Cette nouvelle est un crossover entre Highlander, Star Trek TNG (« The Next Generation », la deuxième série de cet univers) et Quantum Leap. S’il est conseillé de connaître un peu ces contextes, le contraire ne devrait aucunement perturber la lecture. Pour plus d’info en français sur ces univers :
- Highlander : 1592.free.fr
- Star Trek TNG : www.unification-online.org
- Quantum Leap : http://perso.wanadoo.fr/cql/
Par ailleurs vous trouverez au cours du texte de cette version en ligne des liens directs vers les fiches de certains personnages ou termes.

Elle fait suite à mon autre fanfiction « On ne vit qu’éternellement », qu’il est recommandé de lire avant. A plus long terme, c’est aussi une sorte d’hommage à l’excellent roman « Ravage » de René Barjavel, ainsi qu’aux films « Mad Max ».

Les personnages que j’emprunte sont des propriétés exclusives de leurs auteurs et ayant-droits. Aucune intention de nuire, pas de rentabilité, juste pour le plaisir !

Merci a Liliane et à Poupov pour la relecture et les corrections.
N’oubliez pas le Feed-back : zarkass@gmail.com




<<<>>>



Terre, Europe continentale, un soir de lune montante au début du printemps.


     Le feu crépite doucement dans la cheminée, parfois une bûche rougeoyante s’effondre dans une gerbe d’étincelles. Confortablement installé dans un canapé, les pieds posés sur une table basse, il referme son livre en soupirant. C’est déjà la quatrième fois qu’il le termine, et le manque de nouvelles lectures lui pèse. Quel dommage que le générateur électrique n’ait pas tenu ! Il s’y attendait bien un peu, mais ne s’en est pas moins profondément senti frustré d’être privé des ordinateurs et des trésors sans fin de leurs banques de données. Les glaçons tintent lorsqu’il se sert un verre de Brandy. La glace aussi se fait rare, il va falloir retourner en chercher en montagne. Au lieu de l’effet escompté, le liquide ambré lui arrache une grimace ; encore une bouteille trop âgée...
     Une sensation bourdonnante de présence lui fait soudain lever les yeux avant même qu’un bruit de pas résonne dans les couloirs voûtés. Un homme le rejoint dans la pièce, une épée tachée de sang à la ceinture, un daim fraîchement égorgé sur l’épaule.
     - Belle bête ! s’exclame le lecteur. Comment le cuirons-nous ?
     - Pourquoi pas rôti? Ou en daube, tiens, cela fait longtemps.
     - Oui, bonne idée. Mais il n’y a plus de poivre.
     Nouveau soupir. Tant de choses s’épuisent depuis le siècle dernier ! Ce n’est pourtant pas faute d’avoir fait des réserves, mais qui aurait cru que cela durerait aussi longtemps ? L’immortalité les protège des carences alimentaires, mais ne peut rien contre l’ennui et la famine.

     Les deux hommes se dirigent en bavardant vers la cuisine lorsque la grande cloche se met à battre à toute volée. Lâchant le daim encore tiède sur les dalles du couloir, ils dégainent leurs lames et courent vers la porte principale. Plusieurs buzz leur parviennent alors qu’ils rejoignent leurs compagnons sur les remparts.
     - Quelle est la situation ?
     - Pour l’instant ça tient, mais il faudra peut-être descendre s’ils insistent. Nous n’avons pas eu le temps de réparer la grille depuis le grand assaut de l’hiver dernier.
     Plus ennuyés qu’inquiets, les Immortels contemplent du haut des remparts de leur citadelle les hordes dépenaillées qui se pressent à leurs portes. Armés de gourdins et de bâtons, les attaquants hirsutes hurlent et frappent les murailles. Cette bande-ci est désorganisée et somme toute inoffensive, mais il arrive que des chefs émergent de la multitude malsaine et augmentent la menace. Et environ une fois par génération de mortels, une attaque d’envergure se monte, plusieurs tribus s’allient pour tenter de percer les défenses des Anciens, retranchés depuis tant d’années dans leurs murs inexpugnables. Mais ils ne peuvent pratiquement rien contre la pierre et le fer et le feu et les armes des vestiges de la civilisation.
     Les Immortels ne savent plus exactement quelle est la date, mais d’après leurs estimations presque trois cents ans déjà se sont écoulés depuis... depuis la Fin. Trois siècles depuis la Grande Crise, celle qui signa la fin de l’ère technologique. Soudain privé de pétrole et de plutonium, de charbon et de gaz, l’homme s’effondra sur lui-même comme une étoile en fin de vie. Plus de carburant, plus d’électricité, et la civilisation était allée trop loin pour faire simplement machine arrière. Ce fut le chaos, immense, total, destructeur. Les rares endroits de la planète qui avaient échappé à l’industrialisation galopante ne furent pas épargnés par l’agonie des pays riches. L’âge des ténèbres était arrivé, pour le pire et le malheur.

     Longtemps après, décadents, malades et irradiés au plus haut point, des humains errent toujours sur la terre, pauvres diables en haillons, armés de gourdins rudimentaires, végétant dans un état proche de celui qui était déjà le leur, plus de quarante mille ans auparavant. Même les plus anciens Immortels, même le plus vieux de tous n’a jamais connu de période si obscure, noyée dans un tel océan d’ignorance que le simple travail du fer relève presque de la magie.
     Pourtant, ça et la, quelques îlots émergent : citadelle ou ville fortifiée préservant le savoir et les artefacts de la civilisation. Des lieux où l’on dort encore dans des draps, des places où l’on parle encore un langage articulé, où l’on joue encore de la musique. Des endroits isolés, jalousement gardés, où des Immortels se sont enfermés au début des temps difficiles pour laisser passer la tempête. Mais si le gros de la houle est passé, le vent n’est pas tombé pour autant et la patience des Anciens est mise à rude épreuve par la solitude, l’épuisement des réserves et les assauts des pillards à leurs portes.




<<<>>>
Placer le marque-page ici




Quadran Bêta, date stellaire 44552.5


     Tout est calme à bord de l’Enterprise, vaisseau explorateur et fleuron de Starfleet. L’équipe active y vaque avec efficacité et discipline à ses tâches, tandis que les autres membres de l’équipage se détendent au bar Avant-toute, se distraient dans les holodecks ou se reposent tout simplement en famille dans leurs quartiers. Sur le pont, le premier officier William Riker discute plaisamment avec la conseillère Deanna Troi, tandis que le lieutenant commander Data gère la navigation sans les déranger. Personne d’autre n’est présent, il n’est pas utile de garder une équipe complète en service pendant un simple voyage de ravitaillement d’une base à l’autre. Dans cette atmosphère tranquille, l’alerte de proximité qui résonne soudain sonne comme une fausse note dans une mélodie. Riker soupire doucement. Décidément, il est dit que jamais l’Enterprise n’aura droit à une mission sans aucune surprise. Il se redresse dans le siège de commandement, pianote d’une main sur son clavier tout en donnant des ordres pour que le vaisseau s’immobilise.
     - Dois-je réveiller le capitaine Picard ? demande Deanna.
     - Non laissez-le dormir pour l’instant, ce n’est probablement qu’un astéroïde sortit de son orbite. Monsieur Data, une analyse de l’objet ?
     - En cours, Monsieur. Analyse complète. Nous avons tout d'abord détecté une petite anomalie spatio-temporelle, mais il s’agit finalement d’un vaisseau non identifié. Il est éteint et n’émet pas de balise de signalisation, j’ignore pourquoi notre trajectoire ne l’a pas repéré plus tôt.
     - A l’écran. Zoom optimal, activez les boucliers au cas où. Monsieur Worf, monsieur Crusher, sur le pont s’il vous plait.
     Devant l’officier, la vue de l’espace disparaît de la baie principale pour être remplacée par un gros plan sur un appareil qui semble plutôt ancien, que Riker ne parvient à identifier comme aucun vaisseau spatial de la Fédération.
     - Monsieur Data, quelle est l’origine de cet engin ?
     - Humaine monsieur. Bien qu’il ai été assez largement modifié, il s’agit d’un navire de transport Boeing 7747-2x.
     - Deanna, je pense que vous pouvez réveiller le capitaine finalement. Ce n’est pas tous les jours que l’on trouve un simple avion terrien - datant d’un siècle avant les premiers vaisseaux humains - à des millions d’années lumière de la terre.

     Une fois prévenu, il ne faut pas longtemps à Jean-Luc Picard pour rejoindre le pont. Féru d’Histoire et d’archéologie, il est particulièrement curieux de comprendre comment un engin tout juste capable d’effectuer la liaison Terre-Lune et bien évidemment dépourvu de moteurs Warp a pu se retrouver de l’autre côté de la galaxie ! Quand il prend son poste de commandement, toute l’équipe est prête à répondre à ses ordres.
     - Quelle est la situation, monsieur Data ?
     - J’ai complété mon analyse de l’appareil, capitaine. Si le châssis et la coque sont pratiquement d’origine, l’essentiel de la mécanique a été remplacé par des constructions expérimentales. Le bloc de propulsion utilise une technologie à distorsion quantique qui a été expérimentée au début du XXIème siècle mais très rapidement abandonnée pour son manque de sécurité. Il n’y a pas de bouclier, pas de systèmes d’armement visible. Tout indique que ce vaisseau a été lancé il y a au moins trois cents années terrestres.
     - Des signes vitaux à bord ?
     L'androïde se tourne vers son supérieur.
     - Non capitaine. Les systèmes de supports ne sont même pas actifs. Cependant, le générateur et les équipements semblent en bon état ; il doit être possible de les initialiser depuis le poste de pilotage. Je peux m’y téléporter et tenter de rétablir une atmosphère et une température compatibles avec l’envoi d’une équipe humaine.
     - Vous anticipez mes attentes, Data. Faites donc.




<<<>>>
Placer le marque-page ici




Terre, Europe continentale, Automne


     Ce soir la lune est gibbeuse, elle charrie dans son sillage la poussière du temps et des regrets d’autrefois. La saison froide est revenue, traînant avec elle l’humidité glacée des couloirs de pierre, les douches plus froides que jamais et les attaques désespérées des mortels voyant revenir l’hiver et n’ayant pas été capables de faire des provisions en conséquence. Attablés dans la plus grande salle de la citadelle, les Anciens se taisent et restent immobiles. Ils viennent d’apprendre la nouvelle. L’un des leurs n’est pas rentré de la montagne où il était allé renouveler le stock de glace. En soit, le retard n’aurait rien de très inquiétant, car après tout un Immortel court assez peu de risques à l’extérieur, mais le vigile a signalé des éclairs, des flammes d’aciers jaillissant des collines dans un ciel dégagé et vierge de toute tempête. Il est fort à craindre, hélas, que ce soit un quickening. Les chasseurs de tête n’ont pas pris leur retraite, ils traquent toujours leurs victimes, avec d'autant plus d'acharnement qu'il n'y a pratiquement plus de terres sacrées. La région était sûre pour les pacifiques ces temps-ci, il semble que cela ne soit plus le cas.
     Au sujet d’inquiétude, l’état alarmant de leurs réserves. Ils ont passé un seuil au-delà duquel même les poudres et les nourritures lyophilisées pourrissent, les bouteilles s’évaporent sous les bouchons desséchés, les grains moisissent et les conserves se racornissent. Le peu de cultures et la volaille qu’ils entretiennent dans la cour du château ne peut suffire à les alimenter et ils savent pertinemment - pour l’avoir déjà tenté - qu’il est irréaliste de protéger des champs à l’extérieur... Ils ne sont qu’une douzaine dans un château qui autrefois pouvait soutenir un siège avec des centaines de personnes en ses murailles, mais quelle forteresse endure un blocus de trois cents ans ? Les excursions de chasse que certains lancent parfois servent plus à s’occuper et améliorer l’ordinaire qu’à se nourrir, les proies elles aussi se faisant rares dans la région. Certes, ils peuvent dans l’absolu éviter de manger, mais ce n’est pas une vie de passer son temps à mourir de faim, d’errer, faible et squelettique, en attendant le prochain trépas qui les libérera un instant de la famine !
     Un homme se lève et frappe d’un poing énergique sur la table de chêne sombre.
     - Cela a assez duré ! s’exclame-t-il. Je crois qu’il est évident pour tout le monde à présent que ne nous pouvons plus compter sur les mortels pour se relever seuls. Il faut agir, nous n’allons pas rester enfermés ici pendant des millénaires à manger des cailloux. Je n’en peux plus, moi, je craque. Je veux un bon repas avec des épices, je veux de l’eau courante chaude, je veux un ordinateur, bon sang !
     - Calme-toi, réplique une de ses camarades d’isolement. Nous avons vécu des siècles sans tout cela. Je veux dire, avant la Fin, avant même que ce que tu demandes existe...
     - Peut-être, mais y avoir goûté et en avoir profité pendant cent cinquante ans change la donne, ce n’est pas comme si nous n’avions jamais connu le confort de l’électricité. Et puis à l’époque, le monde... le monde respirait, il y avait une vie artistique, des voyages et des découvertes, des guerres parfois, certes, mais aussi de la nouveauté, sans cesse, partout ! Voyez dans quoi nous nous débattons aujourd’hui ; ces loques au-dehors sont tout juste capables d’entretenir un feu...
     - Que proposes-tu alors ?
     - Vous, je ne sais pas, moi je pars, peut-être pas définitivement, mais sinon je vais exploser. Souvenez-vous de notre dernier hôte de passage, il a parlé d’une ville, vers le nord, qui a été désertée par la maladie et donc en partie épargnée par la destruction. J’y trouverai peut-être de quoi réparer le générateur. Ce serait déjà ça.
     - Après tout ce temps, tu espères encore trouver des pièces mécaniques en état ?
     - Sait-on jamais ? Au moins, cela me donne un but, quelque chose à faire.
     - As-tu pensé aux coupeurs de têtes qui rodent à l’extérieur ?
     - Oui, mais nous savions faire avec, avant, pourquoi en serions-nous incapable aujourd’hui ? Je sais toujours me battre, et si au pire je perdais... et bien tant pis. Ce sera presque mieux que rester croupir ici.




