mon débiteur. Mais bon, d'accord, en résumé, ce que tu as décapité était un clone d'Amanda.
         - Un clone ?!
         Le très vieil homme fronce les sourcils et plisse les lèvres devant l'expression ahurie de Duncan. D'un autre côté, comment ne pas lui expliquer un minimum ? Il continue à contre-cœur.
         - Une section relativement récente des Guetteurs mène des études médicales et scientifiques sur nous. Ce clone faisait partie de leurs tests. Les cellules, les chromosomes, tout en nous correspond à un humain parfaitement normal et notre quickening ne semble pas être génétique car les clones parfaits sont de simples humains mortels ; les chercheurs n'ont pas encore trouvé d'explication. Toujours est-il que lorsque j'ai vu qu'Amanda et Richie partaient aussi pour la forteresse de Kyser, je suis passé au labo et leur ai "emprunté" Amanda-8, au cas où. Si tout s'était bien passé, j'aurais pu la leur ramener intacte...
         - Mais pourquoi Amanda ? A moins qu’ils n’aient en stock des clones de tous les Immortels ? Et je suis désolé de l’avoir...
         - Tu n'as pas à t'excuser, Duncan. J'ai suivi toute l'histoire. Je sais quel aurait été mon choix dans ce cas, mais te connaissant je sais aussi que tu ne pouvais pas agir autrement. Ce clone n'était qu'une coquille vide, un corps né adulte, son cerveau était vide de pensées, de paroles, de souvenirs et il n'a pas eu le temps de souffrir en perdant la tête. Les chercheurs ont plusieurs sujets, c'est vrai, mais ils dépendent du hasard avant tout, de ce qu’ils trouvent comme cellules à exploiter. Tu te souviens quand Amanda a perdu temporairement un bout d'oreille au cours d'un duel, l'an passé ? C'est ce morceau qui a été récupéré et utilisé comme matière première.
         - Et quels sont leurs autres cobayes ?
         - Je ne peux pas te dire, notamment parce que je ne sais pas exactement. C'est un projet fantastiquement secret, même moi je n'ai pas accès à tout. Je sais juste qu'ils ont plusieurs exemplaires plus ou moins réussis de Xavier Saint-Cloud, le premier cobaye, utilisé depuis la fin des années 1990.
         - Je vois. Sa main ?
         - Exactement. Comme je t'ai dit, c'était un monstrueux coup de chance pour Amanda. Toujours est-il que nous avons fait dans la nuit la substitution de la vraie par son clone, entre le moment où les hommes de Kyser l'ont enfermée et celui où ils sont venus la chercher. Richie nous a vu, il était au courant mais toi tu ne devais rien savoir pour que cela reste réaliste le temps que l’on s’organise et que l’on prenne nos positions pour vous tirer de là. Heureusement aussi que Kyser ne t'ai pas demandé de t'en prendre à Richie, mais Amanda était un choix plus "logique" pour lui. Il pensait te toucher encore plus en t’obligeant à tuer ta petite amie plutôt que ton élève. A force de ne s’entourer que d’Immortels, c’est l’albinos lui-même qui nous a donné les moyens de cette substitution, en noyant l’absence de buzz du clone parmi tous les autres.
         Duncan reste pensif quelques minutes, le temps d’intégrer tout cela. Il relève soudain la tête.
         - Et Laura, Laura Desrieux, Où est-elle ?
         - Elle est aussi ici, à l’abri.
         - Je veux la voir, lui parler.
         - Ce n’est pas un très bon moment, Mac.
         - Je t’en prie Methos. C’est à cause de moi qu’elle s’est retrouvée là-bas.
         Agissant une fois de plus à l’inverse de ce qu’il aurait préféré, l’Ancien guide MacLeod jusqu’à une autre chambre un peu isolée. Il déverrouille la porte et s’efface pour laisser entrer son ami, mais n’entre pas lui-même. Duncan ne tarde pas à ressortir. Il est livide, le cœur au bord des lèvres. Methos grimace.
         - Je t’ai prévenu. Physiquement, elle finira bien par guérir, mais je ne peux rien garantir pour sa santé mentale. Et le pire c’est qu’elle vivait encore quand on l’a trouvée. L’achever à été mon premier réflexe, mais... dire que je croyais Kronos cruel... Difficile de croire que Kyser n’a eu besoin que de quelques nuits pour faire... ça.