<<<>>>
Placer le marque-page ici




Quadran Bêta, date stellaire 44552.7


     Fascinés, les membres de l’équipe d’exploration flottent à travers un vaisseau si rustique qu’il n’a même pas de générateur de gravité artificielle. Geordi Laforge étudie avec Riker les commandes primitives du tableau de bord, Data tente de communiquer manuellement avec l’ordinateur pour y trouver les archives tandis que le docteur Crusher parcourt l'arrière.
     Elle revient bientôt vers ses collègues avec une grimace.
     - L’équipage est encore à bord... Enfin, ce qu’il en reste. Ils sont dans un genre de caisson d’hibernation étrange, Geordi j’aurai besoin de votre expertise.

     Réunie autour des cercueils de verre avec les corps pratiquement momifiés de quatre hommes et quatre femmes, l’équipe est perplexe. Le technicien l’a confirmé, ces caissons sont de simples boîtes pas même étanches, sans générateur de champ de stase, système de réfrigération ou même senseurs médicaux... Beverly Crusher se gratte la tête.
     - Qu’ils n’aient pas été congelés se comprend, ils devaient déjà savoir que le corps humain le tolère particulièrement mal, mais qu’attendaient-ils de ces primitives couchettes sous verre pour les protéger pendant la durée d'un vol subluminique ? J’avoue ne pas comprendre.
     - Peut-être ont-ils été abordés pendant leur voyage par des voleurs qui ont prit leur équipement de survie ? suggère Riker.
     Laforge secoue la tête.
     - J’en doute commander. La porte est intacte et une race assez avancée pour pouvoir se téléporter à bord n’aurait que faire d’appareils aussi anciens - il n’y a pas de raison de penser que leur équipement d’hibernation soit plus récent que le reste de cette antiquité. De plus, il n’y a pas de trace de branchement ou de support.
     - Recommandation ?
     - Nous nous dirigeons vers la base Draconis 3, leurs équipes de technoarchélogues seront plus qu’intéressés par cet... avion. Si on le remorque, vu sa faible masse nous devrions tout de même pouvoir atteindre Warp 3 ou 4 et y être dans les temps.
     - OK, cela me convient. Enterprise, ici Riker. Quatre à téléporter. Prévenez la salle des machines d’activer le rayon tracteur.


     L'air pénètre douloureusement dans les poumons d'Aaron Leblanc, inutilisés depuis si longtemps. Il ouvre péniblement les yeux, saisi de la profonde impression que quelque chose n'est pas normal. Agrippant les poignées prévues à cet effet, il fait coulisser le dôme de verre qui le recouvre et se redresse, fait jouer ses muscles qui achèvent de se reconstituer. A leur tour les autres membres de l'équipage du Starlander ressuscitent, leurs corps n’attendant pour cela depuis de nombreuses années que les conditions redeviennent viables. Quelques minutes plus tard, ils sont éveillés tous les huit. En plus d'Aaron, l'initiateur du projet, Grégoire Vendran, Ceirdwyn, Ibrahim Al’Danar, Katherine, Angelina de Valicourt, Adria et Richie Ryan sont tous assis sur leurs couchettes et rassemblent leurs esprits. Aaron s'accoude à la paroi et regarde par un hublot avant de lâcher un juron bien senti.
     - Qu'est-ce qui se passe, un chauffard de l'espace a rayé la peinture de la coque ? demande Richie.
     - On avance.
     - Mais... les moteurs sont off-line...
     - Oui, je sais, et de toute façon ils sont incapables de voyager à cette vitesse... Non mais regardez ça ! Les étoiles défilent comme sur un écran de veille... Qu'est-ce qui se passe bon sang ?
     Il se rue dans le cockpit, suivi de ses compagnons. Quelques exclamations fusent, puis un profond silence s'établit. Devant le Starlander et un peu au dessus, au lieu du vide l'espace se trouve un gigantesque vaisseau blanc, avec deux longues nacelles bleutées élégamment relevées sur les côtés qui doivent être des propulseurs. Grégoire s'approche d'une console qu'il réactive et lance une série d'analyses.
     - Nous sommes... remorqués, mais pas par des câbles, je détecte un flux d'énergie tendue, un genre de rayon tracteur...
     Aaron polarise la vitre pour leur boucher la vue et leur permettre de réfléchir plus calmement.
     - Bon, les amis, il faut qu'on discute sérieusement. Déjà la priorité, rétablir tous les systèmes, comprendre pourquoi l'ordinateur nous a réveillés. Ensuite, on s'occupera de... du... enfin, de ce qui se passe.


     Jean-Luc Picard et ses officiers sont en pleine réunion à propos du mystérieux avion quand le jeune Wesley Crusher les appelle sur l’intercom.
     - Désolé de vous interrompre, mais la situation du Boeing évolue.
     - Détaillez, enseigne.
     - Tous ses systèmes reviennent en ligne un à un et... les senseurs détectent à présent huit formes de vie à bord. Des humains, Monsieur.
     - Beverly, une erreur de diagnostic ?
     - Sauf votre respect capitaine, les corps étaient momifiés par le temps. Il n'y avait pas d'erreur possible.
     Picard fait la grimace et se lève.
     - La réunion est ajournée. Pilote, arrêt complet, retournez l'Enterprise, activez les boucliers, mais ne lâchez pas l'emprise du rayon tracteur.


     Aaron pianote à une vitesse impressionnante sur le clavier du tableau de bord tandis que chacun s'active efficacement pour trouver les réponses. En quelques instants tout est prêt et ils se réunissent dans le poste de pilotage. Ibrahim centralise les rapports et résume la situation.
     - Quelque chose s'est passé après notre départ d'Eternia. Vous savez la petite instabilité du bloc de propulsion que nous avions remarquée sans nous en inquiéter ? Il semble que c'était plus grave que prévu. Nous pensions avoir réparé le début de faille, mais pas suffisamment il faut croire. La chambre quantique s’est fendue, ce qui nous a brutalement éjecté de l’espace-temps en y générant une mini-aberration. Nous avons dérivé presque trente-cinq de nos années, mais la distorsion spatio-temporelle s'en est mêlée.
     - Et en langue normale pour ceux qui n'ont pas fréquenté le M.I.T. depuis son inauguration, ça fait quelle date ? interrompt Adria.
     - D'après le positionnement des étoiles et si notre emplacement est exact... 2365 et quelques. Nous sommes très loin de la Terre, bien plus que ce nous pensions atteindre un jour. De plus...
     Il est interrompu par un clignotement insistant du tableau de bord. Katherine s'approche de la console de communication.
     - Nous recevons un signal, je crois qu'ils veulent communiquer. Il y a un flux audio récupérable, mais la vidéo est d'un format que je ne sais pas traiter. Je passe ce que j'ai, écoutez.
     Stupéfaits, les spationautes Immortels entendent une voix grave aux consonances parfaitement humaines s'exprimer lentement en anglais.
     - Ici le capitaine Jean-Luc Picard de l'USS Enterprise NCC-1701-D, de la Fédération Unie de Planètes. Je souhaite parler à votre capitaine.
     Les Immortels se concertent un instant, et Adria propose
     - Vas-y Aaron, après tout c'est ton vaisseau, à toi de parler.
     Le jeune homme respire un grand coup et s'approche du micro.
     - Ici, euh... le capitaine Leblanc du Starlander. Qui... qui êtes-vous ?


     Picard se tourne vers ses officiers et leur fait signe de couper temporairement la communication.
     - Ils sont bien Terriens...
     - Comment le savez-vous, capitaine ?
     - L'homme a qui j'ai parlé a un accent typiquement français... Conseiller Troi, vos impressions ?
     L'empathe mi-bétazoïde ferme les yeux et se concentre un instant avant de répondre.
     - Je ressens une intense curiosité, de l'excitation, un peu de crainte aussi, mais celle de l'inconnu, pas de nous en particulier.
     - De l'hostilité ?
     - Aucunement. Mais une grande volonté de communication. Je crois que vous devriez leur répondre, capitaine.
     - Très bien. Monsieur Worf, ouvrez la fréquence.


     Après quelques secondes d'un silence angoissant, la communication reprend.
     - Capitaine Leblanc, je vous invite à me rejoindre à bord de l'Enterprise avec votre premier officier, afin que nous discutions face à face.
     Aaron se tourne vers ses camarades avec un grand sourire.
     - Qui veut être mon "premier officier" ?
     Ceirdwyn fait un pas en avant, Aaron hoche la tête et reprend le micro.
     - OK Capitaine Picard, le temps d'enfiler nos scaphandres et nous arrivons.
     - Vos scaphandres ?!
     Malgré sa retenue et sa courtoisie diplomatique, il a du mal à cacher son amusement.
     - Eloignez simplement les deux personnes concernées du reste de l'équipage pour que nous puissions les identifier.
     Les deux Immortels s'exécutent et, sous les regards effarés de leurs compagnons de voyage, ils disparaissent dans un scintillement bleuté.


     Au même instant, en salle de téléportation numéro 3, Aaron et Ceirdwyn se matérialisent avant de se rendre compte de ce qui se passe. Le souffle coupé, ils parcourent la pièce des yeux. Rien de leur est familier, ni les matériaux utilisés, ni l'interface des ordinateurs, ni surtout la sombre figure d'un homme étrange en costume moulant noir et jaune qui se tient près de la porte, presque aussi grand et large qu'Aaron et portant d'étranges excroissances osseuses sur le front. A côté de lui, la silhouette plus classique d'un homme barbu, vêtu de la même façon mais en noir et rouge, s'avance vers les nouveaux arrivants.
     - Bienvenue à bord de l'Enterprise. Je suis le commander William Riker, voici le chef de la sécurité le lieutenant Worf. Le capitaine Picard va vous recevoir dans un moment, mais si vous le voulez bien, notre médecin de bord souhaiterai s'entretenir avec vous avant. Monsieur Worf va vous escorter.
     - Il... il n'est pas humain n'est-ce pas ?
     - Vous n'avez jamais vu de Klingon ?
     - Jamais de formes de vie extraterrestre intelligente ! Et ce... moyen de transport instantané, non plus...
     Riker leur adresse un grand sourire.
     - Vous n'êtes pas au bout de vos surprises en ce cas, croyez-moi. Worf, dès que le docteur Crusher a fini avec eux, conduisez-les en salle de briefing.
     Les Immortels ne savent plus où donner de la tête en suivant l'être taciturne le long des couloirs du gigantesque vaisseau. Des milliers de questions leur traversent l'esprit et ils doivent vraiment lutter pour se retenir de les poser dès à présent. En arrivant à l'infirmerie, le docteur, une douce rouquine, les fait allonger sous un scanner et les analyse à l'aide d'énigmatiques appareils clignotants avant de rendre son verdict et de les accompagner voir le capitaine.




<<<>>>
Placer le marque-page ici




Terre, Europe continentale, Printemps


     Ses amis ont convaincu David d’attendre la saison douce avant de partir, et maintenant que les beaux jours sont revenus il ne tient plus en place. Felicia Martin et Nick Wolfe ont choisit de l’accompagner dans son étrange quête sans but précis, à travers un monde dévasté. Le soleil n’est pas levé depuis bien longtemps qu’ils sont déjà fin prêts, les sacs sur le dos chargés de fruits, de viande séchée et d’eau, d’antiques talkies-walkies aux batteries faiblissantes à n’utiliser qu’en cas d’extrême urgence, des jumelles, de la corde, quelques vêtements, une boussole, un revolver et quelques cartouches. A la ceinture, leurs épées bien affûtées. Et c’est tout, ils n’ont rien d’autre de toute façon.
     Ils se mettent en route d’un bon pas, savourant le soleil, le vent, et surtout l’indispensable sensation de faire quelque chose, plutôt que rester inactifs pendant des décennies, enfermés dans un morne château régulièrement assiégé.

     De temps à autre, ils croisent une tribu de mortels particulièrement dégénérés qui heureusement n’osent pas s’attaquer aux demi-dieux que sont pour eux ces êtres étranges, dont la peau est couverte d’une fourrure qui n’est pas la leur, dont les bras se prolongent de longues mains brillantes capables de faire des blessures plus profondes que les crocs ou les griffes des animaux, et qui produisent des sons compliqués avec la bouche.




<<<>>>
Placer le marque-page ici




Quadran Bêta, date stellaire 44552.8


     Fort intimidés, Aaron et Ceirdwyn se tiennent bien droits tandis que le docteur fait son rapport au capitaine : ils sont en parfaite santé et on ne peut plus humains. Tous les officiers se tournent alors vers eux, et Picard prend la parole.
     - Au nom de la Fédération, je vous souhaite la bienvenue à bord. Avant tout si vous le permettez, j’aimerais des éclaircissements sur votre étonnante technologie d’hibernation qui, je l’avoue, nous laisse perplexes.
     Les Immortels se lancent un rapide coup d’oeil. Cela signifie que d’une façon ou d’une autre, ils les ont vus dans les caissons-cercueils, mais voilà une excuse à laquelle ils n’ont jamais osé penser pour justifier leur don ! Le jeune homme prend la parole.
     - Cette... technologie est très spéciale, capitaine, je crains de ne pouvoir vous en parler plus précisément, car honnêtement ce n’est pas mon domaine.
     - Peut-être pourriez-vous nous faire une démonstration de son fonctionnement ?
     - Hélas, non. J’aimerais beaucoup accéder à votre requête, mais... elle est calibrée en fonction de... nos codes génétiques et ne peut fonctionner avec d’autres.
     - Pourtant mes hommes n’ont rien détecté dans votre vaisseau qui...
     Deanna Troi, assise derrière leurs hôtes, hors de leur vue, indique par signes au capitaine qu’ils mentent, tout en confirmant leur pacifisme. D’un discret hochement de tête, Picard confirme qu’il a compris.
     - Qu’importe, nous aurons l’occasion d’en reparler. Je suppose que vous devez avoir de nombreuses questions...
     - C’est le moins que l’on puisse dire ! Déjà... d’où venez-vous ?
     - Nos origines sont variées, mais si vous faites référence à ce vaisseau, il vient comme la plupart des membres d’équipage et moi-même, de la Terre.
     Nouveau regard surpris entre Aaron et Ceirdwyn.
     - Et quelle date sommes-nous ?
     - Date stellaire 44552.8.
     - Auriez-vous une équivalence avec un système... basé sur le soleil ?
     - En calendrier terrestre, vous voulez dire ? Le 6 mars 2367.
     - Alors Ibrahim a vu juste... Excusez-moi capitaine, mais... il y a des choses que je ne comprends pas. Une question qui va peut-être vous sembler curieuse : depuis quand la Terre connaît-elle officiellement le voyage spatial ?
     - Environ 2150...
     - Les derniers rapports que nous avons reçus de la maison datent de 2200 et bien que fragmentaires, ils sont dignes de confiance. Ils n’en font absolument pas état. Bien au contraire.
     - Monsieur Data pourra vous résumer l’histoire de ces derniers siècles si vous le souhaitez.
     - Avez-vous moyen de contacter la Terre ? J’ai un... coup de fil à passer.
     - Oui, bien sûr. Mais à la distance où nous sommes, il faut s’attendre à un décalage de deux heures environ.
     - Seulement ! Vous avez une sacrée technologie... Peut-être pourrez vous nous aider, si je peux me permettre de vous le demander. Nos moteurs...
     Un noir d’une trentaine d’années, équipé de curieuses lunettes formant une bande métallique à hauteur des yeux, se lève en demandant d’un signe l’autorisation de parler au capitaine qui la lui accorde.
     - ... à distorsion quantique ont une fissure dans la troisième chambre d’accélération, qui provoque une fuite d’antimatière déstabilisante. Nous avons remarqué cela et l'avons déjà réparé en explorant votre vaisseau, avant que cela devienne dangereux, mais si je puis me permettre, notre technologie sur laquelle vous vous extasiez a fait quelques progrès justement. Nous nous dirigeons actuellement vers Draconis 3, où un spatiodock pourra équiper votre vaisseau de cellules Warp, qui seront tout de même plus performantes et plus sûres...
     - Mais nous ne pouvons pas payer ces modifications !
     - Notre société ne fonctionne plus sur le principe monétaire depuis longtemps, ne vous en faites pas. Depuis quand êtes-vous partis ?
     - 2062. Ce vaisseau est un prototype.
     - C'est le moins que l'on puisse dire, il précède de longtemps le premier vol de Zephram Cochrane qui a attiré les Vulcains sur Terre et lancé toute l'ère spatiale ! Je me dois de vous féliciter. Mais il est étonnant que personne n'ait jamais entendu parler de votre exploit.
     - C'est que nous ne sommes pas encore retourné chez nous.
     - Depuis trois cents ans ?
     - Non, c'est bien cela qui est étrange. D'après l'horloge du vaisseau, à peine cent cinquante. Nous pensons avoir dérivé dans une anomalie.
     - N'empêche, vous ne faites pas votre âge.
     - C'est notre technique d'hibernation, elle suspend le vieillissement pendant le sommeil.
     Deanna secoue à nouveau la tête. Bien que cette explication soit la seule logique, le jeune homme leur ment à ce sujet. Tandis que les deux invités sont retéléportés dans leur vaisseau pour faire un compte-rendu à leurs amis, les officiers de l'Enterprise se concertent sur ce cas unique.
     - C'est sans précédent dans l'histoire de la conquête spatiale, comme si ce jeune homme avait traversé l'Atlantique en avion avant la guerre de Sécession ! Mais pourquoi nous mentir pour leur hibernation ?




<<<>>>
Placer le marque-page ici




Terre, Europe continentale, Printemps


     Après quatre semaines de marche fatigante mais sans surprise, les trois amis parviennent enfin en vue de la ville qu'ils cherchaient. Comme le leur a signalé l’un des très rares Immortels de passage, vu de loin elle a été en effet partiellement épargnée par les destructions massives de la fin du XXIème siècle et dresse à l'horizon les squelettes décharnés de ses tours en ruines. David, Nick et Felicia établissent un dernier campement avant d'arriver, pour ne pas avoir à parcourir de nuit les rues de la ville désertée. Qui sait quelles bandes d'humains ou d'animaux dangereux s'y sont établies ?
     Au matin, ils y arrivent et avancent, intimidés et nostalgiques, le long de ce qui fut une artère commerçante riche et animée ; aujourd'hui canyon de ciment triste et dévasté. Trois cents ans se sont écoulés mais rien n'a bougé ici. Contrairement à leurs craintes, ni hommes ni bêtes n'ont envahi la cité autrefois ravagée par une nouvelle peste. L'endroit dégage une atmosphère sinistre, les Immortels trouvent plusieurs charniers emplis des squelettes de ceux qui n’ont pu fuir à temps. Ils montent au hasard dans un immeuble d'habitation intact, dont les appartements gardent encore des restes de meubles, d'appareils ménagers.
     Malgré le calme et la solitude, Felicia est très nerveuse.
     - Quoi qui se soit passé ici, je jurerais que le fléau est toujours là. Il n'y a même pas d'oiseaux, ce n'est pas normal !
     - Elle a raison, renchérit Nick. Ce n'est pourtant pas mon genre de me fier à une intuition, mais... Regardez.
     Il montre à ses amis le dos de ses mains où commencent à apparaître des cloques noirâtres. David l'examine un instant.
     - Radioactivité intense... C'est pour cela que tout est désert. Ca va passer Nick, tu cicatrises un peu moins vite que nous, mais suffisamment tout de même pour qu'il n'y ait pas de risque.
     - N'empêche, je ne suis pas tranquille ici. Ce n'est pas une ville, c'est un cimetière.
     Les Immortels terminent rapidement leur exploration de l'immeuble, mais ils ne trouvent rien d'utilisable, excepté un stock de chaînes hi-fi encore emballées et sans doute en état de marche – à condition qu'ils aient de l'électricité et des stations à recevoir, deux choses qui font presque partie de la mythologie à présent. Ils fouillent ensuite les décombres d'un centre commercial, mas là encore, la nourriture comme les pièces mécaniques sont trop périmées pour servir.
     - Et tu espères trouver quoi au juste, ici ?
     - Si nous sommes bien où je pense, il y a avait dans cette cité de nombreux labos, des centres de recherche high-tech. Avec un peu de chance ils auront été suffisamment épargnés.




<<<>>>
Placer le marque-page ici




Quadran Bêta, date stellaire 44552.9


     L'Enterprise a repris sa route vers la base de la Fédération, toujours en remorquant le Starlander. Cependant, tous les Immortels se sont fait téléporter à bord et, guidés par un membre d'équipage, découvrent la merveilleuse complexité du vaisseau de classe Galaxy, la richesse sans fin des paysages de l'holodeck et discutent avec quelques techniciens non-humains avant d'être conduits au bar Avant-toute pour se reposer un peu avant leur prochain rendez-vous avec le capitaine.
     Le turbolift les y emmène en quelques secondes, mais les Immortels ne sortent pas immédiatement de la cabine en arrivant. Dans un parfait ensemble, ils fouillent la salle des yeux et leurs regards se fixent sur la barmaid qui fait de même. Ceirdwyn pâlit soudain et attrape la manche du jeune homme qui leur a été affecté comme guide.
     - Dites-moi, la femme noire derrière le comptoir, là-bas, est-elle humaine ?
     - Presque, c'est une El'Aurienne. On ne dirait pas comme ça, mais en fait elle a neuf cents ans !
     - Tiens donc.
     - Vous en connaissez d'autres ?
     - On peut dire cela, oui.
     La Celte traverse le bar et se dirige droit vers elle, ses amis la suivant de près. Les deux femmes se tendent la main, celle de Ceirdwyn tremble un peu
     - Guinan... "El-Aurienne", hein ?
     La barmaid lui fait un clin d'œil et répond en gaélique pour être certaine que la conversation reste entre elles.
     - Et pourquoi pas ? L'avantage avec toutes ces races extra-terrestres à peine différentes des humains, c'est qu'il est simple de se faire passer pour l'un d'eux. En l'occurrence, c'est une race assez proche des Bétazoïdes, la télépathie en moins mais avec comme particularité de vivre très longtemps... Pratique pour nous autres, non ?
     - Ca fait longtemps que tu sers Starfleet ?
     - Pratiquement le début... Tu sais à quel point les étoiles m'ont toujours fascinée. Mais et toi alors, ça fait un bail que je ne t'ai pas vue, as-tu embarqué avec tes amis lors de l'escale chez les Ferenguis ?
     - Non, pas vraiment. Ecoute, il faut que j'aille leur dire un mot, mais je reviens discuter avec toi dès que possible, OK ?
     La Celte rejoint ses amis à la table qu'ils occupent près des larges baies donnant sur l'espace. La blonde Adria pose devant elle un verre empli d'une curieuse boisson aux vives couleurs changeantes.
     - Tiens, essaie ça. Je n'ai aucune idée de ce que c'est ni de quelle planète ça vient, mais c'est fabuleusement bon. Vous rendez-vous compte des perspectives qu’ouvrent les centaines d’autres races intelligentes ? Si ça trouve il y a aussi des Immortels chez les Klingons, les Vulcains... Mais ça renvoie plus loin encore si c’est le cas : y a-t-il un Prix par race, ou bien faut-il encore que le vainqueur de chacune élimine tous les autres Immortels de la galaxie ? Outre que je n’aimerai pas trop affronter un Nausicaan Immortel ou – pire encore – un adversaire dont je saurai même pas repérer la tête !
     - Il faut qu'on parle, c'est très important. Tenez-vous bien : nous ne sommes pas dans notre futur.
     Le silence tombe d'un coup entre les compagnons jusque là euphoriques. Ils regardent attentivement Ceirdwyn, mais elle semble dramatiquement sérieuse et n'est de toute façon pas réputée pour son sens de l'humour.
     - Qu'est-ce que tu dis ?
     - Les dates incohérentes; les écarts radicaux entre l'Histoire que ces gens connaissent et les événements que MacLeod nous a communiqués pendant notre voyage, et maintenant cette Immortelle, là-bas. Guinan, je la connais depuis le XVème siècle, mais elle ne peut pas être à bord, c'est impossible.
     - Tu es sûre ?
     - Oh oui, hélas. J'ai... j'ai son quickening. Quelques mois avant le départ, un transport a percuté notre voiture, on s'est écrasé dans un chantier. Je ne suis même pas morte ; Guinan était du mauvais côté, triste preuve que l'Immortalité ne protège pas des pires accidents : un morceau de poutrelle lui a emporté la tête. Or nous arrivons à bord de cet extraordinaire vaisseau, et elle est là, au bar, comme si cela n'était jamais arrivé. Alors bien sûr je suis ravie de la revoir, mais d'un autre côté... Qu'est ce qui se passe ?




<<<>>>
Placer le marque-page ici




Terre, Europe continentale, Printemps


     - Venez vite, j’ai trouvé un trésor !
     Nick et Felicia se regardent un instant, puis ils se précipitent à leur tour dans le bâtiment intact qu’explore David, avant de faire une grimace en découvrant ce dont il parle. Du sol au plafond, sur de nombreux niveaux reliés par des passerelles autour d’un patio central, sont empilés des millions de livres en papier, des vrais, ceux qui fonctionnent sans électricité. Les yeux pétillants et un sourire jusqu’aux oreilles, l’Immortel court de tous côtés, en emplit son sac et ses bras au point de ne plus pourvoir marcher avant de se calmer enfin, à bout de forces et de souffle. Et il pleure. Il pleure car il sait que jamais il ne pourra emporter toute la bibliothèque et qu’il est irréaliste de voyager deux mois à chaque trajet, d’autant qu’ils n’ont aucun autre moyen de transport qu’à dos d’homme. Même s'ils trouvent un âne ou un cheval pour tirer un attelage, ce qui est déjà improbable, ils ne parviendront jamais à le protéger jusqu'au château.
     Felicia lui pose une main compatissante sur l'épaule.
     - Allez, viens, il ne sert à rien de s'attarder. On s’y arrêtera en rentrant s'il nous reste de la place, promis. Et sinon, les bouquins sont à l’abri ici, on pourra toujours revenir plus tard. En attendant, Nick a trouvé un plan de la ville qui devrait nous aider.
     - Voilà, c'est la prochaine à droite, ensuite à gauche et on sera dans l'ancienne tech-zone. Si on doit trouver quelque chose d'utile dans ce tas de ruines, ce sera là ou nulle part.


     - Et bien ce sera nulle part.
     La mine défaite, les Immortels se tiennent au bord de l'immense cratère qui remplace la banlieue ouest de la ville. Ici s'étendait autrefois, autour de la principale centrale électrique de la région, toute une zone de recherche et de technologie. Hélas tout porte à croire que les ingénieurs n'ont pas eu ou pas pris le temps de vider le cœur du réacteur lorsque les troubles ont commencé...
     - Alors que fait-on maintenant ? demande Nick en manipulant un bout de plastique en partie brûlé qui dû être un clavier en des temps meilleurs. On rentre ?
     David rejette dans le trou les restes d'artefacts qu'il a ramassés et soupire longuement.
     - Non. Allez-y si vous voulez, mais moi je ne repars pas les mains vides. Il doit rester d'autres lieux, d'autres villes. Il n'est pas trop tard pour trouver au moins de quoi réparer le générateur. De toute façon, nous n'avons rien de mieux à faire.
     Endossant son sac, il reprend la route de l'ouest. Après un regard, ses deux amis lui emboîtent le pas.