         - Elle lui a parlé des Guetteurs ?
         - Impossible de le savoir, nous n’avons aucun enregistrement car les cachots étaient trop profonds pour que les micros de Kyser puissent émettre. Lui n’a rien dit ensuite qui le laisse croire, la seule solution sera de le demander à Laura... quand elle pourra de nouveau parler.
         Les deux Immortels regagnent le bureau avant de continuer leur conversation. Duncan a le visage tendu, son regard résolu de justicier. Il saisit son ami par les épaules et le force à le regarder en face.
         - Est-ce que Morton Kyser est mort ?
         Methos soutient le regard un moment, puis il baisse les yeux.
         - Non. Ce n’est pourtant pas l’envie de l’abattre qui m’a manqué, mais je ne pouvais pas. Et c’est de ta faute. Avant de te rencontrer, au siècle dernier, je n’aurais pas hésité. Encore que... je ne serais même pas venu te chercher, alors la question ne se serait pas posée. Je me suis fait une promesse, Mac. Ne pas utiliser les Guetteurs pour prendre un quickening. Pour me protéger, me cacher, me renseigner, oui. Mais pas pour tuer. Quoi que Kyser ait fait, nous nous sommes donné beaucoup de mal pour démêler cette situation en tuant le moins possible, et nous avons réussi dans une bonne partie. Pendant le siècle dernier, les incidents avec les Chasseurs notamment ont fait beaucoup de dégâts, nous devons revenir au strict principe d’ingérence. Les seuls qui y sont restés sont quatre de ses plus jeunes élèves venus intercepter des Guetteurs qui sont tombés dans le panneau pour la bombe et tentaient de la désamorcer. Une deuxième équipe les a pris à revers, et cette fois il n'y avait pas d'autre alternative que les décapiter.
         - Parce que la bombe était fausse ?
         - Oui. Ils te l’ont dit, mais trop tard. Kyser est fou à lier, mais il n’avait quand même pas d’intérêt à raser une ville. Non que cela le dérangerait plus que cela s’il en avait besoin d’ailleurs, mais en l’occurrence cela devait lui sembler encore plus ironique que te faire décapiter Amanda sur ses simples paroles.
         - Je ne comprends pas, pourquoi dans ce cas s'embêter à placer quand même une fausse bombe ?
         - Des négligences de la part des Guetteurs au cours des dernières années l'ont amené à soupçonner qu'il était sur écoute. Il aime les plans à tirroirs et a profité de l'occasion pour vérifier ses doutes, sachant qu'une telle menace ne passerait pas sans tentative d'intervention. Le Haut Conseil des Guetteurs avait deviné cela, mais malgré ses ordres stricts quelques "héros" ont voulu sauver le monde. On est passé à deux doigts de la catastrophe, heureusement que j'ai personnellement envoyé des hommes pour les couvrir discrètement.
         - Je suppose qu'ils ont voulu bien faire...
         - Ils avaient des ordres... Mais c'est une notion qui se perd. Ils seront jugés en conséquence, on verra, ce ne sont plus mes affaires et certainement pas les tiennes. D'ailleurs à ce propos, ce n'était pas une très bonne idée d'interpeller les Guetteurs comme tu l'as fait. Bonnes intentions, je sais, mais cela n'a pas été évident de compenser ça.
         - Et comment t'y es tu pris ?
         - N'espère quand même pas que je vais te livrer tous mes petits secrets, mais saches simplement que tu es clair à présent, ils ne te traqueront pas. La seule condition, c'est de ne jamais, jamais dire à qui que ce soit qu'ils existent toujours. Ils le sauront immédiatement et te supprimeront aussitôt ainsi que celui ou celle à qui tu auras parlé. Même Richie et Amanda ne savent pas, je leur ai monté une histoire de CIA et d'agents secrets ; qu'ils l'aient gobée ou pas, l'important est qu'ils ne posent pas de question.
         Duncan s'apprête à répliquer mais Methos lui lance un regard impérieux l'invitant au silence. Une silhouette féline apparaît dans la porte et avance dans le bureau avant de tomber dans les bras de l’Ecossais qui s'est levé à son approche.
         - Amanda !




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