<<<>>>
Placer le marque-page ici




Quadran Bêta, date stellaire 44553.1


     Remettant les loisirs à plus tard, Aaron est retourné à bord du Starlander avec une tablette de l’Enterprise dont il a déjà saisi les bases d’utilisation, afin de comparer point par point les différences entre l’histoire et les données de MacLeod, sachant qu’il est totalement exclus que le Highlander leur ait transmis de fausses informations.
     Il remonte le temps, de plus en plus loin, de plus en plus vite. D'un côté la Terre d'ou il vient, sortant peu à peu de la décadence à mesure que les années s'inversent. De l'autre, les merveilles de l'exploration spatiale, les différentes générations de l'Enterprise, le premier contact avec les Vulcains... 2300, 2250, 2200, 2150, 2100, 2050. Stop ! En 2050, les Histoires coïncident parfaitement. Aaron repasse alors en ordre chronologique, jusqu'à découvrir la date exacte de la rupture de continuum. Et quand il la trouve enfin, il ne peut s'empêcher de lâcher la tablette et se rue sur le communicateur.
     - Nom de Dieu... Enterprise, Enterprise ! Téléportez-moi à bord, tout de suite !
     Il vient à peine de se matérialiser qu'il se rue vers le turbolift.
     - Passerelle !
     Mais l'ascenseur ne bouge pas.
     - Vous n'êtes pas autorisé à accéder à la passerelle.
     - Alors contactez le capitaine Picard.
     - Le capitaine n'est pas disponible.
     - Le commander Riker ?
     Quelques secondes plus tard, le tintement du combadge résonne dans le turbolift.
     - Riker j'écoute.
     - Commander, c'est Aaron Leblanc, il faut absolument que je vous parle, c'est excessivement important.
     - Je crains que le moment soit mal choisi, monsieur, nous avons une grave coupure de communications.
     - Oh bon sang... C'est de cela dont je veux parler.
     - Bon, je vous autorise l'accès.

     L'Immortel se présente dans la grande salle de réunion où le gratin des officiers de l'Enterprise écoute Geordi Laforge présenter son compte-rendu.
     - Nous avons mené tous les tests possibles et un diagnostic de niveau 3, tout s’accorde à dire que nos appareils tant émetteurs que récepteurs sont parfaitement opérationnels... Pourtant nous ne recevons aucune réponse à nos demandes répétées vers la Terre comme vers Draconis 3. Pas moyen non plus de contacter un seul autre vaisseau de Starfleet ni aucune base de la Fédération.
     Le lieutenant Worf prend la parole.
     - Un navire Cardassien entre dans le secteur, il prétend ne pas nous connaître et a chargé ses phasers, nous serons à portée de tir dans sept minutes.
     - Mais les Cardassiens n'oseraient jamais s'attaquer ouvertement à Starfleet ! s’exclame Deanna. Ce serait relancer la guerre et ruiner un siècle de négociations.
     Aaron avance dans la salle et toussote pour attirer l'attention.
     - Sauf si Starfleet n'existe pas.
     Grand silence, que Picard rompt rapidement.
     - Sauf votre respect, capitaine Leblanc, est-ce avec votre technologie du XXème siècle que vous êtes arrivé à cette conclusion pour le moins radicale ?
     - Non, capitaine, c'est avec une technique datant de 600 ans avant Jésus-Christ : la Logique. Je suis convaincu à présent que si nous venons bien de la même planète, nous ne sommes pas du même passé. Je sais que cela peut sembler aberrant, mais...
     - Croyez-moi, monsieur Leblanc, nous avons déjà vécu des situations bien étranges, des sautes de temps et des visiteurs du passé comme du futur, même subi les humeurs omnipotentes de Q, alors nous pouvons bien concevoir cela ... Continuez je vous prie.
     - Quand il est devenu évident que nous n'étions pas du même continuum, j'ai d'abord cru que nous avions glissé dans le vôtre, mais finalement je crains que ce soit le contraire. A tout prendre, c'est sans doute la pire des solutions. Vous pouvez sans doute bien mieux expliquer cela que moi ou mes camarades, mais je suis presque prêt à parier que la coupure de vos transmissions date de notre rencontre.
     - Effectivement, Monsieur, intervient Data. Et nous avons tout d'abord détecté une perturbation avant de voir votre vaisseau. Je suppose que votre propulseur quantique a créé, en tombant en panne, une anomalie reliant différents plans, par malchance précisément sur la trajectoire de l'Enterprise qui s’y est engouffré.
     - Suggestion pour revenir dans notre propre présent, monsieur data, monsieur Laforge ? intervient Picard.
     - La théorie prévoit qu'en recréant les exactes conditions d'origine, répond l'androïde, nous serons à même de reproduire l'anomalie et donc de rouvrir le passage.
     - Ce n'est pas si simple en pratique, modère Laforge. C'est une fissure aléatoire de la chambre quantique qui a provoqué cela, la probabilité pour que la distorsion corresponde précisément à un portail interdimensionnel est absolument infinitésimale, aux limites de l'impossible ! De plus, nous avons réparé la fissure en quelques minutes, c'est un incident bénin à notre niveau, nous n'avons même pas relevé l'état initial du réacteur...
     - Donc, si je résume, nous sommes tout ce qui reste des humains de la Fédération, les autres races n’ont jamais entendu parler de nous, et selon leur bonne vieille philosophie de tirer d’abord, tirer encore, tirer à nouveau pour être sûrs, et ensuite de discuter, les Cardassiens nous attaquent. Bon, officiers, du travail nous attend !
     Aaron est stupéfait de voir avec quel calme et efficacité les hommes de ce siècle réagissent à une telle nouvelle, tout en les admirant pour leur sang-froid. C’est à peine si la voix du Klingon se tend lorsqu’il annonce que le vaisseau hostile est arrivé à portée de tir. Picard fait passer le vaisseau en alerte rouge, charger les armes et lever les boucliers, les étendant de façon à couvrir aussi le petit Starlander qui en est dépourvu.
     Les premiers tirs font vibrer l'Enterprise tandis que les officiers regagnent la passerelle.
     - Capitaine Leblanc, si voulez bien vous joindre à nous...
     Impressionné de se retrouver assis à la gauche du capitaine au centre de commandement, l'Immortel n'a guère le loisir d'apprécier le moment. Il reçoit sur son combadge que ses amis ses sont réfugiés dans les quartiers de Guinan. A chaque instant, le vaisseau tremble ; habitué, l'équipage se retient pour ne pas tomber. De la console tactique, Worf annonce après chaque tir le rapport des dégâts, qui restent minimes pour l'instant.
     - Capitaine, les boucliers tiennent, mais cela ne va pas durer, d'autant qu'ils sont affaiblis autour du Starlander. Ils ne l'ont pas encore visé directement, mais je doute qu'il résiste s'ils le prennent pour cible. Devons-nous riposter, Monsieur ?
     - Pas encore, Worf. Toujours aucune réponse à nos appels ?
     - Non monsieur. Vous connaissez les Cardassiens, déjà lorsqu'ils craignent la Fédération nous avons du mal à communiquer, alors s'ils nous prennent pour des intrus non identifiés...
     - Entendu, nous allons quitter le périmètre. Sait-on jamais, peut-être que dans cette Histoire, ce secteur est sous leur contrôle au lieu du nôtre. Dans tous les cas, je préfère ne pas les attaquer, sauf en dernier recours. Si nous sommes en effet le seul et unique vaisseau humain, nous ne ferons pas le poids contre toute leur flotte. Partons.
     - Quel cap, monsieur ?
     - Le seul dont on soit sûr qu'il est à nous. Enseigne, direction la Terre, Warp 7.
     - Pardon monsieur, mais nous ne pouvons aller si vite avec le vaisseau du capitaine Leblanc en remorque. Warp 4 au maximum.
     - Soit. Engagez !
     Un sifflement de plus en plus aigu accompagne l'Enterprise alors qu'il plonge en hyperespace.
     - Capitaine, le vaisseau Cardassien nous suit et continue ses tirs.
     Data se retourne avec sur le visage une assez bonne imitation d'air interrogatif.
     - La technologie Cardassienne ne les autorise pourtant pas à ouvrir le feu à des vitesses Warp, ils se déplaceraient plus vite que leurs projectiles !
     Picard soupire.
     - Sans surestimer notre importance, nous sommes semble-t-il dans un univers où les humains n'ont jamais quitté la terre, l'influence sur Histoire peut avoir eu des répercussions énormes, nous ne pouvons présumer de rien. Comment se portent les boucliers, lieutenant ?
     - Ils ne sont plus qu'à 32% monsieur. A ce rythme, ils lâcheront dans 6 minutes. Toutefois, sans le vaisseau que nous remorquons et protégeons, nous regagnerions 41% de puissance aux boucliers, sans compter qu'en montant à Warp 9 nous serons sans doute capables de les distancer. D'après l'analyse de leurs propulseurs, ils ne peuvent dépasser Warp 6.
     - Hors de question que je demande au capitaine Leblanc d'abandonner son navire !
     Aaron prend une profonde inspiration.
     - Capitaine Picard, je vous remercie de votre réaction, et Dieu sait si je tiens au Starlander... Mais je ne veux pas risquer la sécurité de l'Enterprise pour lui. La moindre de vos navettes est plus résistante, plus rapide et même - malgré leur taille - plus confortable que ce dinosaure. Laissez-moi trois minutes pour y récupérer quelques effets personnels dont nous avons besoin et... vous pourrez le lâcher. Avec un peu de chance, en voyant qu'il est ancien et vide, vos poursuivants le laisseront et nous pourrons peut-être le retrouver plus tard.

     Aaron quitte la passerelle en courant, et invite ses amis à se téléporter à bord avec lui. Leurs affaires sont encore emballées et les logs déjà sauvegardés, mais ce qu'ils veulent récupérer avant tout, ce sont leurs épées. Pas moyen de les amener discrètement à bord de l'Enterprise, mais tant pis, l'heure n'est plus aux tergiversations. Grégoire et Ibrahim restent un peu après les autres pour faire repasser le Starlander en mode hibernation, espérant le retrouver plus tard.

     - Nous venons de perdre les boucliers, capitaine. Les prochains tirs seront pour la coque, il faut s'attendre à des dommages plus importants. Je recommande que nous passions à la vitesse supérieure, maintenant !
     - Capitaine Leblanc, tous vos hommes sont-ils en sécurité ?
     - Presque. Greg, vous en êtes où les gars ? Laissez tomber les préparatifs, on vous rapatrie de suite.

     Trop tard, constatant le manque d'efficacité de leurs armes sur l'Enterprise, les Cardassiens viennent de tirer directement sur le Starlander. Sa coque est faite de simple métal et de céramique, résistante, certes, mais pas en comparaison des armes du XXIVème siècle. Le rayon le traverse de part en part et devant les yeux horrifiés d'Aaron et de ses amis (qui ont reçu l'autorisation de suivre les événements depuis la cabine de Guinan) le Boeing modifié se disloque et se disperse en millions de particules luminescentes, emportées au loin tandis que l'Enterprise accélère brusquement à sa vitesse maximale et échappe à ses poursuivants.
     Aaron est décomposé. Même Immortels, ses amis n'ont aucune chance d'avoir survécu à la désintégration du vaisseau. Il relève brusquement la tête quand Picard lui pose une main compatissante sur l'épaule.
     - Je suis désolé pour votre vaisseau et vos hommes, monsieur Leblanc. Nous les avons téléportés directement à l'infirmerie, mais il était déjà trop tard.
     - Vous dites qu'ils sont à bord en un seul morceau ?
     - Oui, mais le docteur Crusher...
     Aaron ne cherche pas à retenir son sourire.
     - Je suis sûr qu'ils ont eu le temps de se mettre en hibernation. Qu'elle n'y touche pas, ils en sortiront d'eux-mêmes.
     Le capitaine lui jette un coup d'œil dubitatif.
     - Voudriez-vous me rejoindre dans mon bureau, monsieur Leblanc ? Nous ne serons pas sur Terre avant plusieurs jours, mais devons au plus tôt définir notre stratégie, et vous connaissez mieux que nous la planète que nous allons trouver. Conseiller Troi, si vous voulez bien vous joindre à nous. Numéro 1, vous avez la passerelle.

     - Monsieur Leblanc, nous sommes engagés dans une étrange d'histoire et la disparition de votre vaisseau lie irrémédiablement votre destin au nôtre. Je vais être direct, nous savons que vous nous cachez quelque chose et j'aimerais bien savoir quoi et pourquoi. Notre médecin de bord est des plus compétentes, si elle dit que vos hommes sont morts, je crains que ce soit vrai.
     Aaron prend une profonde inspiration.
     - C'est juste capitaine. Mes compagnons et moi ne sommes pas vraiment humains, malgré l'exceptionnelle parenté de nos génomes. Nous guérissons très vite, même des pires blessures. Même de la mort dans une certaine mesure. Si l'on ne vous a rien dit, c'est que c'était assez mal vu sur la Terre dont nous venons.
     Deanna hoche silencieusement la tête. Le jeune homme ne dit pas encore toute la vérité mais s'en rapproche.
     - Nous allons arriver sur une planète dont nous ne savons rien de plus récent que des informations reçues par vous il y a un siècle et déjà peu encourageantes. L'état technologique que nous attendons devrait nous dissuader de prendre contact, en vertu de la Directive Première, mais cette situation est unique, je prend la responsabilité de passer outre. Bon sang, J'aimerais avoir quelqu'un à contacter sur place.
     Aaron soupire une fois de plus.
     - Avec de la chance, ce sera le cas. J'ai des amis qui...
     - Vous êtes partis il y a trois cents ans, tout de même.
     - Je sais bien. Mais il y en reste d'autres comme nous là-bas. En plus de bien guérir, nous ne vieillissons pas, donc ils doivent toujours être là. Enfin, j'espère.
     - Vous êtes bien sûr que vous ne venez pas de Zeist, par hasard ? Le peuple de cette planète présente les mêmes caractéristiques.
     - Ah oui, certain monsieur.
     - Qu'importe, l'essentiel est d'avoir un contact. A moins que notre peuple ai énormément rebondit depuis le dernier siècle, nous allons devoir rebâtir l'humanité entière, alors plus nous serons, mieux ce sera.




<<<>>>
Placer le marque-page ici




Terre, Europe continentale, début de l'été.


     Harassés, les trois explorateurs s’arrêtent à la tombée du soleil. Depuis plusieurs mois qu’ils marchent, le paysage change peu. Ce ne sont que vallées désertes, villes en ruines, gibier rare et craintif, bandes d’humains à demi-nus ravagés par les maladies. Sitôt le campement monté, David et Felicia s’endorment d’un sommeil lourd et sans rêves tandis que Nick prend le premier tour de garde. Il s’empare soudain des jumelles, puis réveille en hâte ses compagnons pour leur montrer ce qu'il voit. Posée sur la ligne d'horizon comme un phare isolé dans la tempête, une vive lueur attire leur attention. Trop lumineuse pour être un feu de camp, trop claire et immobile pour un incendie de forêt, elle ne dure guère mais c'est – vu d'ici en tout cas – ce qui ressemble le plus à de la lumière électrique depuis bien longtemps.
     - Dès demain, cap au nord les amis.

     Les Immortels osent à peine y croire alors qu'ils approchent d'une haute enceinte de bois, de cordes et de torchis. David caresse les rondins d'un air rêveur, puis il monte dans un arbre proche pour voir au-delà. Derrière le premier mur, un large fossé précède une seconde palissade dont le sommet est hérissé de pointes de bois et de métal. Après s'étendent à perte de vue des champs cultivés alternés avec des terres en jachère, des pâturages, un lac et même un village, un vrai.
     - Les gens qui ont construit cela et surtout qui savent le protéger des pillards me redonnent d'ores et déjà plus espoir dans le futur que tout ce que j'ai pu voir depuis deux bons siècles. Venez, en longeant ce mur, on finira bien par arriver à une porte.

     En guise d’accès, c'est carrément un portique, surmonté de miradors où des archers montent la garde. Dissimulés dans des buissons hors de leur vue, les trois amis se concertent.
     - Qu'est-ce qu'on fait, demande Felicia. On va frapper trois coups pour voir s'ils nous ouvrent ?
     - Et pourquoi pas ? Si cette tribu est aussi civilisée qu'elle en a l'air, c'est un bon début, répond Nick.
     - Ok, mais pas tous à la fois. L'un d'entre nous devrait rester en arrière au cas où... je ne sais pas, tout ne soit pas aussi parfait que cela en a l'air. Un gramme de prudence dans un monde de brutes.
     Ainsi en est-il décidé. David et Felicia se présentent donc, mains en avant et paumes ouvertes vers le haut. "Bonjour, nous venons en amis et voulons parler à vos chefs" lancent-ils lentement et en articulant bien en une dizaine de langues. Les vigiles les dévisagent un instant, avant de leur répondre dans un parfait français.
     - Ok, ne bougez pas, nous allons les prévenir.




<<<>>>
Placer le marque-page ici




Journal de bord du capitaine, date stellaire 44555.2


     "De toutes les situations dangereuses et délicates que nous avons affrontées par le passé, il est un ennemi puissant que nous n'avions pas encore rencontré à ce point. La solitude. Nous ignorons ce qu'il est advenu sur Terre pendant le dernier siècle, mais quoi qu'il en soit nous nous retrouvons à présent désespérément seuls. Nos amis, notre passé, notre présent et ce que nous sommes, tout a disparu en une milliseconde d'éternité maudite dans laquelle nous nous sommes engouffrés sans même nous en rendre compte. Sans doute pourrons-nous contacter une autre race qui nous était alliée, les Vulcains, les Betazoïdes, voire même les Klingons – après tout nous avons à bord des représentants de nombre d'entre elles, et l'existence même de notre vaisseau extrêmement évolué, le contenu immense de nos archives et l'explication logique que nous avons à fournir témoignent en faveur de notre histoire. Mais ensuite ? Même si nous trouvons asile quelque part et mettons l'Enterprise, le fleuron de notre flotte, le meilleur de notre technologie, au service de nos hôtes... allons-nous rester dépendants ? Non, il n'en est pas question. Notre personnel est formé pour l'installation de nouvelles colonies, et que cela se passe sur notre planète mère et sans aucun apport extérieur ne change pas fondamentalement la donne.
     Nous avons connu assez d’exemples de civilisations autrefois brillantes, maintenant enfoncées dans la décadence. Certaines s’en sont remises. Pourquoi pas les Humains ? Quoi que notre planète et notre espèce soient devenues, nous avons le pouvoir et le devoir de leur redonner leur place dans l'univers, dussions-nous y consacrer nos vies et celles de générations de nos descendants."

Journal du capitaine, annexe.
     "Outre les mystères de l'espace, nous devons composer avec ceux de la biologie, en la personne de nos hôtes qui – bien que reconnus comme parfaitement humains par les appareils du docteur Crusher – sont dotés d’un étrange don de guérison. Deux hommes de l'équipages du capitaine Leblanc ont été téléportés à bord après avoir décédé de leurs blessures et de la dépressurisation de leur vaisseau. Ceci a été confirmé par le transporteur qui les a traités comme de la matière inerte. Toutefois, ils sont revenus à la vie sous les yeux du personnel médical, qui depuis conduit d'extensives recherches afin de comprendre comment ce paradoxe humain est possible. Nous avons déjà au cours de nos voyages rencontré des races très résistantes, à la longévité extraordinaire ou à la cicatrisation miraculeuse, mais jamais aucune capable de revenir de la mort cérébrale."




<<<>>>
Placer le marque-page ici




Secteur 0.0.1 (Système solaire), date stellaire 44556.3


     C’est dans un silence de mort et à peine à 50% de la vitesse d’impulsion que l’Enterprise traverse le système familier aux dix planètes. Mais où sont les bases d’Io, d’Europe, de Ganymède, où sont les stations de Venus et de Saturne, les relais de la Lune et de Mars, les flots de vaisseaux et de communications qui grouillent habituellement dans le secteur ? Data scanne en permanence sur toutes les fréquences, mais ne rencontre que le même silence désespérant. Ce n’est qu’en arrivant tout près de la Terre que quelques signaux incohérents leur parviennent, émis par d’anciens satellites à l’agonie, appels d’urgence automatiques de la station Gamma en ruines. Des installations de la Lune ne parviennent que les flux de particules radio-actives du réacteur depuis longtemps implosé ; sur la planète elle-même, les analyses de surface ne détectent aucune source puissante d’énergie et à peine centaines de milliers d'êtres humains au total.
     A bord se succèdent sans discontinuer études et réunions pour préparer la plus vaste opération de sauvetage que l'équipage et son millier de passagers civils aient eu à gérer. Les techniciens travaillent d’arrache-pied à la construction de nouveaux réplicateurs dont ils auront plus besoin que jamais, tandis que les biologistes ont d'ores et déjà commencé à neutraliser depuis l'orbite les principaux foyers de radioactivité des anciennes catastrophes atomiques et entrepris un recensement des ressources végétales et animales restantes, par exemple des troupeaux de chevaux sauvages qui pourraient utilement être téléportés pour dressage dans les nouvelles colonies.
     Installés devant des écrans, Aaron et ses amis passent en revue les restes de tous les lieux qu'ils connaissaient à l'époque, sans beaucoup de succès. Angelina sursaute soudain et appelle les autres. Elle vient de ce repérer, dans ce qui se nommait autrefois les régions de la Beauce et la Brie, en France, une importante concentration d'humains protégés par une vaste enceinte. L’éternellement jeune femme se tourne vers le technicien blond qui étudie près d'eux.
     - Nous n'en saurons pas plus sans y aller nous-mêmes. Chef O'Brien, pourrez-vous nous téléporter sur place et nous rapatrier rapidement en cas de problème ?
     - Oui bien sûr, sauf s'ils vous isolent derrière un bouclier ou un champ de force, mais c'est peu probable. Nous devons de toute façon attendre l’autorisation du capitaine avant de commencer les expéditions sur place, pas avant au moins une semaine. En intervenant insuffisamment préparés, nous risquons de gâcher nos chances de... de...
     La voix du technicien se brise, il détourne les yeux, se tait. Sur son écran se côtoient une photographie de sa ville natale en Irlande, telle qu’elle était à son dernier passage - le mois dernier dans son continuum - et telle qu’elle n’est plus à présent.




<<<>>>
Placer le marque-page ici




Terre, Europe continentale, début de l'été.


     Ni David ni Felicia ne peuvent s'empêcher de porter la main à la garde de leurs épées en ressentant deux buzz approcher en même temps que de nombreux bruits de pas. Les doubles portes de bois renforcé de métal s'ouvrent en grinçant sur une trentaine d'Humains propres et habillés, qui s'écartent pour céder le passage aux deux Immortels que les voyageurs ont ressentis. L'éternellement jeune femme s'avance d'un pas vers eux.
     - Duncan MacLeod, ça fait un bout de temps que l'on ne s'est pas vu. Quelles qu'aient été nos relations passées, je suggère que nous en fassions l'amnistie au vu de la situation actuelle.
     - Felicia Martin ! J'avoue être surpris de te revoir, mais tu n'as rien à craindre. Le monde a suffisamment besoin de nous - et nous les uns des autres - pour garder rancune de vieilles querelles. Toi, c'est David Amberton il me semble. Voici Adam Piersen. Bienvenue à la Nouvelle Athènes. Tu peux dire à ton autre ami qui se cache dans les buissons que nous avons des yeux partout, ici. Est-ce l'un des nôtres ?
     - Oui, et neuf de plus nous attendent dans une forteresse médiévale que nous avons investie, à environ trois mois et demi de marche vers le sud-est. Ce n'est pas faute d'avoir essayé, mais nous n'avons jamais réussi à obtenir ce que vous avez fait ici. Protéger des champs, éduquer des mortels... Nous y avons renoncé à force. Comment avez-vous fait ?
     Appelé par David, Nick approche à son tour.
     - Nous aurons tout le temps d'en parler plus tard. Nick Wolfe ! Ca alors, c'est Amanda qui va être contente de te revoir. Venez, je parie que vous n'avez pas eu de bon repas récemment.


     Repus comme ils ne l'ont pas été depuis longtemps, les explorateurs se laissent aller dans leurs fauteuils d'osier, un verre de vin à la main, écoutant MacLeod leur raconter comment, après avoir subi comme tout le monde la chute de la civilisation et les décennies de marasme qui ont suivi, ils ont souvent tenté en vain de regrouper et diriger assez de mortels pour monter une armée capable de se défendre contre les hordes sauvages. La solution leur est apparue un jour par hasard, alors qu’ils exploraient les ruines d’un village. Ils y découvrirent une cinquantaine d’enfants de deux à quatorze ans, seuls survivants d’une guerre tribale. Ce fut long, difficile, ils en perdirent plus d’un à cause des maladies et de la difficulté de trouver assez à manger pour les nourrir tous, mais le résultat fut probant : vingt ans plus tard, ils avaient à leurs ordres trente-cinq vigoureux hommes et femmes éduqués. Ce fut le début du renouveau. Pour une raison encore inconnue, les adultes semblaient impossibles à dominer, alors depuis un siècle et demi, des commandos d’Immortels de la Communauté, assistés de quinze de leurs meilleurs guerriers humains, parcourent le monde pour recueillir les nombreux orphelins que laissent les maladies et les guerres tribales.
     A présent, la nouvelle Athènes se développe dans un territoire grand comme un département d’autrefois, soigneusement protégé d’une double enceinte fortifiée, suffisant dans la plupart des cas à dissuader les bandes désorganisées de l’extérieur. Et au pire, chacun des deux mille mortels y vivant sont prêts à prendre les armes pour se défendre. Au centre, la « ville » - construite de toutes pièces et refusant de réutiliser les ruines d’une vieille cité au passé douloureux et aux alentours difficiles à cultiver – regroupe les habitations, les granges et greniers, un hôpital, une école, le « château » des Anciens. Les Immortels s’y posent en demi-dieux détenteurs du savoir et du pouvoir, invulnérables, éternels et bienveillants. Ils ne sont qu’une dizaine ici, mais nul ne conteste leur autorité. A l’unanimité, Duncan MacLeod a été élu Chef, les Anciens pensant qu’une figure unique de père et de juge serait bien acceptée par les mortels. Leur travail est énorme, ils doivent reproduire et entretenir tout ce dont ils se souviennent des sciences passées : médecine, mécanique, agriculture, métallurgie... Tout est à reprendre à la base.

     Pour les plus âgés des Immortels, cette communauté est un retour aux sources, pour les autres, un nouvel espoir ; mais aucun n’aurait cru que l’ère technologique passerait aussi rapidement. Tous cependant y voient l’ultime chance d’un retour à une vie qui en vaut la peine. La croyance se répand chez eux que tel est leur but, la raison d'être de leur existence surnaturelle : dépositaires du savoir des siècles passés, ils sont la clé du renouveau des générations futures.

     Deux jours plus tard, David et Felicia reprennent déjà la route. Il leur tarde de prévenir leurs amis de l’existence de la Nouvelle Athènes où ils pourront enfin espérer une vie plus agréable, dussent-ils pour cela abandonner la forteresse pour laquelle ils luttent depuis des siècles.


     L’été avance et voici venu le temps des moissons. Toute la communauté vibre sous l’or des blés, les cris des enfants qui glanent et de leurs parents qui roulent les bottes de foin. C’est une bonne année, le grain emplit les greniers de fond en comble, les bêtes ont tout le fourrage nécessaire pour passer l’hiver, les familles vont progressivement se replier dans leurs maisons et vaquer aux activités d’intérieur, construire des meubles, tisser des vêtements, passer du temps avec les enfants et fréquenter plus assidûment l’école, mise en suspens lors des moissons. Les humains y découvriront, fascinés, les Anciens leur apprendre des choses de plus en plus merveilleuses, d’autant que depuis quelques années - la communauté ayant atteint assez de stabilité dans l’agriculture et la sécurité pour pouvoir s’y consacrer - de nouveaux domaines leur sont ouverts. La musique, le chant, la danse font résonner le village de joyeux bals, les habitations se couvrent de décorations dues à de nouvelles techniques de peinture. Des humains commencent à opérer eux-mêmes certains malades, sous la supervision d’Adam Piersen qui leur a enseigné tout ce qu’il sait de la médecine. Près de la rivière, sous la directive de Duncan, un groupe porté sur la technique travaille à ajouter au moulin à eau un assemblage de plaques de métaux divers, de tortillons de cuivre... L’autre jour, avant qu’un court-circuit détruise la première tentative, ils sont parvenus à faire briller sans feu un globe de verre, d’une lumière si vive qu’elle s’est vue au-delà des limites de la communauté, le phare de la civilisation renaissante. Ailleurs encore, le maréchal-ferrant travaille à construire d’après les plans fournis par un autre Ancien une machine dont il ne sait pas encore l’utilité, servant à faire bouillir de l’eau pour actionner un bras mobile avec la vapeur.
     Pendant la période finalement assez courte de la fin du XIXème siècle à la fin du XXIème, les plus jeunes Immortels avaient pris le devant de la scène au point de vue technologique, étant plus à l’aise que leurs aînés avec les automobiles, puis les ordinateurs, les aero-cars... Et deux siècles plus tard, plus ces derniers sont âgés, plus ils sont écoutés avec attention, car ce sont eux qui connaissent les techniques utiles pour vivre sans électricité.


     Tout semble donc aller pour le mieux dans la Communauté, lorsque un jour d’automne, un messager essoufflé se précipite dans la salle commune du château des Immortels.
     - Monseigneur, une horde avance droit vers nous, la plus grande que j’ai jamais vu, au moins deux mille hommes. Ils poussent de grandes machines de bois, certains portent des boucliers, des armes de métal ! Leur chef est même monté à cheval...
     Duncan fronce les sourcils, il envoie l’éclaireur se reposer et fait appeler tous les autres Immortels, grommelant « C’était trop beau pour durer... »


     En prévision de ce moment tragique, la communauté s’est longuement préparée, des exercices réguliers maintiennent la vigilance et tous ici sont rompus au maniement militaire de l’épée, de l’arc, de la hache, de la lance, de la faux ou du bâton, mais maintenant que la menace est là, que les portes sourdent et grondent sous les hurlements des assaillants et les coups de butoir des béliers, que des tours d’assaut déversent des flots de guerriers par dessus les murailles, que des ponts de fortune recouvrent les douves et que des catapultes pilonnent les remparts, nul ne peut empêcher la peur d’étreindre son cœur.
     Les Immortels sont persuadés que l’un des leurs est à la tête de cette armée dévastatrice, qui préfèrent piller les havres de civilisation plutôt que s’acharner à en bâtir un. Les machines de guerre, les techniques de combat, tout indique un homme du douzième ou treizième siècle. Toutefois, ce chef mystérieux - empli d’une telle autorité qu’il parvient à conserver un cheval sans que ses hommes le dépècent à la première occasion - se cache au milieu de ses troupes. Duncan et ses siens, fendant les rangs des envahisseurs comme un navire brisant des vagues de tempête, le cherchent et l’appellent de toute leur haine, mais l’autre est prudent et tient à sa tête.
     Les assaillants sont nombreux, trop nombreux ! Ils tombent par centaines devant les défenseurs organisés mais il en arrive toujours d’autres, affamés et hargneux. Depuis des générations ils écument la planète aux ordres de leur chef terrible, et cette immense place forte ne saurait leur résister plus que les autres. Abandonnant un instant le combat, Amanda saute sur son cheval et repart au grand galop vers le château. Là, elle se rue au dernier étage, dans une pièce isolée sous les combles où une forme étrange est couverte d’un drap qu’elle enlève prestement. Quelques secondes après, à la stupeur générale, une forme brillante traverse le toit et fond comme la foudre sur l’armée terrifiée qui s’éparpille sur son passage. Aux commandes de son antique aéro-Jaguar, l’Immortelle repère enfin le chef à cheval et lui fonce droit dessus. Malgré sa terreur, la garde rapprochée du nouvel Attila ne fuit pas, les flèches et les lances pleuvent dru sur la vieille voiture, soigneusement conservée pour une occasion extrême. Les voyants de bord s’affolent, la cellule énergétique n’autorise plus que quelques minutes de vol, le châssis antédiluvien grince et craque sous l’effort de l’accélération. Au dernier moment, Amanda tente de s’éjecter, mais le mécanisme est desséché depuis longtemps et ne réagit plus. Elle ouvre alors la porte et saute, tandis que le véhicule s’écrase en plein sur le guerrier à cheval et explose, le détruisant ainsi que tous les proches soldats.
     Amanda se retrouve à terre, l’épée à la main, cernée d’une bonne centaine de guerriers qui n’osent cependant pas l’attaquer, reconnaissant en elle une Ancienne que leur maître se réserve. Un buzz s’approche alors, l’Immortelle se retrouve face à face avec son adversaire. Le crash de la voiture ne l’a pas atteint, car il a prudemment cédé son cheval à un lieutenant avant la bataille. D’un signe de tête, il ordonne aux archers de tirer. Amanda tombe à genoux, percée de flèches. En riant, l’homme lève son sabre, lui tranche la tête sans même lui laisser la chance d’un combat loyal. C’est fois, c’est fini pour de bon. Mille cinq cents ans après sa naissance, la vive et charmante Amanda vient de perdre son quickening à jamais.
     Presqu’au même moment, plus près des murailles, deux mortels décapitent par hasard leurs adversaires, sans réaliser qu’il s’agissaient d’Anciens. Ils sont repoussés par les éclairs qui vont se répartir entre les autres Immortels en une spectaculaire gerbe de lumière traversant le champ d’horreur.

     La bataille se suspend un instant tandis que les quickening déchirent le ciel. Dans l’enceinte assiégée, Duncan, Méthos, Nick et les autres en reçoivent une partie en agrandissant les yeux. Leurs amis de toujours viennent de tomber.
     La foudre passée, le combat reprend de plus belle, les hommes de la communauté se font peu à peu déborder. Puis les remparts craquent, les portes tombent, et c’est la débandade. Les défenseurs se replient en désordre vers les murs de la ville, abandonnant les champs pour sauver les greniers. A leur suite, le flot des assaillants s’engouffre dans l’enceinte brisée. Comme leurs hommes, les Immortels doivent se replier, des larmes plein les yeux de voir deux cents ans de travail acharné tomber devant l’armée implacable des voleurs et des pillards.

     Tout semble perdu lorsqu’un éclair rouge traverse le ciel et laisse un cratère fumant là où couraient vingt attaquants. Puis un autre tir, un troisième. A chaque fois, c’est une colonne entière de pillards qui disparaît en fumée. Quatre formes brillantes apparaissent dans les nuages, de la taille et vaguement de la forme d’un petit camion avec des tubes bleus sur les côtés, tirant de tous leurs phasers pour briser les vagues d’assaut. Duncan s’arrête un instant et regarde dans ses jumelles.
     - Bon sang, ça tombe bien mais qu’est-ce que c’est ?
     - Des amis.
     Le Highlander sursaute et se retourne, se rendant soudain compte de la présence proche d’un buzz très puissant qu’il n’a pour une raison inconnue pas senti arriver. Un grand jeune homme se tient devant lui, vêtu d’une combinaison brillante, il porte à une longue épée à deux mains.
     - Aaron ! Nom de Dieu, tu ne pouvais pas mieux tomber.
     En quelques minutes, les navettes de type 6 dispersent les assaillants et tandis que l’une d’elle descend au sol, les autres remontent vers l’espace.
     - Qui sont-ils ? demande MacLeod tandis que le petit transport se pose près des remparts détruits et que deux humains en sortent.
     - C’est une longue histoire. Voici le commander Riker et son copilote, l’enseigne Larsen.
     - Mais... ils sont humains ! D’où sort ce vaisseau alors, puisque ce n’est pas le tien ?
     - Je t’ai prévenu, c’est compliqué. Et ceci n’est que l’une des navettes d’un navire bien plus grand en orbite. Tu verras plus tard. Désolé de n’être pas intervenus plus tôt, nous étions de l’autre côté de la planète quand nous avons détecté l’empreinte énergétique inattendue d’une voiture du XXIème, ce qui nous attiré ici.
     L’Ecossais sert la main des arrivants.
     - A quelques minutes près, vous sauviez aussi la vie de la personne à qui je tenais le plus sur cette Terre à l’agonie... Mais merci quand même, sans vous, tout était perdu.
     Ils se dirigent vers le village pour compter les survivants et réorganiser les défenses en vue d’une éventuelle nouvelle attaque, quand une voix sortie de nulle part se fait entendre.
     - Enterprise à Riker, trois vaisseaux cardassiens sont entrés dans le système, dans ce continuum, ils semblent avoir la technologie pour suivre les signatures Warp et ont suivi nos vecteurs jusqu’ici. Nous vous rapatrions d’urgence.
     Sous les yeux effarés de Duncan et plus encore des humains alentours, les deux hommes venus du ciel disparaissent dans un scintillement bleu.


     Cent kilomètres plus haut, l’Enterprise est en état d’alerte maximale, une autre bataille commence, autrement plus avancée et meurtrière que celle qui vient de se livrer au sol. Un vaisseau cardassien est désactivé assez rapidement, un autre subit de graves dommages et se place légèrement en retrait derrière la Lune avant d’imploser, mais l’Enterprise éprouve aussi de lourds dégâts. Picard ordonne le détachement de la soucoupe, sachant que son vaisseau sera plus vulnérable pendant l’opération, mais devant protéger à tout prix ses passagers civils et toute la technologie qu’il contient, dernier espoir de l’humanité. Pendant que les deux parties se séparent, le capitaine prend le contrôle de la passerelle de combat tandis que Riker gère le reste. Une nouvelle alerte assourdissante vient se mêler aux signaux déjà surchargés alors que le dernier navire ennemi, mortellement touché, lâche ce qui lui reste d’énergie en fonçant sur celui de la Fédération presque aussi endommagé.

     Terriblement inquiet, Aaron scrute le ciel qui se dégage, quand une gigantesque explosion crée momentanément un nouveau soleil. Tous ceux qui suivent son regard plissent les yeux sous la lueur intenable, avant de courir vainement se mettre à l’abri quand une pluie de débris brûlant s’abat au sol, ravageant les champs et les forêts, les huttes et les maisons, enflammant les greniers et le moulin.
     Aaron laisse échapper son arme et tombe à genoux en pleurant.
     - Grégoire, Ibrahim, Adria, Angelina, Katherine, Guinan, Ceirdwyn, Richie...
     En entendant ce dernier nom, Duncan s’affale auprès de son ami, tremblant de tous ses membres, pendant que le jeune homme continue sa macabre énumération.
     - Picard, Riker, Troi, Worf, Laforge, Crusher et son fils, Data, les mille membres d’équipage et passagers, les familles... tous... morts...


     L’ambiance est absolument sinistre ce soir-là, entre les bûchers des victimes, la fumée des incendies à peine maîtrisés et l’armée barbare repoussée - mais non dispersée - qui campe au loin, prête à revenir à l’assaut, la faim et l’hiver proche lui donnant le courage d’affronter toutes les puissantes armes du ciel qui semblent protéger la communauté.
     Le matin se lève sur Aaron qui n’a pas bougé depuis la veille, toujours effondré contre un pan de mur. A quoi bon vivre, à quoi bon lutter quand tout est perdu ? Il regarde d’un air morbide sa lame et se demande si MacLeod lui ferait la faveur de prendre son quickening. Probablement pas.
     Pourtant, malgré tout cela, malgré le désespoir total, l’Immortel se relève, redresse la tête. Il a beaucoup réfléchi et étudié avec Data notamment. La science des aberrations spatio-temporelles est très théorique, mais d’après l’androïde, si le passage a été possible c’est que les deux réalités existent et se rejoignent au point où elles se sont séparées. L’Enterprise était la preuve qu’une autre Histoire était possible, si cela se trouve, un simple événement aurait pu tout changer ; Aaron doit découvrir lequel. Il respire profondément, avance d’un pas mécanique jusqu’au château où Duncan, Méthos, Nick et les Immortels survivants tentent malgré tout d’organiser la défense des mortels qu’ils ont placés sous leur protection.

     Aaron tire le Highlander à part.
     - Ecoute, juste avant de venir en urgence à votre secours, l’Enterprise a détecté une source d’énergie camouflée sous une montagne d’Amérique du nord. Il nous reste la navette, je vais aller voir ce que c’est. Tu viens ?
     - Non, pas maintenant, enfin ! Tu ne vois pas ce qui se passe, les pillards sont toujours là, nous devons agir. Ton engin peut nous défendre, reste aussi !
     - Cela ne sert à rien. Que veux-tu sauver, regarde autour de toi, Duncan ! Ce qui n’a pas déjà brûlé ne résistera pas à un nouvel assaut. Tes hommes sont en sous-effectifs et exténués, inutile de se faire des illusions. Tout est vain à présent, et puis il n’y a plus assez d’énergie en réserve de la navette pour tirer à feu nourri comme hier.
     - Tu me connais bien peu si tu crois que je vais laisser tomber cette communauté, aussi mal en point soit-elle. Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. Nous l’avons fait une fois, nous pouvons recommencer.
     - Pour qu’une nouvelle horde rase tout ? Je ne sais pas comment vous avez fait pour tenir si longtemps sur une Terre en ruine.
     - L’Histoire avance, qu’on le veuille ou non. Fous que nous sommes, on croit toujours le monde immuable ! Je te comprends, c’est la première fois que tu vois un changement aussi radical mais...
     - Toi aussi, et tu ne me feras pas croire le contraire. Même Méthos. Jamais dans l’Histoire nous ne sommes allés si haut pour tomber si bas, jamais, même à la chute de Rome. Et surtout j’ai... j’ai vu ce que notre histoire devrait être. L’Enterprise vient de cette Terre, mais dans une dimension où notre civilisation ne s’est pas effondrée à ce point. Un peu, oui, une grande dépression à la fin XXIème - début du XXIIème, mais rien de si dramatique.
     - Qu’est-ce que tu veux y changer, il est trop tard ! Tu dois faire avec ce que nous avons. Sais-tu ce que disait Cioran ? « Vivre à même l’éternité, c’est vivre au jour le jour ». Pour un mortel, il est tombé sacrément juste. Patience, laisse faire le temps, même si ce n’est pas facile. Nous seuls avons le pouvoir de changer les choses, et peut-être que dans cent ans, peut-être que dans mille ans, l’humanité sera repartie, plus grande et plus forte qu’avant.
     - C’est vrai. Mais peut-être aussi que dans une semaine ces brutes de Cardassiens enverront de nouveaux vaisseaux pour se venger de leur défaite en vitrifiant la Terre. Ou peut-être que...

     Il est interrompu par des cris suraigus, des bruits de lutte venant de l’intérieur même du château. Nick déboule soudain devant eux, les yeux exorbités et les mains tenant sa gorge d’où jaillit un flot de sang. Il s’écroule à leurs pieds tandis qu’un mortel hurle « Les pillards ont envoyé des assassins s’en prendre aux maîtres... »
     Il vient à peine de finir sa phrase que les murs de bois s’enflamment et se disloquent sous deux nouveaux quickenings destructeurs qui leur arrivent de plein fouet. Les espions meurtriers sont neutralisés avant de recommencer à tuer, mais Charles-Henri de Boisseauson et sa compagne des siècles ne sont plus. Aucun doute sur l’origine étrangère des assassins, puisque les Immortels de la communauté se sont toujours gardés de révéler leur seule faiblesse aux humains.
     Au loin, les cris des assaillants se font à nouveau entendre. Le raid suspendu par l’intervention spatiale de la veille et par la nuit vient de reprendre de plus belle.
     - Allez Mac, viens. Tu ne peux plus rien ici... Comme tu l’as dit, il sera toujours temps de recommencer plus tard. La navette n’a pas une énergie illimitée, nous ne pourrons plus repousser les attaques avec, surtout vu ce que des tirs de turbo-phasers consomment. Mais si nous trouvons une grande île, on la nettoie, on n’y emmène que des humains dont on est sûrs, et on repart tranquillement. Même si le psychopathe à la tête de la horde a su faire construire des catapultes, assembler un navire de haute mer est autre chose ; il ne s’y risquera pas, nous serons à l’abri le temps de bâtir une vraie ville fortifiée et des bateaux. Pour cela, nous devons nous mettre à l’abri. C’est terrible à dire, mais nous ne pouvons rien de plus pour les mortels d’ici - et nous faire tuer avec eux n’arrangera les affaires de personne.
     La tête dans les mains, Duncan ne répond pas. En deux jours, il a perdu plus d’êtres chers que depuis les deux derniers siècles, et les arguments d’Aaron ne sont pas sans logique. Soutenu par le jeune homme, il monte finalement dans la navette, accompagné de Méthos et des trois autres Immortels survivants. Hésitant un peu devant les commandes qu’il n’a qu’à peine eu le temps d’étudier à bord de l’Enterprise, Aaron parvient tout de même à décoller et file droit vers l’ouest. Le Highlander et ses amis ne retiennent pas leurs larmes en observant au loin la communauté céder sous les assaut et les pillards envahir le village, vider les greniers épargnés par l’incendie de la veille et massacrer les mortels qui tentent de résister.




<<<>>>
Placer le marque-page ici




Terre, Amérique du nord, fin de l’automne.


     Il ne faut pas longtemps à l’instinct de pilotage d’Aaron pour lui donner le plein contrôle des commandes de la navette, surtout avec l’ordinateur capable de lui fournir oralement les instructions qui lui manquent. Le petit appareil vole depuis quelques heures, et ses passagers qui n’ont pas le cœur à rire n’ont pas desserré les dents depuis le départ. Ils n’ont même pas voulu essayer le synthétiseur qui peut pourtant leur répliquer les plats ou les boissons qu’ils rêvent de retrouver depuis des siècles. Plus encore que l’échec de leur communauté utopique, c’est la culpabilité de n’être pas restés jusqu’au bout pour protéger les mortels sous leur garde qui les ronge.
     Aaron abaisse progressivement l’altitude, il vole à présent au-dessus d’un désert de sable et de cactus. Avant de chercher une île où tout recommencer, il tient d’abord à identifier la source d’énergie repérée la veille. Sortant de sa torpeur, Duncan s’assied à la place du copilote.
     - Où sommes-nous ?
     - Au Nouveau-Mexique, ce n’est plus très loin. Tu vois cette montagne isolée, là-bas ? C’est là qu'est la source.

     Emerveillé par les capacités de la navette à tracer un plan presque complet des souterrains alors qu’ils en sont encore à plusieurs kilomètres, l’Immortel se pose près de l’entrée du boyau principal d'un vaste centre de recherche souterrain. Nick, ressuscité mais toujours handicapé par la récente tentative d'assassinat dont il a été victime, reste à bord pendant que les autres descendent dans la mystérieuse base.
     Bien que les senseurs assurent qu'aucun être vivant ne hante les boyaux obscurs, les Immortels ne se sentent pas à l'aise, tous ont leur épée au clair, seul Aaron garde la sienne à la ceinture, mais il tient d'une main un phaser et de l'autre un tricorder sur lequel il suit les instructions de l'ordinateur de la navette pour se diriger droit vers la source d'énergie, ou plutôt vers ce qui l'utilise.

     Les couloirs s'illuminent à leur approche pour s'éteindre sitôt après leur passage, sans doute par mesure d'économie d'énergie. Aaron appuie un peu au hasard sur les boutons de son appareil et finit par trouver le mode vocal.
     - Ordinateur, où sommes-nous ?
     - Ces données ne sont pas disponibles sans la base de données complète de l'Enterprise.
     - Quelle est la nature de la source ?
     - Onduleur de secours d'un système autrefois connecté au réseau standard. Ces batteries ne sont plus qu'à 0,162% de leur capacité maximale.
     - Qu'est ce qui utilise cette énergie ?
     - Un système informatique.
     - Peux-tu en dire plus ?
     - Non. Il ne correspond à aucun standard connu.
     - Bon tant pis, merci.
     - De rien, capitaine Leblanc.
     Malgré ses sombres pensées, Duncan ne peut retenir une ébauche de sourire.
     - Capitaine ?
     - Je t'expliquerai.

     Au bout d'un moment, les Immortels débouchent dans une salle où les accueille un vaste pupitre fait de blocs de couleurs luminescentes, clignotant de dizaines de lumières psychédéliques et surmonté d'une sphère bleutée parcourue de reflets étincelants.
     - Qu'est-ce que c'est ?
     Une voix féminine particulièrement suave et enjouée se fait entendre.
     - Bonjour et bienvenue, je m'appelle Ziggy. Cela me fait plaisir d'avoir une dernière visite avant de m'éteindre définitivement.
     Aaron se penche sur la console, parcourt les écrans des yeux, effleure quelques boutons.
     - Un ordinateur... qui me rappelle fortement quelque chose.
     - Celui de la navette ou du vaisseau dont tu parlais ?
     - Non, presque aussi puissant en calcul brut, mais fondamentalement différent. Je pense que c'est une I.A.
     - Intelligence Artificielle ?
     - Oui. Ai-je raison... Ziggy ?
     - En effet, monsieur, vous semblez très renseigné.
     - J'ai déjà eu affaire à votre... espèce.
     - Etonnant, je suis à ma connaissance le dernier ordinateur intelligent en état de marche sur cette planète en ruines.
     - C'était il y a longtemps, et c'est une longue histoire.
     - Je crains de ne pouvoir l'écouter jusqu'au bout alors. Il ne me reste que très peu d'énergie en réserve, et j'en consomme beaucoup en ce moment même pour réactiver mes circuits logiques et communiquer avec vous. Mais je ne le regrette pas, c'est une façon plus agréable de finir que seule au fond de cette montagne.
     - Vous êtes particulièrement évoluée me semble-t-il. De quand datez-vous ?
     - Merci, mais les félicitations vont au docteur Samuel Beckett, mon concepteur. Je suis un ordinateur parallèle hybride neuronal activé pour la première fois au début du XXIème siècle. Toutefois, je ne partage pas entièrement votre enthousiasme. Si j'avais été si performante, je n'aurais pas commis la plus terrible erreur qu'un être intelligent ai commis depuis la création.
     - Rien que cela ? A-t-on droit à des détails ?
     - Pourquoi pas... Il est trop tard de toute façon. Pour tenter en vain de sauver une personne à laquelle je tenais, j'ai renoncé à sauver toute la civilisation et des milliards de vies. Vous parlez d'un fardeau !
     - Vous dites que vous êtes responsable de... tout cela ?
     - Non. Mais j'aurais pu l'éviter, je suis bien placée pour le savoir, ayant été spécifiquement conçue pour déduire les conséquences d’une chaîne possible d’événements sur le déroulement de l’Histoire. A l'époque, je servais de centre de contrôle et de traitement de l'information pour le projet Quantum, un ambitieux programme de recherche sur les déplacements temporels.
     - Le voyage dans le temps ? J'ai toujours cru que c'était scientifiquement impossible.
     - Non, mais il y a des contraintes de taille. Les voyageurs ne peuvent se déplacer que dans la durée de leur propre vie, et surtout... nous avons généralement eu beaucoup de mal à les rapatrier. Toujours est-il que vers les années 2040, d'autres ordinateurs intelligents sont apparus, et l’un d’eux a acquis un pouvoir immense à la tête de la Coratec Corporation.
     Aaron, Duncan et Méthos pâlissent en comprenant où Ziggy veut en venir.
     - Cet ordinateur, dénommé Draw, était un adversaire de taille pour moi. Il a pendant deux décennies tenté de pénétrer mon système, et lui résister utilisait tant de ressources que j’en négligeais presque mes autres tâches. Mais un jour de 2062, tous ses assauts ont cessé d’un coup. Sur le moment, je m’en suis réjouie... Folle que j’étais. Ma voyageuse était dans une situation particulièrement délicate à gérer, je me suis consacrée entièrement à sa cause. Pendant ce temps, le monde privé de tête s’enfonçait dans le chaos, la chute fut trop brutale pour que l’humanité s’y ajuste. Nous avons tout d'abord cru qu’elle s’en sortait, les premières années se passant sans trop de difficultés majeures... Mais c’est après, le contrecoup drastique, la crise de l‘énergie, tout cela. A ce moment, j’aurais pu intervenir, moi seule avais les connaissances et surtout la puissance nécessaire pour prendre le relais de Draw et contrôler les centrales et les usines, les décisions des gouvernements et des sociétés - au moins temporairement, pour laisser aux hommes le temps de se réadapter.
     - Que s’est-il passé ?
     - Une tâche d’une telle ampleur impliquait que j’abandonne le projet Quantum, je n’ai pas pu m’y résoudre, n’ayant jamais reçu la mise à jour de mon programme qui aurait pu me le permettre. Sans cette lacune, tout aurait été différent... Mais se lamenter des siècles après ne change rien. En 2064, quand toutes les centrales américaines ont cédé au manque de contrôle et de gestion, mon alimentation a été coupée net. N’étant pas prévues pour une situation aussi radicale, mes batteries de secours étaient incapables de fournir assez d’énergie, j’ai perdu le lien avec Marianne Becket, la petite-fille de mon créateur, l’abandonnant quelque part en 2036 sans mon soutien ou celui de son hologramme. J’ignore ce qu’elle est devenue, puisque je n’avais plus accès aux archives, plus de réseau, plus rien ! Dans la panique, le personnel du laboratoire est parti, et c’est ainsi que j’attends ma fin depuis trois cents ans en économisant le courant. Plus que quelques semaines à tenir, peut-être moins si je continue à vous parler.
     - Et vous êtes certaine que c’est la destruction de Draw qui a entraîné... la fin du monde ?
     - A 86,3%. Dans mon expérience, rien n'est jamais dû au hasard ; un élément seul ne suffit jamais à provoquer une catastrophe, c'est un assemblage de conditions indépendantes, catalysées par un événement clé. En l'occurrence, toutes les conditions étaient réunies : supercentralisation totale des pouvoirs dans les mains des machines, baisse de compétences des humains réduits à l'état de contremaîtres et non plus de décideurs, manque d'initiative des dirigeants sans autorité directe... La coupe était pleine, il suffisait d'un rien pour la renverser. De même qu'un rien aurait suffit à l'éviter, si l'on avait su à temps les conséquences. Mais c'est cela qui est terrible avec le présent. On croit toujours le connaître mieux que tout, mais en fait ce n'est que lorsqu'il devient le passé que l'on peut le saisir – et le regretter. Tout cela à cause d'une décision que je n'ai pas su prendre...
     - Ziggy, puisque nous en sommes aux confessions, j'ai quelque chose à vous avouer. Je suis l'un des responsables directs de la destruction de Draw. Cela peut paraître impossible, mais j'étais déjà là.
     Un silence s'établit alors, pendant lequel le pupitre clignote de plus belle.
     - Je ne vois aucune raison pour laquelle vous mentiriez, partons donc du principe que vous dites vrai. Quelle est votre date de naissance, monsieur ?
     - 12 mai 1961...
     - Alors vous pouvez ajouter à votre conscience qu'en plus d'avoir détruit le monde, vous auriez pu le sauver aujourd'hui.
     - "Auriez" ? Pourquoi ce conditionnel ? Vous proposez de m'envoyer dans le passé ?
     - Il fallait venir plus tôt, je n'ai plus assez d'énergie pour démarrer le Quantum Leap Accelerator, encore moins pour garder le contact avec le voyageur, ce qui est tout aussi indispensable à l'accomplissement de la mission.
     Pris d'un fol espoir, Aaron empoigne le tricorder de la navette.
     - De combien d'énergie avez-vous besoin ? J'ai un engin posé dehors, bien que limité il a une énorme puissance comparé à ce qui se faisait au XXIème siècle.
     - Si cette source est compatible avec mon convertisseur; 1,21 GW de flux continu suffiront pour le contact. Cependant pour initier la réaction quantique il faudra une décharge brève, mais bien supérieure.
     - Ordinateur, quelle est la puissance de crête du générateur de la navette ?
     - 1,05 GW.
     - Est-il possible d'atteindre les 1,21 GW ?
     Quelques instants se passent avant que le tricorder reprenne.
     - En désactivant tous les sous-systèmes utilisant l'énergie résiduelle, dont l'ordinateur de bord et le réamorceur de sécurité, il est possible de culminer à 1,3226 GW. Cependant, avec les réserves actuellement accumulées, un tel flux ne pourra être soutenu que pendant approximativement 3 heures, 12 minutes et 4 secondes et empêchera la navette de redémarrer sans source externe.

     Se penchant ensuite sur le problème de l'amorce, les Immortels et les deux ordinateurs passent en revue toutes les solutions, mais elles se mordent la queue. Soient ils font exploser le réacteur de la navette dans l'accumulateur du projet Quantum pour générer la fusion initiale, auquel cas ils n'ont plus de quoi entretenir la réaction, soit ils gardent l'énergie pour la durée, mais ne peuvent démarrer l'accélération quantique. L'ordinateur de la navette n'est pas d’une grande aide, ne sachant pas innover, au mieux, il propose de faire imploser le phaser en réglage 16 dans la chambre du réacteur, tout en précisant que si le dégagement d’énergie sera largement suffisant, l’explosion emportera la moitié de la montagne avec. Aaron a bien pensé utiliser le réplicateur de bord pour créer de toutes pièces une nouvelle centrale électrique, mais outre que cela prendrait plus de temps et d'énergie que ce dont ils disposent, il reste le problème du carburant qu'ils ne peuvent répliquer. Quant à construire toute une plate-forme d'extraction et de raffinement... C'est hors de leur portée.
     Aaron est furieux, il tourne en rond en cherchant des solutions, mais les sauts quantiques ne sont vraiment pas de son ressort.
     - Nom de Dieu, nous avons tout ce qu'il faut pour sauver le monde, rien que ça, et c'est une bête histoire de piles qui nous en empêche !
     Duncan, jusque là silencieux, se lève lentement.
     - J'ai une idée.


     - Non, no way !
     - C'est la seule solution, Aaron.
     - Nous ne sommes même pas sûr du résultat !
     - Nous n'avons pas le choix si l'on veut sauver le monde. Ce qui nous maintient en vie depuis trois siècles, c'est l'espoir de pouvoir tout recommencer sur de bonnes bases. Et comme disait Camus, "Ce qu'on appelle une raison de vivre est également une excellente raison de mourir". Si cela échoue, tant pis, nous aurons au moins essayé, et pour ce qu'il reste sur cette Terre, de toute façon je n’ai plus grand chose à perdre. Mais si nous réussissons... Ce que nous accomplissons en ce moment n'aura jamais lieu car nous n'aurons pas besoin d'en arriver là. Tu ne peux défaire ce qui n’a pas été fait.

     C'est bien malgré lui qu'Aaron accepte, et tandis qu'il enfile tant bien que mal une combinaison blanche moulante fournie par Ziggy, bien trop petite pour sa carrure, les autres Immortels se répartissent aux postes que leur assigne l'ordinateur. Nick a enfin quitté la navette et attend près de la console, tandis que Duncan et Méthos se rendent au générateur. Grace Chandler se prépare à accueillir le visiteur, quel qu'il soit, dans la salle d'attente et Sarah Brown est déjà dans la chambre holographique où elle n’a que quelques minutes pour apprendre les bases d’utilisation du gadget coloré qui lui permettra de recevoir les informations du futur pour les transmettre à Aaron, à qui elle apparaîtra sous la forme d’un hologramme que lui seul pourra voir et entendre.
     Chacun soupire une dernière fois, ils se souhaitent mutuellement bonne chance, et Ziggy lance le signal. Aaron pianote une dernière fois sur son tricorder pour lancer le générateur de la navette à plein régime. Au même instant, le plus ancien des hommes bande toute sa volonté pour accomplir l'un des actes les plus difficiles de sa longue existence. En fermant les yeux pour retenir ses larmes, il tranche la tête de Duncan MacLeod du clan des MacLeod. Le quickening est dantesque, l'un des plus puissants jamais libéré. Il roule et tonne et résonne dans le caisson isolé, chargeant les accumulateurs comme une foudre sous la montagne. Bientôt les éclairs se calment, Méthos cesse de hurler et tombe à genoux, parcouru des dernières étincelles.
     La voix de Ziggy couvre le bruit et la fureur, toujours aussi suave, mais tendue en même temps.
     - Les accumulateurs ne sont chargés qu’à 68,73% du seuil minimal pour initier la réaction.
     Aaron ferme les yeux, crispe les poings.
     - Je le savais... Cela n'a servi à rien, je n'aurais jamais dû l'écouter.
     Encore très faible, Méthos fait l'effort de se relever.
     - Non, il reste une chance, une autre Duracel ambulante. Nick ! Viens ici, gamin.
     Résigné, le regard fier et déterminé, l'ancien policier rejoint son aîné, s'agenouille devant lui et baisse la tête, offrant son cou musclé à la morsure de la lame.
     - Pas toi, petit, tu as pris quoi, dix, vingt quickenings tout au plus ? On ne peut se permettre un autre échec.
     Le forçant à se relever, il lui met d'autorité son ivanohé dans les mains.
     - Et dépêche-toi avant que je change d'avis. Je n'arrive pas à croire que moi, je donne volontairement ma tête...
     Cette fois les murs tremblent, des appareils secondaires explosent dans une gerbe d'étincelle. Nick, quant à lui, a tout simplement perdu connaissance sous la puissance de la plus ancienne des forces vitales. Les absorbeurs sont saturés, les accumulateurs grimpent de plus en plus vite jusqu'à atteindre le seuil limite. Un bourdonnement emplit tout le complexe tandis qu'Aaron prend place dans le Quantum Leap Accelerator... et disparaît.




<<<>>>
Placer le marque-page ici




Las Cruces, Nouveau Mexique, Juin 2003


     Aaron ouvre les yeux péniblement. Il flotte encore dans un demi-sommeil, sa tête est lourde comme après une trop longue nuit. Un mouvement à côté de lui le fait brusquement sursauter. Un enfant dort, un petit brun à la peau sombre. Qui est-il donc ? Précautionneusement, sans geste brusque qui réveillerai l'enfant, Aaron se lève et fait quelques pas dans la pièce, hésitant. Quelque chose ne va pas. Non seulement le lieu ne lui rappelle rien, mais tout semble si grand ici ! La tête lui tourne de tant de mystère, il se retient à une commode, relève la tête devant un miroir. Et pousse un cri strident.
     En face de lui, bougeant en parfaite symétrie, le visage stupéfait d’une fillette indienne le regarde. L’enfant qui partageait son lit s’est réveillé sous le cri.
     - Holà Isabela, que pasà ?
     Aaron tente de rassembler ses souvenirs, mais sa mémoire trouée comme un gruyère ne lui est pas d’un grand secours. Au bord de la panique, il réalise qu’il ne sait même pas son nom de famille... ni comment répondre au gamin. Des images lui traversent alors la tête. Une épée, très grande, un homme devant lui, un nom, Juàn de la Vega ; des mots qu’il n’a jamais appris lui viennent à la mémoire.
     - Nada, va soñar de nuevo.
     Sans insister, le petit se recouche. Aaron fait de grands efforts pour ne pas céder à l’affolement. Avisant la fenêtre entrouverte, il s’y glisse et se retrouve dans une cour misérable et ensablée, où un vieux chien pelé vient lui lécher la main. La seule chose qu’il a en tête est un sentiment de grande urgence, une mission vitale à accomplir. Mais laquelle ? Tout est si flou dans son esprit !

     Soudain, quelqu’un sort du mur devant lui, littéralement. Au point où il en est, cela ne le choque pas plus que ça. Il est même presque rassuré quand la jeune femme fantôme lui parle en anglais, puis en français plutôt qu’en espagnol qu’il comprend peu.
     - Aaron ? Bon sang, c’est toi ? Pas possible... Ecoute, on n’a vraiment pas beaucoup de temps, trois heures pour être précis, alors il faut se hâter. Ziggy pensait te projeter dans le responsable du projet en 2061, le plus à même d’intervenir et au bon moment, mais une fluctuation non identifiée t’a incarné dans la petite Isabela Martinez, soixante ans plus tôt, sans aucune autorité ni pouvoir... Voilà qui ne nous arrange pas du tout, mais il faut s’en accommoder, c’est notre seul espoir. Tu te souviens de ta mission ?
     - Non... « Aaron » oui, c’est moi, c’est mon nom. Mais le reste...
     - Pas le temps, pas le temps de t’expliquer. Ecoute bien, tu es au sud du Nouveau-Mexique, pas très loin du désert de Doña Ana. C’est là qu’il faut que tu ailles, maintenant !
     - Mais...
     - Vas-y ! Je t’expliquerai en route.

     L’heure fort matinale ne laisse que peu de témoins à la scène étrange d’une fillette grimpant avec difficulté au volant de la vieille jeep de son grand frère avant de conduire à travers le désert aussi vite que ses petites jambes et ses bras fluets le lui permettent. Aaron en est persuadé, malgré la brûlure bien réelle du cuir surchauffé du volant sur ses mains, il est dans un rêve qu’il n’a jamais fait, étrange et pénétrant.
     La voiture est difficile à tenir sur la piste cahoteuse, mais à force de se crisper dessus, Aaron parvient à une haute barrière garnie de barbelés, au beau milieu d’une morne étendue de sable, de sel et de vent. Harcelé sans cesse par la jeune femme inconnue dotée de l’étrange faculté de passer à travers murs et objets comme s’ils n’existaient pas, il se glisse dans un trou de la clôture et continue à pied sa route épuisante à travers le terrain militaire. Dans le ciel passent régulièrement des avions expérimentaux, perçant les nuages dans un bruit assourdissant.


     A quelques kilomètres de là, dans un luxueux véhicule tous-terrain, deux hommes discutent avec animation. Leur présence dans cet espace strictement contrôlé n’est pas due au hasard. Ce sont des techniciens parmi les plus qualifiés de la physique quantique, travaillant sur un mystérieux projet installé dans une base souterraine, de l’autre côté du terrain militaire. Le conducteur, emporté par sa démonstration, fait de grands gestes pour appuyer ses paroles, il lâche même parfois le volant pour le reprendre aussitôt.

     Aaron sent l’épuisement le gagner, en plus de la soif et de la chaleur. Il n’est toujours vêtu que son pyjama et de pantoufles que les pierres coupantes réduisent en loques. D’après sa guide évanescente, il doit encore faire cinq kilomètres pour atteindre... il ne sait plus quoi. Qu’importe, de toute façon il est incapable de parcourir une telle distance dans son état. Son instinct, enfoui dans les méandres de sa mémoire dispersée, lui souffle que d’habitude - même dans le désert - il pourrait parcourir ce trajet en courant, mais cela ne l’aide pas dans sa situation présente. Il trébuche soudain sur une légère élévation du terrain et tombe en s’écorchant les genoux sur du bitume.
     Du bitume, une route ! Elle traverse la pleine desséchée comme une rayure sur une vitre. Sarah en devient hystérique à force de vouloir le relever sans pouvoir le toucher.
     - Aaron, je t’en supplie, fait un effort, il ne nous reste que trente-cinq minutes avant la coupure définitive du courant – après nous ne pourrons plus rien faire pour sauver le monde !
     - Non, laisse moi sortir de ce cauchemar et dormir, ce n’est plus drôle, je suis fatigué.
     - C’est le sort de milliards de vies, de siècles de civilisations qui sont en jeu, tu ne peux pas abandonner !
     Il se relève et fait quelques pas de plus, mais chacun lui coûte. Les pieds, les mains et les genoux en sang, la langue gonflée et sèche comme une semelle, il ne voit vraiment pas comment finir le trajet.

     Dans le 4x4, la discussion continue entre Tobie et Howard qui conduit.
     - En me basant sur les derniers travaux du Docteur Beckett, j’ai mis au point une nouvelle sous-routine, il faut que je la montre à Gushie, je suis le seul a savoir coder cela en l’absence de Sam. En l’incorporant à son sur-processeur logique à la prochaine mise à jour, Ziggy sera capable de prendre les décisions majeures avec plus d’efficacité, cela peut radicalement changer son approche des choses dans les cas extrêmes. Entre autre, j’ai ajouté la notion de sacrifice. On ne sait jamais ce qui peut arriver dans le futur, alors avec ce programme, Ziggy acceptera – si l’urgence le justifie vraiment – de sacrifier le Projet Quantum à une cause supérieure. Changement drastique, mais a priori un tel cas ne se présentera jamais. Tu vois, c’est en combinant la décantation positronique du...
     - Attention !
     Trop tard, le conducteur déconcentré - et ne s’attendant même pas à un lapin au milieu de l’étendue vitrifiée - vient de renverser une fillette. Les scientifiques se précipitent au dehors, mais il est trop tard, le petit cœur perdu ne bat déjà plus. A côté, sans qu’ils puissent la voir, une jeune femme holographique hurle sa rage et son désespoir.
     Tout a été en vain, le futur ne peut pas, ne veut pas être changé.

     Les deux hommes consternés portent le petit corps en sang dans la voiture quand un bruit de tonnerre déchire le ciel qui semble leur tomber sur la tête. Au loin, un parachutiste descend doucement jusqu’au sol. Son prototype d’avion ultrasonique vient de s’écraser, comme cela arrive parfois. Mais il l’a fait au milieu de l’unique route à cent kilomètres à la ronde.
     Tobie et Howard ouvrent des yeux terrifiés en regardant les flammes et la colonne de fumée noire s’élevant devant eux.
     - Nom de Dieu, tu te rends compte que si la petite n’avait pas été là, nous ne l’aurions pas renversé et c’est nous qui serions morts là-dessous ?




<<< F I N >>>





J'espère que cette nouvelle vous a plut.
N'oubliez pas qu'un petit mot pour le dire fait toujours plaisir...
Si la fin n'est pas claire pour vous, on peut aussi en parler ;-)
zarkass@gmail.com